Dernier monarque d’Egypte, il incarne encore un passé révolu et la grandeur d’une monarchie balayée par le khamsin, ce vent du sud transportant du sable chaud. Dernier témoin d’une époque qui continue encore de fasciner, alors que le virus du covid-19 ne les épargne pas, le roi Fouad II a décidé de s’adresser à ses compatriotes depuis les réseaux sociaux. L’occasion de revenir sur le destin d’un souverain dont l’histoire a décidé de priver de sa couronne dès le berceau.
«Ce sont des jours difficiles que le pays va devoir affronter comme toute l’humanité. Je souhaite de tout mon cœur que les tristesses s’effacent et que les sourires reviennent sur nos visages ». Publié sur sa page Facebook, l’ancien monarque égyptien Fouad II a adressé un message de soutien à ses compatriotes. Alors que son visage s’étale régulièrement dans les journaux, le descendant de Méhémet Ali, le fondateur de la dynastie, pourtant « de nature réservée », de son propre aveu, entend être au chevet de son pays frappé par le coronavirus Covid-19.
« Je sais très bien que l'Empire (ottoman) est à son déclin... Sur ses ruines je vais construire un vaste royaume... jusqu'aux fleuves Euphrate et Tigre» avait déclaré le pacha Mehémet Ali, chargé par la Sublime Porte de reconquérir son territoire nord-africain tombé aux mains des soldats français du général Bonaparte. Vice-rois, khédives, sultans et enfin rois, ils seront onze à écrire les plus belles pages de l’Histoire contemporaine égyptienne. A l’ombre des pyramides, le vent qui bruisse dans les palmiers conte encore la formidable épopée de cette bataille, le 21 juillet 1798, qui va changer à jamais le destin de l’ancien royaume des Pharaons. C’est ici qu’un jeune corse de 29 ans va infliger la plus grosse défaite de leur histoire aux célèbres mamelouks. Affaibli, l’empire ottoman ne peut s’opposer à la montée en puissance d’un autre général, d’origine albanaise, qui va peu à peu s’affranchir de l’autorité d’Istanbul et fonder sa propre maison royale.
Lorsqu’il naît le 16 janvier 1952, le règne de son père, Farouk Ier, touche à sa fin. Miné par la corruption et les affres de l’occupation britannique (1882-1922-1956), le souverain est devenu «barbichu, ventripotent [la faute à la cuisine française dont il raffolait] et embagousé ». On est désormais loin de ce jeune adolescent fringant et d’une admirable beauté orientale, monté sur le trône en 1936, à 16 ans. Bordés par les papyrus qui jouxtent le Nil, le fleuve sacré devient rapidement le lieu de toutes les guerres d’influences britanniques, françaises et allemandes. C’est d’ailleurs ici, sous le regard éclatant de Râ, que la romancière Agatha Christie va écrire l’un de ses plus beaux romans. Le Caire, capitale de l’Egypte et du Soudan réunis sous une même couronne royale, fourmille de passionnés d’Antiquités, d’aventuriers et autres espions qui tentent de soudoyer vizirs et ministres d’une monarchie tiraillée entre le parti Wafd (laïc) et celui des Frères musulmans (fondamentalistes).
La création d’Israël, après la seconde guerre mondiale, horrifie simplement le souverain qui promet à qui veut l’entendre qu’il va organiser une « croisade » pour aider les palestiniens, victimes des « sionistes à la solde de Moscou ». Son obsession à se débarrasser de l’état juif alors que le pays connaît de nombreuses manifestations anti-gouvernementales vont le mener à sa perte. Peu préparées et faisant fin des conseils qui lui sont donnés, il lance ses troupes à l’assaut de Jérusalem qui reviennent aussi vite qu’elles sont parties. L’état-major va mal vivre cette défaite cinglante qui sonne le glas du règne de Farouk. La nomination de son beau-frère à la tête du ministère de la défense est le prétexte du déclenchement de la révolution, le 23 juillet 1952. Fouad n’a que 6 mois quand les premiers coups de feu se font entendre aux abords du palais royal. Appelé à l’aide, le premier ministre Winston Churchill refuse d’intervenir. Farouk se réfugie au palais Ras El Tin, fonce à toute vitesse avec sa voiture dans les rues du Caire, une main sur le volant, une mitrailleuse dans l’autre. 800 gardes soudanais entourent le souverain, tireur d’élite, qui abat lui-même quatre des assaillants qui assiègent le palais. Contraint finalement d’abdiquer, acculé, il prend finalement 3 jours plus tard le chemin d’un exil sans retour tandis qu’une régence, formée pour sauver les apparences est proclamée. La réalité du pouvoir est exercée alors par deux officiers militaires, dont un va laisser son nom dans le marbre des héros de l’histoire musulmane, Gamal Abdel Nasser.
Roi en couche culottes, Fouad II n’a pas conscience qu’un voile a recouvert son trône que l’on s’est empressé de jeter …aux poubelles. Emmené dans les bagages de son père, qui va traîner ses guêtres sur la Riviera française, c’est finalement le 18 juin 1953, que les « officiers libres » décident de décrocher le blason de sa dynastie, de tous les bâtiments officiels égyptiens. Ses parents se déchirent et sa mère, la reine Narriman Sadek, lassée des aventures galantes de son époux, fini par retourner dans son pays, laissant Fouad à son père emprisonné par ses vices sexuels. Un fils qu’elle ne reverra que peu et dont va se charger sa sœur, la princesse Férial (1938-2009).
Après Rome et Nice, Lausanne sera le prochain terrain de jeu du jeune prince qui devient peu de temps après, citoyen de Monaco. Ami de longue date du prince Rainier III et de Grâce Kelly, c’est cette dernière qui va s’occuper de l’éducation de l’héritier égyptien qui perd son père en 1965, peut-être empoisonné. S’en suit une longue bataille juridique entre la maison royale et l’ancienne souveraine qui souhaite récupérer son fils. Un enfant qui n’a d’elle que des photos en noir et blanc pour tous souvenirs. Fouad II parle français, anglais, l’arabe il ne le maitrisera pas avant ses 20 ans. Il sort de l’université de Genève avec son diplôme de sciences économiques et politiques, en 1975.
Le prince a acquis une conscience politique. Il manifeste en faveur de son pays, envoie des dons aux soldats durant la guerre de Yom Kippour, issus de la colossale fortune qu’il a reçue de son père, et soutient ouvertement le président Anouar Al Sadate qui jette un regard bienveillant sur le fils de son dernier pharaon. Farouk est rapatrié en grandes pompes en Egypte et le gouvernement restitue sa citoyenneté au prince dont il avait été soudainement privé en 1958. Il se lance dans le courtage immobilier, épouse en 1977 Dominique France Loeb-Piccard, une juive qui se convertit à la religion musulmane sous le nom de Falida. De ce mariage aussi retentissant que sera le divorce qui va durer des décennies, entre le roi et la bergère, 3 enfants, Mohammed- Ali (1979), Fawzia (1982) et Fakhreddine (1987).
La fin de la guerre froide permet à Fouad II de reposer les pieds en terre égyptienne. Des visites médiatisées, source d’espoirs bientôt vite douchés car c’est depuis la Suisse qu’il suit avec attention, le développement des dernières années de pouvoir du général Hosni Moubarak, qui ignore superbement l’héritier. Lors de la révolution de 2011, sur la place M?d?n at-Ta?r?r, certains n’hésitent pas à agiter les anciens drapeaux de la monarchie, appelant clairement au retour du «roi d’Egypte et du Soudan ». Le mouvement monarchiste n’est pas structuré, réprimé, survit grâce aux réseaux sociaux qu’il inonde de photos de l’ancien régime. Mais l’Egypte d’aujourd’hui n’est plus celle de l’Entre-deux guerres. « De nombreuses personnes m'ont demandé pourquoi je n'avais pas créé un parti monarchiste. Ce qui est absurde. Ce n'est pas ma conception de la monarchie. Par définition, un roi doit être au-dessus des partis. Il doit être le père de tous ses sujets, quels qu'ils soient. Je me suis tu aussi parce que je ne voulais pas que l'on m'accuse de profiter de la situation et d'ajouter au désordre régnant » avait expliqué le souverain au cours d’une interview au journal belge « L’Eventail» en 2013.
Que souhaite « Sa Majesté » comme il aime à être appelé ? Un poste « d’ambassadeur culturel » qui ne convainc pourtant pas y compris auprès du maréchal Al Sisi qu’il a rencontré et dont il a soutenu le coup d’état contre les Frères musulmans. «On ne gouverne pas une nation à coup de fatwas et en s'isolant du reste du monde » avait déclaré le roi qui a appelé à diverses reprises coptes et musulmans à s’entendre et cohabiter dans la paix, de s’éloigner de tout extrémisme religieux. Loin d’être rancunier, Fouad II a rendu hommage à Moubarak, lors de son décès, un « homme qui n’a pas su comprendre l’orgueil et la fierté des égyptiens ».
Et s’il y a bien une nostalgie de l’âge d’or de la monarchie, le succès du feuilleton télévisé consacré au roi Farouk en a été la preuve, elle n’est pas suffisante pour le rappeler sur son trône. L’avenir de la dynastie est assuré depuis 2017 avec la naissance du prince Fouad Zaher et de Farah Noor, enfants de Mohammed Ali, prince du Saïd. « C’est un homme très sensé et très dynamique et je crois qu’il est conscient de la responsabilité qu’il aura un jour, Inch Allah ». A l’heure ou le coronavirus a fait déjà une dizaine de victimes, profondément croyant, le roi Fouad II a désormais remis le destin de son pays et le sien entre les mains du prophète Mahomet.
Copyright@Frederic de Natal