« Il y'a des gens qui veulent toujours revenir en arrière mais nous vivons aujourd'hui dans un monde totalement différent»
Roi Ahmad Fouad II (2011)
Longtemps ostracisée par les différents chefs d’états qui se sont succédé depuis le coup d’état de 1952, la monarchie a été accusée de tous les plaies de l’Egypte dans les livres officiels d’histoire, la famille royale largement diabolisée. Depuis la chute du président Hosni Moubarak en 2011, la mouvance royaliste a refait surface, la maison royale a été depuis réhabilitée et enfin, les égyptiens peuvent se réapproprier aujourd’hui leur histoire.
L’exposition consacrée à la monarchie au musée national du Caire rencontre depuis quelques jours un succès inattendu. Portraits des Khédives, statues des anciens rois, objets de décorations provenant de l’ancien palais royal, les anciens sujets du dernier souverain, Ahmad Fouad II, se sont précipités pour admirer ce qui est désormais une fierté nationale. Fouad II est encore dans les langes lorsque son père le roi Farouk (1920-1965) doit s’exiler, le 26 juillet 1952. Critiqué pour ses goûts de luxe, ses frasques amoureuses et son incapacité à réduire la corruption rampante au sein de son gouvernement auront eu raison d’une monarchie baptisée à l’ombre des pyramides, en 1805. Tour à tour Khédives, pachas et rois, c’est 10 souverains qui vont se succéder jusqu’en 1952, régnant à la fois sur l’ancienne terre des pharaons et sur celle de Nubie (actuel Soudan).
Sous tutelle de la « Sublime Porte », l’empire Ottoman, c’est les anglais qui imposent finalement leur protectorat à un pays qui érige bientôt l’égyptologie en religion d’état. La montée du nationalisme (Parti Wafd) et celle de l’islamisme (mouvement des Frères musulmans) vont bientôt rendre le pays difficilement gouvernable. La monarchie sera finalement abolie le 18 juin 1953 par un Gamal Abdel Nasser soucieux de s’en débarrasser définitivement. Longtemps décrits comme des despotes paresseux, les rois d’Egypte sont désormais perçus avec un mélange de curiosité et de nostalgie. Il n’est pas rare, bien que ce soit encore timidement, de voir les drapeaux de l’ancienne monarchie, flotter dans les manifestations anti-gouvernementales. Sur les réseaux sociaux, les pages consacrées à la monarchie, en anglais comme en arabe, se sont multipliées. Au début des années 2000, un parti royaliste égyptien s’est même constitué mais afin d’échapper à la censure du gouvernement s’est déclaré apolitique, culturel et historique. C’est à travers un long processus de réhabilitation que le roi Fouad II a retrouvé une certaine aura parmi ses anciens sujets. Venu discrètement 4 fois dans son pays au début des années 1990, Fouad II a été au centre d’un documentaire consacré à l’histoire de sa maison en 2007 et un temps, pressenti pour occuper un poste de représentant culturel en Egypte. Homme de réconciliation (il a condamné à diverses reprises les attentats contre les coptes), il n’a pas hésité à prendre position comme en février 2011 lors de la « révolution du Nil » où il exprimait son souhait de voir «plus de démocratie, une amélioration des conditions de vie des Égyptiens et le retour à la stabilité (..) ».
Sur les photos d’antan publiées sur l’ensemble des réseaux sociaux (la page officielle du prétendant au trône compte pas moins de 160 000 abonnés), les commentaires sont quasi unanimes. L’Egypte semblait plus calme et plus ordonnée, les villes donnaient l’apparence d’êtres sécurisées et propres. Pour autant, les internautes n’appellent pas forcément à la restauration de la monarchie. Agé de 67 ans, Fouad II le reconnait lui-même : « il y'a des gens qui veulent toujours revenir en arrière mais nous vivons aujourd'hui dans un monde totalement différent ». Bien qu’en 2013, au plus fort de la crise politique avec les Frères musulmans, il n’avait pas hésité à déclarer que « l’Egypte (était) dans un tel désarroi que seule la présence d’un roi au-dessus des partis, agissant comme un arbitre » semblait être une solution nécessaire. En vain. L’armée s’était finalement chargée de mettre fin à l’instabilité, avait embastillé les Frères musulmans et le roi de finalement rallier le nouveau dirigeant, le maréchal Abdel Fattah Al Sisi.
«Chaque fois que les gens sont malheureux, ils se souviennent de périodes plus agréables et romancent le passé», constate Yasmine El Dorghamy, chargée de conférences sur l'art à l'université américaine du Caire et éditrice d’un magazine sur l'art égyptien. Elle réfute d’ailleurs toute idée de renouveau monarchiste en Egypte mais évoque plus un regain d’intérêt pour l’histoire nationale. Même si elle reconnaît volontiers que la famille royale, d’origine turco-albanaise, a permis au pays de se moderniser et de le stabiliser : « À l'époque de la monarchie, les gens étaient plus détendus, les rues étaient plus calmes et il y avait plus de temps pour réfléchir (…) ». Il faut avouer que « l’exposition suscite un grand d’intérêt pour la famille royale. Le prix des vieux magazines égyptiens et des éditions anciennes qui distillaient des nouvelles et des photos de la famille royale a explosé » surenchérit-elle.
Père de 3 enfants et 2 fois grand-père, régulièrement invité aux inaugurations par le gouvernement, le roi Fouad II réside actuellement entre la Suisse et le Caire.
Frederic de Natal
Paru le 13/03/2019