Il porte un nom illustre, source intarissable de tous les fantasmes présents dans notre subconscient. Dans les veines de l’archiduc Mickael de Habsbourg-Lorraine coule l’histoire d’un pays qui a décidé de sceller son destin à celui de l’Autriche, en 1867. Interviewé par le journal américain «National Catholic Register » en mars dernier, celui qui a été ambassadeur pour l’Ordre souverain et militaire de Malte jette un regard attendrissant sur le passé royal de sa famille et celui d’une Hongrie, aujourd’hui nostalgique de sa grandeur d’antan.
Il a deux ans quand son père et sa mère, l’archiduc Joseph (1895-1957) et l’archiduchesse Anna de Saxe (1903-1976), décident de quitter précipitamment Budapest, prise en étau par les panzers nazis de la Wehrmacht et les chars soviétiques de l’Armée rouge. Le royaume de Hongrie vit ses derniers mois d’existence. Nous sommes en 1944. Pour Mickael de Habsbourg-Lorraine, c’est un long exil qui commence et une histoire qui se répète pour les Palatins, cette branche cadette de la maison impériale installée dans cette partie de la Mitteleuropa depuis le XVIIIème siècle. Lorsque la monarchie chute en octobre 1918, son grand-père, l’archiduc Joseph -Auguste (1872-1962), tente de sauver ce qui reste d’un empire brisé. La guerre civile ne va pas tarder à éclater et une république des Conseils, présidée par Bela Kun, va bientôt pourchasser tout ce qui ressemble à un Habsbourg ou à un de leurs partisans, rassemblés au sein du Mouvement légitimiste hongrois (Legitimista Párt). Nommé «Homo regius » (Homme du roi) par l’empereur- roi Charles Ier (IV) peu avant la révolution, le régent Joseph-Auguste revient au pouvoir le 6 août 1919, à la tête d’un contre gouvernement anti-communiste et dominé par les royalistes. L’attitude du régent est encore sujette à controverse. Chargé de préparer le retour de Charles Ier, il tente de se poser lui-même en alternative. « Je me souviens de lui comme d'un vieux monsieur. Il a fui aussi la Hongrie en 1944 et s'est rendu à Ratisbonne, en Allemagne, alors que ma famille a préféré partir au Portugal. C'était un grand patriote et un soldat, très lié au peuple hongrois, qui le surnommait «Père Joseph», car il s’occupait toujours des veuves et des enfants des soldats tombés au front » garde en mémoire du régent, l’archiduc Mickael de Habsbourg-Lorraine.
L’idée d’un Habsbourg sur le trône ne fait pas l’unanimité mais bel et bien l’objet de tractations. Le Quai d’Orsay propose un prince belge ou britannique, le Parti national-chrétien de Hongrie en appelle au Vatican qui donne son accord à une restauration de la monarchie, celui des Petits propriétaires réclame l’élection d’un autre magnat (noble) à la tête du pays quand la Tchécoslovaquie s’oppose déjà à un retour de Charles Ier sur son trône. Dans cette foire diplomatique européenne, un homme va tirer son épingle du jeu, l’amiral Horthy qui s’impose peu à peu comme l’homme incontournable que tous vont bientôt s’arracher. Dans ses mémoires (1954), il affirmera avoir été surpris par le choix du parlement qui le place à la tête d’une nouvelle régence débarrassée de ses marxistes. La vérité est tout autre. Le royaume de Hongrie retrouve ses regalia, Joseph-Auguste continuera à siéger à la Diète (Parlement) et Charles tentera vainement de récupérer par deux fois (1921) son trône. Pour Mickael de Habsbourg-Lorraine, l’échec de la restauration à ses coupables désignés : «les pays de l’Entente et les francs-maçons obnubilés par la destruction de l’empire catholique austro-hongrois» précise le prince.
«J’ai grandi au Portugal et on parlait uniquement en hongrois. Mon père était persuadé que nous rentrerions un jour et il a fini par m’envoyer dans une école anglaise quand j’ai eu 13 ans » poursuit le prince qui raconte ses soirées passées avec un autre monarque exilé, le roi Humbert II d’Italie. Un souverain qui sera son témoin de mariage avec la princesse Christiana de Löwenstein-Wertheim-Rosenberg. Le comte de Paris, Henri d’Orléans, le roi Carol II de Roumanie, la reine Jeanne de Bulgarie, le roi d’Espagne (en devenir) Juan Carlos, autant de princes en exil qui venaient le voir à Estoril. Il éprouve une admiration pour son cousin, l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, prétendant au trône décédé en 2011, qui va mobiliser tous ses réseaux pour soutenir la « révolution de 1956 ». Un crève-cœur pour les Habsbourg-Lorraine qui voient une chape de plomb se refermer sur la Hongrie, mise en place par le régime communiste et avec l’aide de Moscou.
«J’ai été le premier à prendre le risque de traverser le rideau de fer au début des années 1980. La police a rapidement été avertie de ma présence et nous suivait, avec ma femme, mes enfants, alors âgés entre 8 et 13 ans, dans tous nos déplacements. Je devais même leur donner le lieu de tous mes hôtels » explique Mickael de Habsbourg-Lorraine qui évoque également ces hongrois croisés à Piliscsaba, une ancienne propriété de chasse familiale, se souvenant de ses parents. «Ce furent des moments très émouvants et intéressants que nous avons eu ensemble. C'était très beau » ajoute le prince. Le 19 août 1989 est une date qui reste dans sa mémoire. Le mouvement de la jeunesse paneuropéenne ouvre les fils barbelés qui longent la frontière hongroise. Un événement que l’histoire retiendra sous le nom de « pique-nique paneuropéen » et qui marque le premier chapitre de la fin du communisme. Parmi ceux qui coupèrent les fils barbelés pour permettre aux hongrois de s’échapper, l’archiduc Otto, sa fille Walburga et l’archiduc Edouard, le fils de Mikael, aujourd’hui ambassadeur de Hongrie au Vatican. Les Habsbourg avaient bravé les policiers qui finalement n’avaient pas tiré dans la foule.
Le retour des Habsbourg en 1990 à la tête de l’état hongrois ? « Lors des élections législatives en 1990, nous n’étions pas sur si le président serait élu au suffrage universel ou par le parlement. Certains partis et de nombreuses personnes ont émis l’idée de faire élire Otto. D'après les résultats des sondages, il aurait été élu à une large majorité. Mais le Parlement a finalement décidé de choisir le président lui-même. Il n'était plus possible pour Otto de se présenter aux élections. Nous l’attendions tous et si il en avait été autrement il aurait eu le même destin que le roi Siméon II de Bulgarie » assure Mickael de Habsbourg-Lorraine.
Être un Habsbourg, c’est aussi un gage de fidélité au catholicisme. « Retournez à vos racines chrétiennes ! » disait l’archiduc Otto. »C'est exactement ce que fait la Hongrie à l'heure actuelle» affirme le prince qui ne cache pas sa proximité avec le gouvernement Orbán qu’il a conseillé sur les questions d’éducation et de famille. Il entretient même une amitié avec le vice-Premier ministre Zsolt Semjén, catholique et dirigeant du Parti populaire démocrate-chrétien (KDNP). « Je suis revenu en 1995. L'important pour moi, était d'aider à reconstruire le pays d'un point de vue moral et religieux, mais en restant loin de la politique. Le communisme a fait du mal aux hongrois et avec l’aide du Saint-Siège, Jean Paul II, j’ai fait construire de nombreuse écoles ». Un prince qui, au nom de l’Ordre de Malte dont il a été ambassadeur de 2013 à 2017, a dû gérer la crise des migrants en Hongrie. « Une expérience intense et forte en émotion » explique-t-il
Un de ses fils, Paul, est prêtre au sein des Légionnaires du Christ. Mickael de Habsbourg-Lorraine, qui lutte pour la canonisation du cardinal József Mindszenty, se dit fier que la Hongrie ait remis la religion catholique au centre de sa constitution qui protège la « famille, le mariage d’un homme et d’une femme, et rien d’autres » dit-il un brin conservateur. Chez l’archiduc, pas question de critiquer le Pape François. Il fustige même ceux qui l’attaquent quotidiennement. « Le pape est le pape. Il est inspiré par le Saint-Esprit et conduit l'Église vers Dieu. Je pense qu'il est anormal de le critiquer. Ceux qui se considèrent comme traditionnalistes devraient plutôt prier davantage pour lui, au lieu de le critiquer à tout bout de champs » conclu celui qui reste encore l’ultime témoin d’un passé révolu mais persistant en Hongrie.
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