« Une rupture de confiance ! ». Les sénateurs français ne décolèrent pas. La volonté de restituer à Madagascar la couronne du dais (trône) de la reine Ranavalona III a provoqué l’irritation des « princes de la république française » qui accusent le gouvernement du Président Emmanuel Macron de brader en catimini l’héritage colonial de la France impériale défunte. Qualifié « d’historique » par l’île des vanilles, le retour de ce trésor du patrimoine malgache coïncide également avec l’inauguration controversée et en grandes pompes du Palais royal du Rova de Manjakamiadana, reconstruit après avoir été détruit par un incendie en 1995. Une cérémonie très monarchique, à laquelle les membres de la famille royale ont été associés, qui devrait conduire les autorités locales à réclamer d’autres objets nationaux et royaux encore exposés dans les musées d’Histoire naturelle de l’Hexagone.
« Cent vingt-trois ans après son enlèvement, nous accueillerons ce symbole de notre souveraineté nationale » a déclaré dans une allocution Andry Rajoelina. Vêtu de rouge avec un col mao et d’un simple lamba sur l’épaule, le président malgache a inauguré, à grands frais, la nouvelle enceinte du Rova de Manjakamiadana, le palais de la Reine Ranavalona III. Dernière souveraine de Madagascar, ella été destituée de son trône par la France coloniale en 1897 après 14 ans de règne. En marge de cette cérémonie haute en couleurs et qui a interpellé les malgaches tant elle rappelle le protocole en vigueur sous l’ancienne monarchie, un conflit entre Paris et Antananarivo autour de la couronne du dais de la souveraine mérina aux mains de l’Hexagone depuis le début du siècle dernier. En février dernier, le président Rajoelina avait écrit à la France afin qu’elle lui restitue cette couronne, à défaut de posséder la vraie qui a été dérobée en 2011 et jamais retrouvée. Certains médias de l’époque n’avaient pas hésité à accuser la France d’avoir été à l’origine de ce larcin, entretenant la confusion (encore aujourd’hui) entre cette couronne et celle du dais de la reine.
L’histoire de cet « élément décoratif » surmontant le trône de la reine Ranavalona III, dernier rejeton d’une famille qui a unifié Madagascar sous son joug au cours du XVIIIème siècle, est lui-même entouré de mystères. Il est toujours très difficile de déterminer de quelle manière, la coiffe de zinc doré garnie de tissu ocre et grenat a été acquise par un colon réunionnais, Georges Richard, avant qu’il n’en fasse don en 1910 au Musée de l’Armée. La crise du covid et des tractations ont retardé le retour de la tiare malgache dans son pays d’origine. Utilisée lors de grandes cérémonies, appelées « Grand Kabary », la France a tenté de négocier ce retour dans le cadre d’un simple prêt. Mais face à l’instance du gouvernement malgache, Paris a dû se résoudre à appliquer les accords signés entre les deux pays. « C’est une question de patriotisme. Il est temps de porter haut le flambeau notre souveraineté nationale et notre patrimoine» avait expliqué Rajoelina qui ne cache pas sa nostalgie des grandes heures de la monarchie malgache. Tout en critiquant la construction du « Colisée de la Reine » adjoint au palais et qui a fait également frémir l’UNESCO, l’opposition accuse le quadragénaire fringant président de vouloir restaurer la royauté sous son propre nom.. Des accusations dont il avait déjà fait l’objet sous sa première présidence (2009-2014) et comme le rapportait dans une de ses éditions, le magazine « Jeune Afrique » qui s’était fait l’écho de cette visite du chantier (2010) par le président « entouré de mpiantsa (des chanteuses royales) et de mille guerriers, reconstituant ainsi un fragment de la légende de Radama 1er». « Bien que des pays et des organisations nous aient tendu la main, nous avons préféré cotiser plus - en signe de souveraineté nationale comme le disaient les descendants de souverains – et ne pas demander de financements venant de l’extérieur : c’est notre propre argent qu’on a utilisé pour rebâtir et reconstruire cette infrastructure. Ce château est le témoin du passé, visage du présent mais surtout le reflet de l’avenir du pays. Ce château de Madagascar sera la fierté des Malgaches !...» s’est défendu le principal intéressé dans un point presse, mardi de cette semaine.
« Cette convention s’inscrit dans le processus de retour à Madagascar de ce bien culturel, symbole de l’histoire malgache, au titre duquel la France s’engage à initier, dans les meilleurs délais, les mesures préalables à la procédure législative pouvant permettre le transfert de propriété de ce bien à Madagascar » se justifie le ministère de la Culture au centre d’une polémique récurrente depuis que la France a annoncé qu’elle souhaitait restituer « ses prises de guerre » aux pays africains. C’est ainsi que le « trésor de Béhanzin », le dernier souverain du Dahomey a été renvoyé au Bénin et entreposé dans une des pièces du palais royal occupé par ses descendants ou encore le Sénégal qui a reçu sabre du toucouleur El Hadj Omar Tall, dont l’empire avait fortement résisté au colonialisme français. Au Sénat, on ne voit pourtant pas les choses de la même manière et on évoque une « rupture de confiance » entre la chambre et le gouvernement d’Emmanuel Macron. « Le principe d’inaliénabilité des collections françaises impose de passer par le Parlement, via une loi d’exception, pour restituer un bien culturel à un pays qui en fait la demande. Mais « des œuvres peuvent sortir du territoire temporairement via une convention de dépôt passé entre deux pays » explique Catherine Morin-Desailly, sénatrice du de l’Union centriste, très irritée. « Ce sont des objets qui appartiennent à des collections nationales ce qui nécessite que le peuple, au travers le Parlement, soit au cœur du processus. Le chef de l’État puise dans les collections nationales pour des raisons diplomatiques » renchérit Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts de Seine. La commission de la culture du Sénat a même déploré, dans un communiqué rendu public, «ce retour précipité et en catimini, effectué au mépris de toute consultation de la représentation nationale, seule autorité compétente pour autoriser la sortie de ces biens des inventaires nationaux », craignant que désormais les demandes ne se multiplient du genre. A raison. Dans son discours inaugural du Palais du Rova, où séjourne désormais la couronne royale, le président Andry Rajoelina a annoncé qu’il entendait entamer des démarches afin que la France lui restitue le crâne du roi Toera, décapité dans la nui du 29 au 30 mars 1897 et celui du prince Ratsimamanga exécuté le 15 octobre de la même année.
C’est donc en fanfare que la couronne du dais de Ranavalona III, décédée à 55 ans en Algérie française, a été accueillie à Madagascar. « Le retour de cette pièce royale à Madagascar, 123 plus tard, est une marque de la victoire pour les Malgache » s’est félicitée la ministre de la Communication et de la Culture, Lalatiana Rakotondrazafy. « Les autorités françaises se réjouissent que cet objet symbolique retrouve aujourd’hui sa place originelle, au sein du Palais de la Reine. Je mesure pleinement l’émotion ressentie aujourd’hui, en particulier par les descendants de la famille royale, que je salue, et dont je connais l’attachement aux traditions et au respect de l’héritage de la Reine Ranavalona III, séparée de son Palais et de son pays, et qui décèdera loin de sa terre natale » a déclaré l’ambassadeur de France, Christophe Bouchard dans une forme de repentance suprenante pour un tel diplomate. Représentant la maison royale, la princesse Ralandison Fenovola, a affirmé que « l’événement était une marque de respect de la culture et de l’histoire du pays ». Une cérémonie qui a largement divisé les familles royales de cette île dont une partie a décidé de boycotter les festivités organisées par le président Rajoelina.
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