« Le roi restera dans les mémoires comme un monarque visionnaire très aimé qui a apporté une contribution importante à l'identité culturelle, à l'unité nationale et au développement économique à la fois dans la province du KwaZulu et dans le pays dans son ensemble ». Puissant souverain traditionnel de la nation zoulou au verbe incendiaire le roi Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu est décédé hier à l’âge de 72 ans. Monté sur le trône en 1968 dans un pays qui vit sous le régime de ségrégation raciale, le monarque avait plus d’une fois réaffirmé son autorité et le caractère d'un peuple qui reste l’un des plus respecté et craint de toute l’Afrique. Participant au processus démocratique, il avait rejoint le combat du Président Nelson Mandela en dépit des objections de son propre camp. Anti-migrants et anti-gays, opposé à la loi de réforme de redistribution des terres, il s’était récemment allié à l’extrême-droite afrikaner et avait menacé à diverses reprises le gouvernement fédéral de faire sécession si celui-ci poursuivait ses objectifs qui portaient atteinte à ses regalia.
L’annonce du décès du roi Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu a bouleversé les programmes de la télévision sud-africaine. C’est le prince Mangosuthu Buthlelezi, ancien Premier ministre du monarque, qui a pris la parole en anglais et en zoulou afin d’appeler les sujets du roi à faire face à cette épreuve dans l’unité et dans le recueillement. Très rapidement, la classe politique sud-africaine, dans son ensemble, a rendu hommage au souverain. « Cette triste nouvelle est arrivée à un moment où nous avions tous espéré que Sa Majesté se rétablissait bien à l'hôpital où il se trouvait ces dernières semaines. Le roi restera dans les mémoires comme un monarque visionnaire très aimé qui a apporté une contribution importante à l'identité culturelle, à l'unité nationale et au développement économique à la fois dans la province du KwaZulu et dans le pays dans son ensemble » a déclaré le président Cyril Ramaphosa suivi de près par l’'ancienne présidente de la Commission de l'Union africaine Nkosazana Dlamini Zuma qui a regretté le décès du souverain. « Nous sommes très tristes et choqués par le décès du roi Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu. Le roi Zwelithini était le roi avec lequel j'ai travaillé dans le cadre de ma responsabilité au sein du gouvernement » a ajouté celle qui est aussi l’actuelle ministre de la gouvernance coopérative et des affaires traditionnelles. L’information de son décès a été immédiatement reprise par tous les médias internationaux et le monde subitement re-découvert l’existence de ce roi traditionnel qui régnait sur 10 millions de sujets, arrière-arrière–arrière petit-neveu de l’empereur Shaka surnommé « Le Napoléon noir ».
Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu n’a que 10 ans lorsqu’il monte sur le trône d’une nation fragmentée et d’un empire qui n’a plus de véritables frontières depuis la colonisation britannique. Il descend de l’empereur Cetshwayo kaMpande ce souverain dont les impis (régiments) ont infligé une sévère défaite aux tuniques rouges à Isandhlwana en janvier 1879 avant que l’humiliation ne soit vengée quelques mois plus tard par les soldats de sa « Gracieuse Majesté » qui invitera même le souverain à la rencontrer à Londres. Petite nation bantoue, c’est grâce au prince Shaka (« petite crevette ») que les amazoulous (« fils du ciel ») vont émerger comme puissance dans toute l’Afrique australe. C’est le Mfecane. Shaka impose son génie militaire sur une large partie du continent et soumet les tribus, les unes après les autres, qu’il unifie sous son règne. L’empire zoulou est né dans le sang et la terreur. Les guerriers sont astreints à une vie ascétique drastique qui ne laisse aucune place à la faiblesse. Tyrannique, Shaka finit par être la victime d’un complot ourdi par ses frères qui le font assassiner en 1828. L’empire tient sur ses bases mais sera régulièrement secoué par des guerres civiles, un véritable « games of throne » qui profite aux boers qui commencent à pénétrer dans tout le pays. Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu est l’héritier de cette histoire sanglante et lui-même ne va pas échapper aux turbulences d’une Afrique du Sud et de son régime de ségrégation raciale.
La régence est assurée par le prince Israel Mcwayizeni jusqu’à la majorité du roi en 1971 qui est couronné en grande pompe devant plus de 20000 personnes. Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu a peu connu son père, le roi Cyprian qui était contesté par plusieurs membres de sa famille. Alcoolique notoire, il s’était exilé à Sainte-Hélène, craignant d’être assassiné, côtoyant ainsi le fantôme de Napoléon Ier, grand consommateur de Constantia, le vin des vins blancs sud-africains dont on dit qu’il faisait venir des caisses entières du temps de son règne. Ironie de l’histoire, c’est aussi sur cette île que son grand-père, le roi Dinizulu, avait été exilé par les anglais, agacé par ses multiples révoltes. Entre deux études, Goodwill Zwelithini est un souverain absolu que l’on rencontre dans son palais et qui est l’objet d’une véritable vénération. Lorsqu’on évoque le nom de son père, le prince a du mal à retenir ses larmes. Le protocole royal est strict, on ne se saurait être au-dessus du fils du créateur Unkulunkulu. Derrière le trône, un autre homme. Chef Mangosuthu Buthlelezi, petit-fils de Dinizulu, dont le nom reste associé à l’histoire sud-africaine. Premier ministre du roi sans interruption de 1972 à 1994, c’est à lui que les zoulous doivent d’avoir retrouvé une province, un bantoustan autonome qu’il va diriger d’une main de fer. Il est celui vers qui tous les regards se tournent alors que Nelson Mandela, le leader de l’African national Congress (ANC) est en prison et que la culture zoulou est popularisée par le chanteur blanc Johnny Clegg. Entre les deux hommes une rivalité qui va atteindre son paroxysme à la libération de Mandela qui accuse le leader zoulou d’être un allié des partisans de l’apartheid. La famille royale va se déchirer, le roi Goodwill Zwelithini désavoue son oncle et les partisans des deux camps s’affrontent dans les rues de Durban. Le pays sombre bientôt dans la guerre civile entre 1992 et 1993, l’ancien régent rejoint l’ANC, le monarque craint à son tour d’être assassiné lors d'un rassemblement qui l'oblige a fuir en hélicoptère. Les tensions sont palpables et encore plus quand l’Inkhata Freedom Party se joint à la coalition d’extrême-droite qui entend faire barrage militairement à l’arrivée au pouvoir de l’ANC.
En septembre 1994, c’est la rupture. Buthelezi a accepté finalement de rejoindre les rangs du camp démocrate. On lui a offert le strapontin de ministre de l’intérieur d’une Afrique du Ssud débarrassée de ses oripeaux raciaux et qu’il va détenir jusqu’en 2004. Faute de régner, on confère à Goodwill Zwelithini des privilèges et une rente, objet de toutes les négociations chaque année avec le gouvernement fédéral. Le souverain se mue alors en personnalité politique et n’hésite pas à faire des déclarations publiques, toujours vêtu de ses attributs en léopard. Ces dernières années, il n’avait pas hésité à tirer à boulets rouges sur les migrants africains, qu’il accusait d’être responsables de « la montée de l'anarchie » dans le pays et avait ordonné leur expulsion de son royaume en 2015, générant une vague xénophobe qui avait fait des dizaines de morts et déplacés des milliers de personnes. Le roi avait pourtant nié être à l’origine des événements. « Si c'était vrai que j'avais appelé les gens à s'entretuer, le pays entier aurait été réduit en cendres » avait alors affirmé de sa superbe le monarque qui démontrait ici toute son influence. Goodwill Zwelithini n’était pas plus tendre avec les homosexuels. Niant l’existence même des gays, il avait déclaré « qu’il n'y avait rien de tel » dans son royaume et « que si vous étes l’un d’entre eux, vous devez savoir que vous êtes pourri de l’intérieur ». « L’homosexualité n’est simplement pas acceptable » avait déclaré le roi Goodwill dans un pays qui a été pourtant le premier en Afrique a donner des droits aux LGBT, et se disant favorable aux châtiments corporels dans les écoles.
Avec une fortune estimée à plusieurs millions d’euros, de nombreuses épouses et une trentaine d’enfants, un d’entre eux est appelé à devenir le prochain roi, Goodwill Zwelithini s’était engagé en 2018 dans un bras de fer avec le gouvernement qui entend redistribuer plus équitablement les terres arables aux sud-africains. Une réforme à laquelle le souverain était opposé et avait prédit de « déchainer les flammes de l’enfer » si l’ANC tentait de toucher à l’Ingonyama trust qui gère les terres de la famille royale tout en menaçant de proclamer l’indépendance de son royaume. Des déclarations prises au sérieux par l’ANC d’autant que le monarque avait signé une alliance avec l’extrême-droite afrikaner faisant craindre une résurgence des tensions ethniques et raciales. « Avec son décès, disparaît un symbole important de l'histoire, de la culture et du patrimoine » sud-africain a tweeté le président Ramaphosa qui devrait assister aux funérailles nationales du Grand Eléphant des Amazoulous.
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