Depuis plusieurs jours, des voix s’élèvent pour que le roi des Belges prenne part au débat qui secoue son royaume et présente des excuses officielles pour le rôle joué par son prédécesseur, Léopold II, dans la colonisation du Congo. Depuis le déclenchement mouvement Black live matter, la Belgique n’en finit pas de se diviser sur ce souverain accusé par ses détracteurs d’avoir orchestré un génocide , un héros pour les autres. Un chapitre de l’histoire belge qui divise jusque chez les Saxe-Cobourg-Gotha et dont les membres se déchirent sur cette question par voie de presse.
C’est le prince Laurent de Belgique qui a sonné la charge, le premier, dans la presse. «Vous devez savoir qu'il y avait beaucoup de gens qui travaillaient pour Léopold II et ceux-là ont vraiment abusé, mais ce n'est pas pour ça que Léopold II a abusé» a déclaré le frère du roi Philippe. Le sujet agite la Toile comme la société belge qui n’en finit pas de débattre sur son ancien souverain, également roi du Congo. Considéré comme sa colonie personnelle et qu’il a léguée à la Belgique en 1909, à son décès, Léopold II était-il ce «monstre» décrié par les militants du Black lives matter (« La vie des noirs comptent ») qui se sont attaqués à ses statues et obtenus leurs déboulonnages ou retraits, un peu partout en Belgique ? Le royaume va-t-il devoir faire face à ses anciens démons et faire mea culpa de son histoire coloniale et de sa décolonisation particulièrement violente. Autant de questions sans réponses mais qui ont atteint le palais de Laeken qui reste pour l’instant silencieux face aux multiples demandes des mouvements anti-racistes.
«Si le dossier de la colonisation du Congo par la Belgique et des exactions qui y ont été menées est complexe et pas encore complètement vidé, il se double d’une dimension plus émotionnelle au Palais royal » peut-on lire dans les colonnes du journal « Le Soir ». Car si le roi Philippe n’a pas pris la parole, les cadets de la maison royale se sont chargés de le faire pour lui avec certaines nuances. dans la presse « Il n'est jamais allé au Congo lui-même. Donc, je ne vois pas comment il a pu faire souffrir des gens sur place » renchérit l’enfant terrible de la maison royale. Le prince Laurent est agacé par cette polémique et le fait savoir tout en rappelant toutefois qu’il s’était déjà excusé «(...) pour les actions que les Européens avaient fait par rapport aux Africains en général». Pour l’arrière-petite nièce de Léopold II, la princesse Esmeralda, le «débat est urgent». Je pense qu’il est très important qu’on évoque le problème des excuses» a réclamé la fille du roi Léopold III, lors d’une interview.
Pour les familiers de la maison royale, cette campagne est très mal perçue au sein de la dyanstie régnante. D’autant qu’elle pourrait toucher bientôt une autre figure auquel le roi Philippe est très attaché, celle du roi Baudouin Ier. C’est sous son règne que la Belgique a entamé une longue décolonisation de ses territoires en Belgique et dont le discours lors de l’indépendance du Congo, basé sur les seuls réussites des belges en Afrique, avait mis le feu aux poudres. «L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'oeuvre conçue par le Roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique» avait lu Baudouin Ier devant un parlement médusé par l’affront. Le travail des historiens belges sur le sujet a été très fourni et a démontré plus d’une fois la responsabilité du gouvernement royal dans certains massacres ethniques ou complots visant à se débarrasser de politiciens trop indépendants comme ce fut le cas pour le premier ministre congolais Patrice Emery Lumumba, le prince Louis Rwagosore comme d’autres membres de la maison royale burundaise des Ntare. Une décolonisation qui «n’a jamais été vraiment débattue» selon la princesse Esmeralda qui renchérit : «Pour vraiment terminer ce passé tellement douloureux (avec) ces crimes, ses exactions, il est important que les pays européens et la Belgique en particulier reconnaissent leur responsable, présente des excuses» affirme-t-elle.
Le roi doit-il présenter des excuses ? Le prince Laurent pense que non et met en avant toutes les réalisations modernes entreprises par le roi Léopold II au Congo. «C’est le gouvernement qui doit le décider. Le roi ne pourra jamais le faire de lui-même. Mais ce serait évidemment très fort si le gouvernement et le roi le font ensemble étant donné le côté personnel de la famille royale dans ce débat» déclare la princesse Esmeralda qui cite en exemple le courage du président Emmanuel Macron qui a dit que la «colonisation en Algérie française était un crime contre l’humanité». «Il ne faut pas se cacher que c’est difficile. Le président français a eu le courage de le dire -, il a eu beaucoup de retours de bâton. C’est un sujet qui est très délicat et qui ne devrait pas l’être. En fait, on n’a jamais eu cette conversation, cette éducation qui est tellement essentielle pour comprendre le passé et comprendre le racisme actuel » continue la princesse qui a fait, il y a peu, les titres de la presse britannique pour avoir participé à une manifestation du mouvement écologiste «Extinction Rebellion». «II est évident que le fait d’avoir des statues de colonisateurs et en l’occurrence de Léopold II fait partie de l’hégémonie blanche. Tout l’espace public est rempli par nos statues, par nos colonisateurs, par nos marchands d’esclaves par exemple au Royaume-Uni. Pour les minorités, c’est quelque chose de très douloureux car il n’y a pas de contrepartie, il n’y a pas de monuments aux esclaves, aux colonisés» conclu la princesse lors de son interview.
Un avis que partage Patricia Van Schuylenbergh, officiant à l’Africa Museum, anciennement «Le musée royal de l'Afrique centrale», rebaptisé en 2018 suite à la pression de mouvements indégénistes l’accusant de faire l’apologie du colonialisme. «La monarchie doit descendre de son piédestal. Il y a une prise de responsabilité qui doit être faite» déclare cette historienne. «Il serait utile que la monarchie puisse faire un pas en direction de cette histoire et reconnaisse qu’on ne peut pas se voiler la face continuellement» explique-t-elle à la RTBF. « Léopold, chef indépendant de l’Etat du Congo, n'agissait pas en sa qualité de Roi des Belges au Congo» rappelle, tout aussi agacé que le prince Laurent, le constitutionnaliste et sénateur honoraire, Francis Delpérée, qui estime qu’il faut faire la part des choses entre les deux titres du souverain et dont la responsabilité ne peut être jugé de la même manière. Sur un autre plan, c'est aussi l'action du roi Albert II qui est mise en avant par certains. Il ne s'est jamais impliqué dans les relations avec le Congo déplore t-on dans les milieux africanistes qui évoquent une seule visite officielle en Afrique cenrale, il y a 10 ans, et où il n'avait pas présenté d'excuses alors que c'était très attendu.
A la veille du 60ème anniversaire de l'indépendance du Congo (-Kinshasa), divers partis politiques exigent que la maison royale présente des excuses comme le CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) ou le Sp.A (Socialistische Partij Anders) qui voient dans cette date un «bon moment» pour faire acte de repentance. Un dossier que n’entend cependant pas ouvrir, et pour l’instant, la première ministre Sophie Wilmes, dont la mission touche à sa fin, mais qui continue d’empoisonner comme diviser la maison royale de Belgique.
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