Depuis plusieurs jours, les statues du roi Léopold II font l’objet d’importantes dégradations dans le royaume de Belgique. Une pétition a même été mise en ligne afin qu’elles soient toutes déboulonnées du socle de l’Histoire. Revenu sur le devant de la scène avec la mort de l’afro-américain George Floyd, dont le cas embrase les Etats-Unis, le roi Léopold II est critiqué pour la politique raciale de terreur au Congo, approuvée et instaurée durant tout son règne. Derrière les revendications de groupes ethno-communautaristes, une autre vérité historique qu’ils se gardent bien de mentionner.
«Reconnu en tant que 'roi bâtisseur' et non en tant que 'roi exterminateur'. Un héros pour certains, mais aussi un bourreau pour un grand peuple. En l’espace de 23 ans, cet homme a tué plus de 10 millions de Congolais, sans jamais avoir mis un pied au Congo ». Mise en ligne depuis 4 jours, la pétition « Enlever toutes les statues Léopold II - Alle Léopold II standbeelden verwijderen » a recueilli déjà plus de 58000 signatures. Initiée par le groupe «Réparons l’Histoire», elle réclame ni plus ni moins que la statue équestre de Léopold II à Bruxelles soit déboulonnée de son socle. Ainsi que toutes les autres qui rendent hommage à ce souverain, véritable fondateur du royaume contemporain de Belgique, et qui ont été badigeonnées de rouge dans toute la Belgique. Un débat qui est loin d’être nouveau mais qui a refait surface avec le lancement du mouvement spontané «Black Lives Matter» (La vie des noirs compte). Né après le décès tragique de George Floyd, dénonçant la fois les brutalités policières et le racisme qui prévaut dans la société américaine, le mouvement a fait tache d’huile en Europe. Y compris en France puisqu’un appel a été récemment lancé pour débaptiser les noms de rues qui rappellent la colonisation afin de les remplacer par des noms reflétant mieux «la diversité » hexagonale.
Roi de 1865 à 1909, la figure du roi Léopold II est associée étroitement à l’histoire de la colonisation. Lorsque les grandes puissances européennes se rencontrent à Berlin (1885) afin de se partager le gâteau africain, le territoire du Congo, riche en minerais divers, est attribué personnellement au petit-fils de Louis-Philippe Ier. Soit plus de 2 millions de kilomètres carrés qui se retrouvent sous le sceptre direct du roi qui va rapidement moderniser et développer sa colonie. Les usines de caoutchouc tournent à plein régime et deviennent les principaux fournisseurs des premières entreprises automobiles naissantes de cette fin de XIXème siècle. Léopold II peut d’ailleurs remercier l’explorateur Henri Morton Stanley qui a damé le pion à son concurrent direct, Pierre Savorgnan de Brazza dans cette course aux possessions territoriales. Mais derrière cette façade commerciale qui consacre la Belgique comme empire colonial, auquel viendront bientôt s’ajouter le Burundi et le Rwanda, se cache une autre vérité moins reluisante pour la monarchie des Saxe-Cobourg-Gotha. Bien qu'il demeure l'ombre d'un doute.
Esclavage, mutilation, malnutrition, les mauvais traitements que subissent les congolais en devenir sont autant de reproches que d’accusation portées contre Léopold II. Déjà à l’époque, des journalistes (dont certains n’ont jamais vu une girafe de leur vie) rapportent les faits dans la presse et pointent du doigt la responsabilité du roi. « Pendant 23 ans il utilisait le peuple congolais comme un bien pour la production du caoutchouc, un produit qui était très demandé à l’époque. Les personnes qui vivaient dans les régions caoutchoutières croulaient sous une grande charge de travail, souvent même inhumaine. Les agents de Léopold II n’hésitaient pas à infliger des peines de fouets, jusqu’à en arriver à la peine de mort, voire même fouetter les morts » affirme la pétition. Léopold II, un vil tyran aux mains tâchées de sang ? La vérité est peut-être tout autre et ne plaide pas en faveur des associations accusatrices du genre.
Durant un an, entre 1904 et 1905, mandatée sur place, si une commission d’enquête confirme certains témoignages évoqués dans les médias, elle prend toutefois bien soin de préciser que les exploitants locaux étaient les seuls responsables de ces exactions, par manque «d’encadrement et de surveillance». Il est également difficile d’accuser le roi Léopold II de génocide en l’absence de chiffres probants. D’autant que le calcul avancé de 10 millions de morts (largement remis en cause par les historiens belges) n’est aucunement fiable au regard du recensement de la population de l’époque. Pis nos inquisiteurs modernes, qui se basent sur les rapports de «l’anglais Edmond D. Morel et Adam Hochschild, principales figures de proue de la campagne anti-léopoldienne» passent sous silence d’autres éléments non négligeables.
En 1889, le roi Léopold II met en place un système de répression du trafic des esclaves et organise une féroce campagne militaire contre les marchands d’esclaves (qui bénéficiaient d’appuis de chefs de tribus locaux ravis de se débarrasser de rivaux) qui se terminera en 1894. La commission d’enquête elle-même dément toute mutilation (mains coupées) à grande échelle au sein de la colonie et réfute le terme de massacre de masse. Ainsi son rapport, qui fait toujours foi, précise que «jamais le Blanc n’a infligé ou fait infliger, à titre de châtiment, pour manquement dans les prestations ou pour toute autre cause, pareilles mutilations à des indigènes vivants». Par contre, elle reconnaît l’existence de cette pratique uniquement initiée dans la province de l’Equateur, entre 1895 et 1899, par le commissaire Victor-Léon Fiévez et qui cessa après son rappel en Belgique et quelques passages au tribunal. Le roi était-il au courant ? Oui et il ne pouvait en être autrement. Sauf qu’encore une fois, les «décolonialistes » évitent de mettre en avant d’autres vérités qui entrent en contradiction avec leurs thèses révisionnistes et ethno- communautaristes : «Nous ne pouvons pas croiser les bras (…) Nous voulons le bien. Si le mal se fait chez nous, nous voulons le savoir et le réprimer» déclare le souverain belge dès qu’il reçoit les premiers rapports qui évoquent des crimes raciaux. En 1895, il signe un décret qui met en place une institution juridique chargée de stopper et punir les responsables de ces crimes qu’il condamne. Une Commission pour la protection des indigènes fut même érigée et sous son contrôle direct. Même si les ordres du roi ne furent pas toujours suivis à la lettre.
«Nous sommes antiroyalistes et antimonarchistes mais nous ne faisons pas partie des gens qui veulent déboulonner des statues, changer les noms de rues et effacer l'histoire ou l'héritage culturel» a déclaré à la RTBF, le parti indépendantiste flamand, le Vlaams Belang. La pétition a fait monter aux créneaux différents partis politiques y compris les opposants à la monarchie alors que des manifestations sont prévues dans les heures, les jours à venir afin de protester contre «ce racisme institutionnel actuel». Elles entendent faire pression sur le gouvernement royal afin qu’il présente ses excuses officielles aux congolais pour tous les meurtres qu’il a organisé durant la période coloniale. Oubliant au passage qu’en juin 2018, la ville de Bruxelles a baptisé une place de la capitale du nom de Patrice Lumumba, du nom de ce héros de l’indépendance sauvagement assassiné, et qu’elle a fait rénover comme rebaptisé son ancien musée colonial dans une sorte de curieux mea culpa.
«Cette statue n’a pas sa place à Bruxelles, avec ses 118 quartiers représentant près de 200 nationalités et en tant que capitale de la Belgique et d’Europe» précisent les organisateurs de la pétition et qui exigent que toutes les statues soient retirées avant le 30 juin 2020. Une date qui correspond au 60ème anniversaire de l’indépendance du Congo devant permettre à la «décolonisation de l’espace public». «Il n'est pas un roi esclavagiste, il a seulement délégué des pouvoirs à certaines personnes pour gérer la colonie. Le Roi ne peut être tenu pour responsable de ce qu'ils ont fait de leur mandat. Le Roi à fait don de sa colonie à l'état belge» ont répondu les soutiens à la mémoire au roi Léopold II et qui ont mis en ligne sur le site Change.org, une contre- pétition intitulée : «Pétition pour le maintien des statues de Léopold II ». «Un pays qui ne peut assumer son histoire ne peut exister » rappellent-ils très justement au sein d’un débat qui divise encore très profondément la Belgique.
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