« Grand-père était un Empereur », le documentaire d’une vie
« Grand-père était un Empereur », le documentaire d’une vie
C’est à des milliers de kilomètres de l’Éthiopie, au Pays de Galles où elle étudie, que la princesse Yeshi Kassa est avertie de la chute brutale du Négus Hailé Sélassié en 1974. L’étudiante est saisie d’effroi lorsqu’elle apprend l’arrestation de sa mère et de sa grand-mère par les officiers marxistes du Derg qui ne vont pas tarder à se débarrasser du Roi des Rois. Sorti en mars dernier, le documentaire « Grand-père était un Empereur » nous plonge dans les derniers moments d’une monarchie millénaire. L’ occasion pour Yeshi Kassa de réconcilier avec le passé meurtri de sa famille.
C’est l’histoire d’une succession d’événements tragiques. Une histoire dont l’Éthiopie n’a toujours pas fait son deuil. Une histoire de famille qui se transmet de génération en génération. L’histoire d’une princesse qui a décidé de se réconcilier avec un passé violent, fascinant et mystérieux. C’est aussi l’histoire d’une maison dont les racines plongent au cœur de celle de la Bible. La princesse Yeshi Kassa est l’arrière-petite-fille du Négus Hailé Sélassié, dernier souverain de la corne de l'Afrique, d'un pays longtemps connu sous le nom d’Abyssinie. Il a progressivement monté les marches du pouvoir alors qu’il n’était qu’un simple Ras (roi) parmi tant d’autres, un salomonide ambitieux , un « homme petit et frêle, d’une altière raideur » comme le décrivait un article du Monde Diplomatique. Un prince au destin mystique, animé d’une grande foi en ses semblables, divinisé de son vivant, un résistant au colonialisme (italien), un panafricain convaincu qui n'aura de cesse de moderniser son pays. Des décennies marquantes d’un règne débuté en 1931 par un coup d’État et qui va s’achever de la même manière quarante-trois ans plus tard.
Princesse incognito dans un pensionnat britannique
Yeshi Kassa est étudiante au Royaume-Uni, lorsqu’elle apprend qu’une révolution a éclaté à Addis-Abeba en septembre 1974. Des grèves frappent tous les secteurs professionnels de l’Empire. L’armée ne va pas tarder à profiter de la situation pour intervenir et mettre fin à une monarchie hiérarchisée. Des officiers qui ont été séduits par l’idéologie marxiste. De nombreux membres de la maison impériale sont arrêtés, dont sa mère et sa grand-père, embastillés dans des cellules dont les seuls compagnons sont des rats « de grosse taille ». Sorti en mars dernier et diffusé sur des canaux de Streaming comme Apple TV ou Amazon, le documentaire « Grand-père était un Empereur » (Granpa was an emperor) nous guide à travers ce chapitre tumultueux qui a changé la vie de cette princesse de 11-12 ans. Dans ce pensionnat du Pays de Galles, tous ignoraient qu’elle était une Altesse impériale. « Nous marchions dans un territoire familier, car les professeurs nous connaissaient, et nous les connaissions. Mais les étudiants n'en avaient aucune idée, jusqu'à ce que la révolution commence. Lorsqu’ils ont décidé de prier à nos côtés au matin pour le salut de ma famille, les étudiants ont réalisé qui nous étions à ce moment-là » explique Yeshi Kassa au magazine Insider. « À vrai dire, je pense que tout ce qui leur importait, c'était que j'étais bonne au hockey, que j'étais une sportive absolue. C'était donc plus important pour eux de qui j'étais en réalité » se rappelle-t-elle, un brin nostalgique.
Un documentaire poignant pour l'Histoire
Le reportage a été réalisé par la productrice Constance Marks dès 2021 et s’appuie sur des images d’archives inédites auquelle aurait contribué, dit-on, la reine Elizabeth II elle-même. Il est peu connu du grand public. Il nous plonge dans l'héritage du Négus, dans l’invasion italienne de l'Éthiopie, ses échecs dans la lutte contre la famille qui a ravagé son pays et qui a tué environ 200 000 Éthiopiens, le soulèvement étudiant qui a précédé le coup d'État. Mais également, plus profondément, dans ce que furent les retombées de ce putsch en détaillant d'un point de vue personnel comment la famille impériale a été touchée par le changement de régime. Ils ont été une douzaine à avoir été incarcérés, subissant les pires services par les soldats du Derg, souvent illettrés et manipulés, recrutés dans les classes populaires qui ne jouissaient d’aucun privilège. Il faudra attendre 14 ans avant que la plupart ne soient libérés grâce à une pression internationale. Ils étaient uniquement connus sous le chiffre de leur matricule comme la princesse Tenagnework Haïlé Sélassié (1912-2003). Appelée numéro un, elle fut autorisée à voir son père, l’Empereur Hailé Selassié, quelques jours avant sa mort mystérieuse en août 1975. Sa fille Tsige Mariam se suicidera en prison, sa nièce Ijigayeu Asfaw Wossen décédera des suites d’une maladie dans sa cellule . Une soixantaine de membres du gouvernement, proches de la dynastie, seront même exécutés sans jugement. Le nouveau pouvoir est baptisé dans le sang.
Un passé tumultueux qui est désormais apaisé
C’est l’exil qui attend désormais Yeshi Kassa. Elle va devenir courtier en matières premières et rester en Angleterre un temps avant de migrer vers les États-Unis quelques années plus tard en compagnie de sa famille. Elle sera là pour accueillir les survivants de la révolution. Elle reste extrêmement reconnaissante à la famille royale britannique et aux Anglais pour leur soutien pendant la révolution. À l'époque, de nombreuses personnes ont écrit des lettres à leurs députés locaux, permettant ainsi la naissance d’une campagne internationale qui a abouti à la libération des membres de la famille impériale (1988). Elle a le regard perdu vers l’horizon. Les plaies ont mal cicatrisé. « Il y a aussi beaucoup d'Éthiopiens qui ont été très durement touchés par le Derg et qui ont perdu plus de membres de leur famille que moi. Il n'y avait littéralement personne pour raconter notre version de l'histoire » poursuit la princesse, interrogée par Okay Africa. Un documentaire qui lui a permis d’extirper cette douleur qui la ronge depuis la chute de la monarchie. « La partie la plus difficile pour moi, parce que je l'avais véritablement évitée jusqu’ici, a été d'aller au musée des martyrs de la Terreur rouge à Addis-Abeba, et de voir d'innombrables photos de personnes décédées pendant le Derg, et les boîtes d'ossements. C'était très difficile à faire » renchérit la princesse. Elle reste modeste. « Je ne pense pas que je suis une princesse. C'est quelque chose qui, si c'était arrivé, m'aurait été accordé par mon grand-père, ou le prince héritier s'il détait devenu empereur » affirme Yeshi Kassa. « Mais tout cela s'est terminé avec la mort de grand-père » ajoute cette descendante des amours de Salomon et de la reine de Saba.
Un témoignage bouleversant sur une époque qui a été largement réhabilité. Découverts sous le bureau du dictateur Hailé Mengistu Mariam, les restes du Négus, étouffés dans son lit, ont été enterrés en grande pompe en 2000. « Un de mes amis m'a dit qu'un lion raconte ses propres histoires. Je suis heureuse que nous ayons pu raconter notre histoire » a déclaré Yeshi Kassa, ultime témoin d’un empire millénaire.