Sortie dans les salles de cinéma en 2018, le film « Black Panther » est devenu en quelques jours, le symbole d’une Afrique qui avance, loin de tous les fantasmes et caricatures que l’on peut trouver dans la presse occidentale. Dans un continent majoritairement composé de républiques ou de dictatures, le royaume du Wakanda est un havre de paix technologique, tout droit sorti de l’imagination de Stan Lee et de Jack Kirby. Monarchie fictive dirigée par le premier héros noir de l’histoire Marvel, il sort en presse en 1966 dans une Amérique en proie à des violences raciales. Accompagné de diverses polémiques dès sa projection sur les écrans et une des références du Black Lives Matter, le film n’en reste pas moins une ode à l’histoire de l’Afrique, un continent où le principe monarchique demeure incontournable de la vie politique locale.
Le 17 octobre 1958, l’assemblée nationale de la colonie de Haute Volta est soudainement entourée par 3000 guerriers, armés d’arcs et flèches, vieux fusils. Revêtu de sa tunique de guerre, monté sur son cheval blanc, l’empereur des Mossis Kougri Ier, vient de pénétrer dans le palais qui abrite les élus de la future république à venir. Régnant sur une population se comptant en millions de sujets, la monarchie du Moro Naba a émergé après la disparition de son voisin du Songhaï au XVIème siècle. Durant 250 ans, il va régner sur un empire aussi grand que celui du Saint–Empire romain germanique avant que la France ne réduise considérablement son pouvoir. A l’heure des négociations de l’indépendance, le souverain entend prendre ce qui lui revient de droit, manipulé certainement par les colons blancs qui ne souhaitent pas voir le futur pays des « hommes intègres » prendre son envol. Au bout de 3 jours, l’empereur doit déposer les armes. Il a échoué là ou d’autres auront mieux réussi que lui.
Lorsque l’Afrique décide de prendre son destin en main, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Maroc, le Swaziland, le Lesotho, la Libye, Zanzibar… décident de conserver leurs monarchies comme seuls systèmes de gouvernement et rejoignent la plus vieille royauté existante du continent, l’Ethiopie. Dans les républiques naissantes, certaines tentent bien de s’affranchir de cette tutelle comme le Sanwi en Côte d’Ivoire qui viendra directement réclamer (1959), en vain, au général de Gaulle le respect du traité signé en 1832 sur la plage de Grand-Bassam, quand d’autres profitent de troubles pour proclamer des royaumes sécessionnistes (comme le Kasaï avec l’empereur Kalondji entre 1960 et 1962) ou finissent par se faire sacrer comme Jean Bedel Bokassa au Centrafrique, en 1977. Et parfois renoncent à leurs titres de roi comme Seretse Khama V au Botswana appelé (comme son fils éponomyme après lui) à gouverner son pays, entre 1966 et 1980. Une histoire qui a été également mis sur grand écran avec le film à succès« A United Kingdom».
Le roi T’Challa (incarné par l'afro-américain Chadwick Boseman) est le souverain absolu et fictif du Wakanda mais « tiraillé de questions sur la façon d'être un bon monarque». Le nom prête à l’exotisme et invite aux rêves les plus intenses. Dès le début du film, les références historico-monarchiques sont présentes pour quiconque aurait un œil averti. A commencer par le nom du héros de Marvel qui est l’homonyme de celui de Shaka qui se prononce quasiment de la même manière. Loin d’être le signe tahitien en vogue actuellement chez les « adulescents 2.0 », Shaka kaSenzangakhona, surnommé le « Napoléon noir » a été le souverain impitoyable de la nation zoulou. Entre 1816 et 1828, la « crevette » va bouleverser toute la carte ethnique de l’Afrique australe pour imposer son pouvoir, n’hésitant pas à massacrer rivaux comme ethnies rebelles avant de succomber lui-même à un complot familial. Il eut vécu plus longtemps, il aurait certainement poussé plus loin ses conquêtes au …Wakamba d’où est tiré le nom du royaume de T’Challa. Situé dans la province orientale du Kenya, il longe le parc du Tsavo, une des réserves animalières les plus connues de l’Afrique de l’Est et qui accueille un certain nombre d’éléphants, lions, buffles et léopards.
A chacun des extrêmes. L’Amérique blanche à son Ku Klux Klan, les afro-américains, les Black Panthers. Le costume moulant du héros ne parvient pas effacer l’association de son nom avec le fameux groupe sulfureux des années 70’s. Le scénariste et le dessinateur décideront brièvement de le rebaptiser Black-Léopard, un animal devenu en 2006 le symbole de la république démocratique du Congo, un pays qui regorge de mines dont celle de Shinkolobwe, riche en uranium, l’équivalent du vibranium wakandais. Une richesse que convoitent bien des nations qui n’hésiteront pas à utiliser des mercenaires pour leurs bases besognes, dont l’allusion est à peine voilée avec un des méchants de l’histoire, Ulysses Klaue et qui feront les plus beaux jours de la république du Katanga. Pour ne citer que ce pays.
Une référence féline qui accompagne tout au long de son histoire, un homme qui doit défendre ses droits au trône menacés par un autre candidat, un frère comme l’Afrique regorge de tant d’épisodes de ce type, et dont le costume est orné de griffes acérées. Une symbolique de résistance qui fut aussi le synonyme de terreur pour les colons belges et que le dessinateur Hergé illustra dans les aventures de son reporter au Congo. Où que l’on peut aussi apercevoir dans un album des aventures du jeune Jimmy Tousseul. Rassemblés dans une sorte de secte hiérarchisée, les « hommes–léopards » (ou aniotas) portaient des masques en peau de cet animal et des griffes en acier recourbé, leur servant à assassiner les fermiers isolés, la plupart du temps des noirs jugés trop proches des « mundélés » (blancs).
Comme en Europe, les rois africains ont leurs propres gardes, recrutés généralement parmi les meilleurs guerriers. Celui du Wakanda ne fera pas exception et patriarcat oblige, c’est un corps militaire féminin qui compose l’équipe de protection du souverain. Et ici encore la réalité monarchique a rattrapé la fiction hollywoodienne. Car les fameuses « Dora Milajes » ont bien existé. Au royaume du Dahomey, le roi Béhanzin, lança ses amazones, les Minos (« nos mères » en langue Fon), contre les troupes coloniales françaises venues occuper son royaume en 1890. C’est à la reine Nan Hangbe (1708-1711) que l’on doit la création de ce corps militaire qui va bientôt composer un tiers de l’armée royale. Seins nus, vêtues d’une simple tunique et vierges de préférence, elles vont s’illustrer face aux français à diverses reprises qui n’ont pas d’autres choix que de faire appel à la Légion étrangère pour battre définitivement ces lionnes de l’Afrique en 1894. Et le corps d’être dissout, la dernière amazone de fermer les yeux définitivement en 1979 sur un monde qui a disparu.
Au Wakanda, sorte d’Atlantide cachée au milieu de la forêt équatoriale, on parle un mélange de deux langues que rien ne rapprochent si ce n’est leur origine bantoue. L’ibo et le xhosa (prononcer « Kossa »). Le premier est propre à une ethnie d’Afrique de l’Ouest et qui a fait les grands titres de la presse internationale, lors de la guerre du Biafra (Nigeria), le second est la langue natale de Nelson Rolihlahla (le HL se prononce CHLE en français) Mandela. Pour ce dernier, peu le savent mais le futur héros de la lutte anti-apartheid et premier président sud-africain noir fut un prince royal Thembu. La monarchie AbaThembu a été fondée à la fin du XVIIIème siècle et a fait récemment les « headines » de la presse nationale avec une tentative de sécession afin d’établir son propre état. Entre 2014 et 2019, son roi Buyelekhaya Zwelinbanzi Dalindyebo a dormi en prison pour divers chefs d’inculpations avant de retrouver son trône au prix d'une guerre familiale, sorte de Dallas à l'Africaine. Une volonté de voir une monarchie indépendante qui a fait boule de neige. Le roi des Zoulous et descendant d’un frère de Shaka, Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu, ayant lui-même menacé de se séparer de l’Afrique du Sud si le gouvernement entendait mettre à exécution son plan de redistribution des terres. A à la frontière du Kwazoulou, le royaume du Lesotho dont on peut reconnaître les arrières–plans dans le film et sa chaîne du Drakensberg (montagne du dragon), dont certains paysages sont égalemet à l’origine d’un autre roman célèbre, « Bilbo le Hobbit », écrit par le sud-africain, John R.R. Tolkien. Les habits traditionnels sont largement inspirés de ceux du royaume Sotho (prononcer « soutou »), le collier des « Dora Milajes» étant une réplique de celui que portaient les amazones de Béhanzin et leurs costumes rouges empruntés à ceux des guerriers masaïs.
Monarchique, le film « Black Panther » est assurément remplie de références sur le sujet, le tout dans un contexte très afro-futuriste, qui tente dans une certaine uchronie de dessiner ce qui aurait pu être le destin de l’Afrique si la colonisation n’avait pas mis son grain de sel dans son histoire. Mais aussi une critique à laquelle a dû faire face ce blockbuster américain (où le franco-ivoirien Isaach de Bankolé, connu dans son rôle dans le film Black Mic Mac, joue le rôle de roi de la Rivière), accusé de racisme anti-blanc (ainsi le prince « Killmonger est présenté dans Black Panther comme un charismatique leader révolutionnaire qui veut utiliser les armes du Wakanda pour renverser l'impérialisme occidental et libérer les populations noires » peut-on lire dans Saphirnews). Un film qui tente selon l’hebdomadaire Jeune Afrique de présenter aux africains « les stigmates d’une histoire qui empuantit le présent, le manque désespéré d’un lopin de terre promise et la nostalgie d’un autrement qu’il ose à peine rêver ». En ayant adopté comme système de gouvernement, le principe monarchique, « Black Panther » nous rappelle aussi que l’Afrique regorge de multiples monarchies traditionnelles, passées, glorieuses (comme les 4 empires de la Boucle du Niger), régnantes ou de mouvements monarchistes calqués sur des modèles européens (actuellement dans des gouvernements élus [comme en Libye ou au Burundi] ou sous la forme de rébellion armées), loin de l‘image du « bon sauvage assis sur son trône d’or ». Elles jouent encore un rôle indubitable, parfois discrètes dans la résolution des crises, comme entre en 2014 et 2015 au Burkina Faso où l’empereur des Mossis a été nommé premier médiateur après le coup d’état qui a secoué le pays. Elles sont mêmes le rempart indubitable à tout extrémisme comme au Nigeria, où les sultans sont des opposants notoires à l’islam terroriste de Boko Haram (ainsi l’Emir de Kano, Mohammed Sanusi II a déclaré : « Moi je suis musulman au XXIème siècle, pas au VIIème. Et je n’ai pas envie d’y retourner »). Un véritable pouvoir qui leur a même été reconnu comme en Côte d’Ivoire où une Chambre des Rois et des chefs traditionnels de Côte d’Ivoire a été spécialement mise en place en 2015 sur décision du président Alassane Dramane Ouattara (lui-même descendant des Rois de Kong). Ou encore en 1993 quand la présidence Ougandaise a décidé de rappeler ses rois et de les restaurer dans leurs droits (en 2011, avec le mouvement royaliste bougandais, Ronald Muetbi II a tenté de remonter sur son trône dont son père avait été privé un demi-siècle auparavant).
Des monarchies exilées de l’intérieur, à l’instar de celles des Balkans, qui sont devenues incontournables pour tout candidat à un poste qui a besoin des votes de ces rois pour s’assurer d’une victoire confortable Et preuve que la monarchie reste encore le type de gouvernement privilégié sur le continent originel de l’homme, en 2016, le Rwenzururu, en Ouganda, a connu de fortes tensions. Roi traditionnel, Charles Mubemre a tenté vainement de se faire reconnaître pleinement souverain de sa nation. Et même au Zimbabwe, où depuis quelques mois plusieurs princes de la maison royale des Khumalo essayent tant bien que mal de faire revivre la monarchie Ndébélé emportée par la colonisation britannique. «Wakanda pour toujours, peut-on entendre partout en Afrique !» Une monarchie qui, à a peine dessinée, vient de s'éteindre avec le décès de son souverain hier, laissant un trône vacant et des millions de personnes en deuil. «Bayete Nkosi ! » (Salut grand roi !).
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