La dynastie des Manga Bell, une histoire prussienne en Afrique
La dynastie des Manga Bell, une histoire prussienne en Afrique
La dynastie des Manga Bell est inconnue du grand public. Pourtant, elle demeure indissociable de la colonisation allemande et de l’histoire du Cameroun. Aujourd’hui encore, elle reste révérée à Douala.
Douala est la capitale économique du Cameroun. L’histoire affirme que ses premiers habitants auraient croisé des navigateurs carthaginois au IVe siècle av. J-C. Si rien ne permet de corroborer ce qui ressemble à une légende, elle marque cependant le point de départ de nombreuses explorations qui vont se succéder durant les décennies à venir. Portugais, Espagnols (qui vont d’ailleurs donner le nom de Cameroun au pays, un dérivé de « camarones » en raison d’un fleuve richement doté de population de crevettes) puis enfin missionnaires français vont venir à la rencontre des peuples Sawa qui habitent près des rives du Wouri. Les côtes du Cameroun ne vont pas tarder à se border de comptoirs, prélude à la colonisation du pays par les Européens.
Le Despotic King Bell unifie les royaume Doo-Doo
Français, Anglais et Allemands développent leur commerce. Le royaume Doo-Doo a été unifié en 1756. Il connaît une réelle apogée sous le règne de Bell Ier (Bélé ba Doo) qui a fondé une dynastie puissante, guerrière et riche de son commerce d’huile de palme et de la vente des ivoires. Il a créé une monarchie héréditaire mais dont le monarque n’est pas forcément le premier des mâles nés. Le choix du successeur restant à la discrétion du souverain alors en place. Bell Ier est un négociateur qui ne souffre pas que l’on remette en cause son autorité. Il sera d’ailleurs surnommé le « Despotic King Bell » par les Britanniques qui espèrent signer des accords juteux avec ce roi.
Le Kamerun, une histoire prussienne
Avec la course à la colonisation à l’heure ou Paris se taille une part du lion en Afrique de l’Ouest et centrale, le Cameroun excite les appétits. C’est l’Allemagne qui va pourtant tirer son épingle du jeu et damer le pion à la France et le Royaume-Uni. Le 12 juillet 1884, le roi Ndumbé Lobé Bell IV (1839-1897), qui règne depuis un quart de siècle sur le royaume, décide de céder intégralement sa souveraineté à deux compagnies maritimes de Hambourg qui se sont déjà implantées dans d’autres parties de l’Afrique. La Prusse va planter le drapeau du Kaiser Guillaume Ier dans ce qui va s’appeler désormais le Kamerun sur les cartes du monde. Le roi Bell IV reçoit en compensation une énorme somme d’argent et peut régner tranquillement à l'ombre du protectorat de l’aigle impérial. Londres a manqué de s’emparer de cette colonie en devenir, n’ayant pas daigné répondre à ce souverain qui avait pourtant fait appel à eux afin de l’aider à résoudre un litige commercial avec l’ethnie Akwa devenue trop indépendante à ses yeux. En apprenant la signature du traité, les commerçants britanniques tenteront bien de soulever certains commerçants contre le roi, oubliant que la Prusse a de quoi réagir militairement. 25 Africains et un Allemand seront tués dans les affrontements contre le souverain.
Le prince Rudolf Douala Manga Bel, un héros de l'anti-colonialisme
Les relations entre Bell IV et le nouveau gouverneur Julius von Soden seront tendues. Ce dernier est un des architectes de la colonisation allemande en Afrique. On ne lui pas laissé d’instructions mais il est pétri des théories raciales de l’époque. Il tente de réduire l’autorité du monarque vieillissant, exile le prince Manga Bell, son fils, au Togo sur le seul motif que celui-ci parle anglais. Ndumbé Lobé Bell IV meurt en 1897, laissant derrière lui 90 épouses. Les tensions avec les Allemands vont finalement s'aplanir avec l’arrivée d’un nouveau gouverneur. La colonie se développe, prospère et les relations avec le nouveau souverain, Auguste Manga Bell V (1851-1908) seront sans remous. Un temps de répit, car la montée sur le trône de son fils, Rudolf Douala Manga Bell va s’avérer être plus compliquée pour les Allemands. Si le prince est âgé de 35 ans, a été éduqué dans les meilleurs écoles allemandes, il s’est déjà fait connaître par une lettre retentissante adressée au Reichstag, dénonçant les exactions des colons, les expropriations, les humiliations subies par son peuple. « (…) Nous ne voulons plus jamais avoir un poste d'assesseur, cela corrompt le gouvernement et transforme le bon et honnête pouvoir allemand en un pouvoir usuraire et malhonnête ! Remplacez-le par le consulat ! […] Nous sommes allemands et nous le resterons jusqu’à la fin du monde. Avec les plus humbles salutations à Sa Majesté l'Empereur Guillaume d'Allemagne et du Cameroun. », écrit le monarque. Le nouveau souverain échoue à faire expulser le gouverneur mais va continuer sa lutte pacifique. Une fidélité au pouvoir colonial peu récompensée. Accusé par la presse d’avoir fait appel aux Français et aux Britannique (un mensonge monté de toutes pièces), il est arrêté et exécuté le 8 août 1914. Encore aujourd’hui, il est un héros pour de nombreux Camerounais, un martyr de la lutte anticoloniale entouré d’une légende comme celle qui prétend qu’il était « immunisé contre les balles et que ce n'est qu'après qu'un esclave ait agité des feuilles de palmier au-dessus de sa tête qu'il a final ement pu être tué ». En 2022, la mairie de Berlin a inauguré une place en son nom, présentant ses excuses officielles pour ce qui est désormais considéré comme un crime colonial.
Un roi, partisan de la colonisation
Irrité par ces revendications, les autorités allemandes décident d’instaurer une régence et placent successivement des deux frères à sa tête. Une ambiguïté qui sera reprise par la France qui s’octroie une partie de colonie allemande (partagée avec le Royaume-Uni) après la Première Guerre mondiale. Ainsi règnent de 1916 à 1926, le prince Henri Lobé Manga Bell Ier puis de 1926 à 1932, le prince Richard Dina Manga Bell II avant d’être succédé par leur oncle, le prince Théodore Lobé Ndoumbé Bell (1876-1952). Il faut attendre le décès de ce dernier pour que le fils de Rudolf Douala Manga Bell, le prince Alexandre Ndoumb'a Douala Manga Bell monte sur le trône. Eduqué au sein du système colonial prussien dont il a appris tous les codes, il prend le parti de la France lors du Second Conflit mondial. Paris a compris tout l’intérêt qu’elle peut obtenir de ce nom influent qui fédère, Alexandre Manga Bell adhère au Mouvement républicain populaire (MRP) dont il est élu député (1845-1957), se positionnant contre l’abolition du travail forcé, véritable institution de ségrégation raciale, puis revendiquant la paternité de sa suppression, cristallisant les irritations des anti-colonialistes. Pis, il soutient l'idée de la mise place d’un double collège (l'un formé par les colons et l'autre par les indigènes), souhaitant promouvoir des élus Blancs afin de rester lui-même le seul représentant des Africains. Personnalité controversée, ce fêtard invétéré, amateur de femmes, tue son fils de deux coup de fusil en 1947, mais sera blanchi de toutes accusations grâce à ses amis coloniaux qui apprécient sa servilité. Il sera d’ailleurs un relais fidèle pour les Français de l’Indochine et de l’Algérie française. Il décède en 1962, deux ans après la proclamation de l’indépendance qu’il n’a jamais voulu.
En 1966, son neveu, René Douala Manga Bel VIII, est enfin sacré monarque de Douala après une longue régence et une longue querelle dynastique. Soldat français engagé en 1948, il se bat au Tonkin entre 1950 et 1952 sous les ordres du général de Lattre de Tassigny. Journaliste pour plusieurs périodiques de l’époque, ce chrétien dévoué a été un souverain aimé de son peuple. Membre du comité central de l’Union Nationale Camerounaise (UNC) de 1975 à 1980, ses rapports avec le gouvernement du Président Paul Biya seront empreints de méfiance et de respect. Il décède 2012. Jean-Yves Bebey Duala Manga Bell IX (68ans), le benjamin de ses fils, naturopathe de son état, occupe depuis le trône de Douala. Une monarchie réduit à sa plus simple fonction au Cameroun.