Après Edward Colson, les premiers ministres Winston Churchill et Robert Peel, Francis Drake, Robert Milligan, Cecil Rhodes ou même Gandhi, c’est au tour du mémorial ou des différentes statues érigées en hommage à la reine Victoria de subir les affres de militants du mouvement Black Lives Matter («les vies noires comptent»). Accusant la souveraine de colonialisme et de soutien à l’esclavage, ils réclament désormais que les symboles de la royauté britannique soient enlevés de leurs socles et renvoyés dans des musées. Une situation inédite qui menace de dégénérer en débat politico-racial au Royaume-Uni.
Le mémorial de la reine Victoria va-t-il subir le même sort que la statue du roi Léopold II, enlevé hier de son socle suite à la décision de la mairie d'Anvers ? Erigée devant l’Hôtel de ville de Leeds, qui a connu un essor industriel important sous son règle, la statue de la reine Victoria a été recouverte de graffitis. Ce matin, on peut encore lire les mots «éduquer», «coloniser» et «propriétaire d'esclaves», taggués à la peinture sur son mémorial. Si la mairie affirme ne pas pouvoir ientifier les auteurs de ce crime de lèse-majesté, pour la presse britannique, les auteurs de cet acte ne sont autres que les militants du Black Lives Matter (BLM). Un mouvement qui échappe désormais à tout contrôle.
Né à la suite de la mort par étouffement de l’afro-américain George Floyd, ce mouvement de vaste ampleur mondiale manifeste contre le racisme et les violences policières. Auto-proclamé impitoyable inquisiteur de l'Histoire, le BLM a désormais détourné son combat initial pour le transformer en vaste débat ethno-communautariste revendicatif. Après la Belgique et la France, c’est donc au Royaume-Uni de devoir s’expliquer sur la présence dans ses villes des symboles liés à son passé colonial. Les pétitions se sont multipliées, avec plus ou moins de succès, afin de réclamer le retrait de toutes les statues incriminées. Trafiquant d’esclaves, la statue d’Edward Colson a été la première à subir la colère des manifestants. Déboulonnée de son socle avec des cordes, Eelle a été mise à terre le 7 juin et piétinée par une foule en colère à Bristol. Avant d'être jetée dans le fleuve. La ville avait érigée la statue afin de rendre hommage à un homme, bienfaiteur de sa ville et qui avait fait preuve de repentance à la fin de sa vie, hanté par ses propres fantômes.
Premier ministre du Cap et fondateur de la Rhodésie (actuel Zimbabwe), le BLM réclame également que la statue de Cecil Rhodes soit enlevée de l’université d’Oxford et a lancé une campagne intitulée « Rhodes must fall » (Rhodes doit tomber). Toute la journée d'hier, ils ont été des milliers à avoir manifesté devant ce prestigieux établissement, avec le soutien de quelques professeurs qui rappellent que ce n’est pas la première fois qu’une telle demande est exprimée par les étudiants. Selon Ndjodi Ndeunyema, organisatrice de cette manifestation, «la présence de cette statue est un affront à ceux qui soutiennent au sein de l'université des mouvements tels que Black Lives Matter. Rhodes n'est pas digne d’être vénéré ou de glorifié en raison du racisme et de idées d’assujettissement qu'il représente» explique t-elle, faisant fi de toute approche historique et refusant de les re-contextualiser dans son époque. Celle de Winston Churchill a également été la victime du BLM. Accusé d’être un raciste, pour des militants de Westminster, le héros de la Seconde guerre mondiale est la représentation même du colonialisme britannique. Afin de motiver leurs demandes, ils ont ressorti des discours du premier ministre qui dénonçait l’existence d’un bolchévisme juif au Royaume- Uni (1920) quand il ne justifiait pas l’utilisation de gaz toxiques dans sa répression contre les irakiens.
C’est au tour de la monarchie britannique d'être attaquée dans ce qu’elle a plus de symbolique. Les monuments de Woodhouse Moor ou celui de Hyde Park qui représentent la reine Victoria, une souveraine qui a considérablement marqué l’histoire britannique, ont été successivement dégradés par des militants du BLM qui reprochent à l’arrière-arrière–grand-mère de la reine Elizabeth II d’avoir cautionné le colonialisme et institutionnalisé un racisme d’état. Oublié donc le fait que ce monarque en dentelles soit montée sur le trône 3 ans après le vote d’une loi abolissant l’esclavage sur l’ensemble de l’empire ou même qu’elle ait été la marraine de la princesse africaine Sara Forbes Bonetta, vendue comme esclave et ensuite libérée, sous la protection de la future impératrice des Indes. La grand-mère de l'Europe qui noua une relation étroite avec son «munshi», Mohammed Abdul Karim. A Leeds, si le conseil municipal a déclaré qu’il «soutenait la liberté d’expression (…), il a précisé que des graffitis de cette nature ne seraient pas tolérés et seraient enlevés du mémorial» qui est installé depuis 1905 dans celle ville du Yorkshire. Une attaque qui divise les britanniques comme la classe politique. Dans une note adressée à tous ses élus, le Labour (Parti travailliste) leur a demandé de prendre contact avec les leaders des différentes communautés des villes où ils exercent un mandat afin de voir par quels moyens, ce problème pourrait être résolu et comment les statues pouvaient être déplacées. Ehtasham Haque, conseiller municipal travailliste d’East London a d'ores et déjà obtenu que la statue de Robert Milligan, ce marchand d’esclave qui a fait fortune en Jamaïque et fondateur des docks de la capitale du Royaume-Uni, soit enlevée et renvoyée dans un musée.
«La diversité culturelle de notre capitale est notre plus grande force, mais nos statues, noms de routes et espaces publics qui reflètent une époque révolue n’ont plus rien à y faire» a déclaré le maire de Londres, Sadiq Khan. Si le gouvernement du premier ministre Boris Johnson, interrogé sur les dégradations perpétrées sur les symboles de « Great Britain» a reconnu qu’il ne «pouvait pas ignorer cette forte et profonde émotion» venue des manifestations, ce n’est pas pour autant que les conservateurs entendent laisser s’installer de telles revendications. Ainsi le chef de la police de Bristol a été convoqué manu militari par le ministre du Tourisme. Le Haut-fonctionnaire a exigé des explications sur l'attitude des policiers qui n'ont rien fait pour protéger la statue de Colson. Une leçon qui a été entendue. Depuis peu, celle de Winston Churchill bénéficie d’une protection journalière. Un débat qui menace pourtant de dégénérer en conflit racial dans la capitale. Dans un communiqué, l’English Defense League, un important mouvement d’extrême-droite, a accusé la police de collusion avec les manifestants et menacé d’intervenir directement dans les rues de la Londres si les symboles de «Britannia» n’étaient pas défendus comme il se doit.
La reine Victoria, une dégradation de trop ? Tard dans la soirée, hier, le porte-parole de Downing Street, la résidence du premier ministre, a exhorté la police britannique à assumer l’uniforme qu’elle porte et «de décider par elle-même de l'opportunité d’interventions si des manifestants issus du Black Lives Matter tentaient encore de faire tomber des statues ». Honni soit qui mal y pense.
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