Ils sont des dizaines de milliers de personnes à s’être rassemblés devant la Cathédrale de la Sainte Trinité à Addis-Abeba. Le 17 février 1997, la capitale de l’Ethiopie renoue, le temps d’une journée, avec les fastes des grands enterrements de l’empire des Sélassié. Parmi les partisans de la monarchie qui portent des portraits du dernier Négus, se trouve le prince Zera Jacob Sélassié. Il est désormais l’héritier de la couronne mais bien peu de personnes le connaissent. Encore aujourd’hui, celui qui se fait appeler Amha Sélassié II reste un inconnu aux yeux de ses anciens sujets.
Lorsqu’il naît le 17 août 1951, c’est la délivrance pour son père, le prince Asfa Wossen et son épouse Medferiashwork Abebe. Après 4 filles, le caractériel héritier de la couronne vient enfin de donner un fils à l’Empire de Salomon et de la reine de Saba. Son père est ambitieux, il complote (1960), on lui pardonne, il régnera quelques mois après la chute du dernier « Lion de Juda » en 1974. Cloué au lit dans un hôpital suisse au moment ou cette coccinelle rouge vient chercher son père, signe des temps nouveaux , Asfa Wossen ne regagnera jamais l’Ethiopie, l’empire a vécu et Hailé Sélassié sera bientôt étouffé dans une prison, sous des oreillers. Pour Zera Jacob (??? ???? ??? ???), c’est le début d’un long exil qui va d’abord le mener en Suisse puis à Londres.
Il a 23 ans. Il connaît le Royaume-Uni. Il a même étudié à Oxford parmi la fine fleur de l’aristocratie britannique. Mais le prince se sent prisonnier. Devenu banquier, il part aux Etats-Unis où son nom va se mêler aux milieux affairistes américains qui ignorent superbement le destin de ce membre de la dynastie Salomonide. Un mariage qui aboutira à un divorce, la naissance d’une fille unique, la dynastie impériale est l’ombre d’elle-même. La mort de son père en janvier 1997 le sort de l’obscurité dans laquelle il vit.
On avait bien songé à restaurer la monarchie et les monarchistes n’avaient pas été en reste pour tenter de s’emparer du pouvoir à la chute de Mengistu Hailé Mariam (1991), un des tombeurs de son grand-père qui, de son vivant, avait vu en Zera Jacob, un héritier qu’il aurait voulu adouber. En vain. Une fois dans la capitale, les partisans de l’empire avaient été rapidement écartés du pouvoir par leurs alliés. Le gouvernement avait bien autorisé la maison impériale de rapatrier le corps du prince Asfa Wossen mais lui avait interdit la moindre prise de parole politique. « Selon l'ancienne loi, le prince Zera Jacob doit maintenant accéder au trône » avait alors déclaré au quotidien anglais « The Independant» Fitawrari Gabre-Hiwot, un ancien collaborateur d'Haile Selassie, âgé de 84 ans. « Malgré toutes les vicissitudes politiques que nous avons traversé, j'aimerais voir la dynastie éthiopienne remonter sur son trône et se mettre dans les pas de la monarchie britannique » ajoutait ce monarchiste convaincu mais réaliste. Car Zera Jacob n’entend pas prendre la tête d’un mouvement monarchiste, laissant d’autres membres de la maison impériale assurer ce rôle. Non sans avoir des relations assez conflictuelles avec son cousin, le prince Ermias Sélassié, qui occupe la première place sur la scène politique. Président du Conseil de la Couronne depuis 1993, il est celui qui redore partout à l’étranger le blason d’une monarchie millénaire, objet de tous les fantasmes en Europe. Ou de toutes les rébellions, selon quelles volutes de fumée vous amènent sur les routes de Zion. Yeah man !
Après le Texas, il débarque à Manchester. Le prince n’a ni l’envie ni l’envergure. Il affectionne de partager ses souvenirs avec la communauté rastafarienne locale et parle l’amharique, cette langue dont on dit qu’elle fut celle parlée par Jésus Christ. Il ne travaille plus, vit de ses rentes ou des dons de ses partisans. Même le site du Conseil de la Couronne d’Ethiopie n’a pas daigné mettre sa biographie en ligne. Tout au plus peut-on lire très discrètement tout en bas de celle de son père, qu’il ne « fait rien pour raviver la flamme impériale » et qu’il est connu pour ses « sautes d’humeur fréquentes ». Un portrait que l’on a extrait du magazine «Marie-Claire » daté de 1998 et traduit en anglais. On est loin du temps où on parlait français dans cette Ethiopie qui avait accueilli au cours du XIXème siècle le jeune poète Arthur Rimbaud, négrier et vendeur d’armes, toujours accompagné de jeunes esclaves achetés « pour son service personnel ».
L’homme a vieilli. La crinière noire du Lion de Judah s’est muée en une couleur plus blanche. Le temps a marqué de son poids, le dernier témoin de cette’épopée impériale qui aura été le sang de l’ancienne Abyssinie. Il ne menace pas la république actuelle qui d’ailleurs interdit toute mention de la monarchie dans sa constitution de 1995, ne publie aucun communiqué, semble ne pas être concerné par les soubresauts qui frappent son pays quotidiennement. Le prince Zera Jacob est devenu un de ces fantômes vivants qui arpentent les reliques de l’histoire et qui emportera avec lui, les derniers songes d’un empire balayé par une tempête révolutionnaire, coupable de n’avoir jamais entendu ni compris les doléances de son peuple.
Copyright@Frederic de Natal