Le prince Ermias Sélassié à la rencontre des Rastafaris de Jamaïque
Le prince Ermias Sélassié à la rencontre des Rastafaris de Jamaïque
C’est la quatrième visite sur l’île de la Jamaïque du Président du Conseil de la Couronne. Invité pour la « Semaine du patrimoine de la Jamaïque », le petit-fils du négus Hailé Sélassié, le prince Ermias Sahle Sélassié, a été reçu par les autorités locales comme un véritable chef d’État.
C’est un descendant du roi Salomon et de la reine de Saba. A son arrivée à Kingston, capitale de l’île de la Jamaïque, le 13 octobre 2022, le prince Ermias Sahle Sélassié a été accueilli avec tous les honneurs dus à un chef d’État. Il a été invité par le gouvernement Travailliste du Premier ministre Andrew Holness qui organise, chaque année, la « Semaine du patrimoine de la Jamaïque ». Plusieurs jours de festivités célébrant le patrimoine culturel de l’île, pays de naissance du chanteur Bob Marley et qui abrite une forte communauté de Rastafaris. Un mouvement religieux qui voue un véritable culte à l’empereur Hailé Sélassié, négus d’Éthiopie de 1916 à 1974. « C'est vraiment un plaisir pour moi d'accueillir le prince Ermias en ce qui est vraiment une journée historique. Je suis si heureuse d'avoir également des membres de la communauté rastafarienne présents (…)» a déclaré Olivia Grange, ministre de la Culture, du genre, du divertissement et des sports qui a reconnu l’apport important du Rastafarisme en Jamaïque.
— Ministry of Culture, Gender, Entertainment & Sport (@MCGESJamaica) October 14, 2022
Un descendant du roi Salomon très actif
Une visite de trois jours pour le prince Ermias Sahle Sélassié qui était déjà venu en 2016 en Jamaïque afin de célébrer le cinquantième anniversaire de la visite officielle du négus dans cette île des Caraïbes. Un voyage historique marqué par un événement qui est resté dans le subconscient des adorateurs de Ras Tafari Makonnen, le nom de naissance de l’Empereur. À sa descente d’avion, la pluie qui tombait en continu depuis le matin, s’est soudainement arrêtée à l’apparition d’Hailé Sélassié, achevant de convaincre les Rastafaris que le négus était bien un être divin, leur Jah (« Dieu »). À 62 ans, le prince Ermias Sahle Sélassié a bien connu les grandes heures de l’Empire jusqu’à sa chute, victime d’une révolution menée par des officiers marxistes. Président du Conseil de la Couronne, il est devenu en quelques années, une personne influente et s’est imposé naturellement comme un candidat au trône en lieu et place du prétendant officiel, son cousin, le prince Zera Jacob, quasi inconnu de ses compatriotes. Une tentative de restauration de la monarchie a bien eu lieu en 1997, mais le mouvement monarchiste Moa Ambessa (« Le Lion conquérant ») a été stoppé dans sa course par la rébellion qui s’est emparée du pouvoir. Durant deux décennies, les monarchistes n’ont eu que très peu de voix au chapitre, presque interdit d’activités politiques avant que la figure du négus ne soit réhabilitée par le Premier ministre Abiy Ahmed et que des membres de la maison impériale Salomonide ne soient intégrés au gouvernement.
#CoralGardenMassacre when on 12/4/1963 the Rastafarian community was wrongly accused of carrying machetes and guns and burning down a petrol station in Coral Gardens. The Prime Minister of Jamaica at the time Bustamante ordered to bring in "all Rastas dead or alive". pic.twitter.com/x14DAzQkN6
Le prince Ermias Sahle Sélassié a été reçu par la mairie de Montego Bay. C’est dans cette ville que de violents affrontements ont eu lieu entre la police et des Rastafaris, près de Corak Gardens en avril 1963. Déjà, objet d’une persécution de la part des autorités britanniques lors de la période coloniale, en raison de leur consommation régulière de marijuana, les Rastafaris n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance de la part de la Jamaïque après l’indépendance obtenue quelques mois avant le massacre de Coral Gardens, lors du Vendredi Saint. Bien au contraire, la police a continué de les harceler. Les tensions ont fini par éclater lorsque le gouvernement a tenté de les déloger d’une ancienne plantation afin de la restaurer et d'en faire un lieu touristique. Le Premier ministre Alexandre Bustamente, agacé, a fini par donner un ordre qui a été appliqué à la lettre : « Délogez-moi les rastas, morts ou vivants ! ». On dénombrera une dizaine de morts et ceux emmenés en prison (150 personnes) eurent les cheveux coupés. Il faudra attendre 2015 avant que la Jamaïque ne présente des excuses officielles aux Rastafaris pour cet incident. La mairie a remis officiellement les clefs de la ville au prince impérial. Ermias Sahle Sélassié a remercié le gouvernement pour « sa merveilleuse hospitalité » et a déclaré que « sa famille et le peuple éthiopien étaient conscients de l'amour qui leur a été accordé par le peuple jamaïcain » comme le rapporte le Jamaican Information Service.
L'Église orthodoxe éthiopienne ne considère pas le négus comme la réincarnation de Dieu.
En marge de sa visite, le prince a également rencontré les autorités religieuses de l’Église orthodoxe éthiopienne de la Trinité et a participé à une messe. « Les rastas pensent qu'il [l'empereur Haile Selassie] leur appartient, il était donc très important que le prince héritier vienne à l'église comme son grand-père » a déclaré Sœur Emahoy Hannah Maryam Teklehaimot en charge de la célébration. Abba Geereyesus Negat, administrateur de l'Église orthodoxe éthiopienne en Amérique latine et dans les Caraïbes, poste qu'il occupe depuis 10 ans, avait affirmé au quotidien The Star, peu avant la visite du prince, qu'il se réjouissait d'accueillir le prince héritier dans sa congrégation. « Lorsque le prince héritier arrivera, il viendra dans cette église. C'est son église. Il est l'oint de Dieu. Ce n'est pas seulement un ami - l'Église et le prince - ils vont ensemble, c'est un lien indissociable. Cette visite est sacramentelle » toute en précisant que s’il comprend les Rastafaris, l'Église orthodoxe éthiopienne ne considère pas le négus comme la réincarnation de Dieu.
Le prince souhaite le retour des Rastafaris en Afrique
« Je suis surpris de constater que, de plus en plus, de jeunes Éthiopiens portent des dreadlocks et de voir que la musique éthiopienne prend la forme du rythme reggae, permettant ainsi l’échange culturel entre les nouvelles générations. Ce qui est incroyable. J'aimerais que nous puissions reproduire cela dans le sport et d'autres domaines, comme les arts » a déclaré le prince Ermias au Jamaica Observer lors d'une interview. Selon le prince, « les Jamaïcains doivent absolument s'engager davantage avec l'Afrique », se félicitant d’avoir été précédé par le président du Rwanda sur l’île de la Jamaïque. « Parce qu'un leader donne ensuite de la visibilité à cette relation, tout comme la visite de mon grand-père en Jamaïque a changé la dynamique d'engagement de connaissances, d'échanges, d'éducation, nous devons donc commencer par là ; et je pense que le Rwanda est un endroit naturel » a ajouté le prince Ermias Sahle Sélassié.
Prime Minister Andrew Holness greeting Prince Ermias Sahle Selassie, president of Ethiopia's Crown Council, as preparations for the National Honours and Awards Ceremony get underway. pic.twitter.com/1f3exSIteA
Une visite qui n’a pourtant pas fait l’unanimité chez les Rastafaris. Voix éminente de la communauté rastafarienne, Ras Iyah V a regretté la mainmise du gouvernement sur les festivités. « La visite du prince Emias, soit le petit-fils de Haile Sélassié de la lignée salomonienne et davidique, signifie beaucoup pour moi. Mais en ce qui concerne la façon dont le gouvernement l'a invité ici et a voulu que les Rastafaris participent à un programme contrôlé par le gouvernement sans réelle collaboration, est bien ce que je méprise » cet ancien président du Conseil administratif de Nyahabinghi. « Je suis resté à l'écart non pour manquer de respect au prince Ermias, mais pour montrer au gouvernement qu'en tant que rastafari, nous ne rentrerons pas dans leur jeu » a déclaré Iyah V au Jamaica Gleaner et qui rappelle que les Rastafaris sont toujours victimes d’ostracisme dans leur vie scolaire et professionnelle. « J'ai essayé de tendre la main et le gouvernement a été extrêmement hospitalier, ce dont je suis reconnaissant... et j'ai essayé de rencontrer autant de Rastafaris que possible, et je pense que nous avons fait du très bon travail. Il est important de leur montrer que cela nous fait mal de les voir divisés alors qu'ils devraient s'unir » a déploré le prince Ermias. ll existe trois ordres principaux du mouvement rastafarien en Jamaïque - les Boba Shanti, les Nyahbinghi et les douze tribus d'Israël - qui ont des croyances et des symboles différents. Ils réclament également des excuses pour la période de l’esclavage, ce que comprend parfaitement le petit-fils du négus qui a lui-même rappelé qu’il attendait des excuses du gouvernement italien pour « la colonisation de son pays et les nombreux objets volés ».
Le gouvernement jamaïcain a annoncé qu’une statue de l’Empereur Hailé Sélassié sera érigée à Kingston.