C’est l’histoire d’un raté diplomatique entre la France et Madagascar. Afin de marquer les festivités du soixantième anniversaire de son indépendance, le palais de l’Elysée avait accepté de restituer la couronne de la reine Ranavalona III à son ancienne colonie. Toujours au Musée des armées de Paris, le vrai-faux départ de cet objet d’apparat ayant appartenu à la dernière souveraine mérina a mis en colère Antananarivo qui tempête contre le Quai d’Orsay. Madagascar exige le retour de sa tiare royale qui, à regarder de plus près, ne serait pas la vraie couronne des rois et reines de l’île aux vanilles. En effet, depuis 2011, celle-ci demeure introuvable. Mais alors, que détient donc en réalité la France et qui a généré un incident diplomatique avec Madagascar ?
Tout était prêt pour son départ vers Madagascar. Couronne en vermeille argent recouvert d'or, à sept fers de lance, doublée de velours rouge grenat, c’est une pièce incontournable de l’histoire de la monarchie mérina de l’île aux vanilles. Lorsqu’il avait rencontré son homologue malgache en novembre 2019, Andry Rajoelina, le président Emmanuel Macron avait donné son accord pour que la couronne de la reine Ranavalona III retourne dans sa patrie. Dernière souveraine Mérina et arrière-petite-fille du fondateur de la dynastie, Ranavalona III a été destituée le 28 février 1897 et exilée vers l’Algérie française où elle y décède en 1917, âgée de 55 ans. C’est en 1910 que cette couronne a été donnée, dans des conditions non connues, par l’ancien maire de Saint-Denis de la Réunion, George Richard. D’origine créole, l’homme est un fervent partisan de la conquête de Madagascar et il va monter un régiment de volontaires réunionnais afin que celui-ci épaule le général de Brigade Joseph Gallieni dans sa prise de l’île.
C’est au cours du XVIIIème siècle que le roi Andrianampoinimerina unifie l’île sous sa seule autorité. La monarchie mérina va compter entre 1787 et 1897, 7 rois et reines aux destins inégaux. Radama Ier modernise considérablement son royaume que se disputent déjà anglais et français. Sa mort en 1838, à 36 ans, est entourée d’un mystère. Excès d’alcool ou empoisonnement, c’est son épouse et cousine, Ranavalona Ière qui lui succède. Connue sous le nom de «Messaline malgache» ou de «Néron femelle», elle va gouverner le pays d’une main autoritaire qui ne laisse pas de place à l’opposition. Le règne de son fils Radama II est un désastre. Et si on retiendra un traité d’amitié signé avec Napoléon III, l'ouverture de l'île aux européens ,où il autorise la liberté de culte, le souverain offense le Hova, la caste aristocratique. Ses mœurs douteuses avec de jeunes hommes de rang inférieur (on parle alors de « corruption de la personne royale») achèvent de le condamner. Après deux ans de règne, en 1863, il est étranglé avec du fil de soie dans son palais au cours d’un complot qui place sa femme Rasoherina, nièce de Ranavalona, sur le trône. Une souveraine dominée par ses premiers ministres qu’elle épouse tour à tour avant de décéder en 1868. Le premier ministre Rainilaiarivony, qui va diriger l’île durant 31 ans, va être la clef de voute de la monarchie. A la mort de Rasoherina, il s’empresse d’épouser la nièce et successeur de celle-ci, Ranavalona II, convertie au protestantisme anglican. Un règne sans conséquence et marqué par la bigoterie de la reine. A peine enterrée en 1883, que Rainilaiarivony passe dans le lit de la nouvelle reine de 22 ans. Ranavalona III unit son destin à ce premier ministre qui va incarner la résistance aux vahazas (blancs).
La suite est connue. Sous l’impulsion de François de Mahy, un réunionnais franc-maçon et membre de la puissante famille des Coat De Kervéguen nommé au Ministère de la guerre, la conquête de Madagascar est lancée. Sous prétexte de répondre aux demandes du Parti colonial, très influent sous la IIIème République, il ordonne l’invasion en 1894 de l’île afin de «maintenir notre situation et nos droits, rétablir l’ordre, protéger nos nationaux, faire respecter le drapeau». Il faudra deux ans à la France pour pacifier l’île et un an à Joseph Gallieni pour obtenir la tête de Ranavalona III. Non sans avoir fait exécuter au préalable quelques membres de la famille royale et du gouvernement.
Le 20 février dernier, le président Andry Rajoelina (lui-même un mérina) a demandé par courrier à la France qu’elle lui restitue «la couronne royale de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III». Mais est-ce bien la vraie couronne que l’Hexagone détient depuis un siècle dans son Musée des Armées ? Tout est dans la nuance car cette couronne est aussi entourée de mystères. Officiellement volée en 2011 au palais royal de Madagascar, jamais retrouvée depuis, ses auteurs à peine identifiés et remis en liberté faute de preuves, elle refait une réapparition sept ans plus tard dans la presse malgache qui affirme que la France est l’auteur de ce larcin. Les médias malgaches s’enflamment comme les réseaux sociaux qui crient haro contre l’ancien colon. L’affaire devient politique et tellement prise au sérieux que le Ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine de l’époque, Eléonore Johasy, doit convoquer une conférence afin d’expliquer les démarches entreprises par l’état malgache, autre pion indispensable de la Françafrique et de la Chiraquie du temps de l’Amiral Didier Ratsiraka (président de 1975 à 1993 et de 1997 à 2002), qui a diligenté une enquête auprès d’Interpol. Sans grand succès. A ce vol s’ajoute aussi un autre mystère qui demeure toujours inexpliqué. L’incendie en novembre 1995 du palais de la reine, reconstruit depuis, mais dont les auteurs demeurent tout aussi introuvables.
C’est la France qui se charge d’apaiser les esprits et qui fournit les explications nécessaires. En fait de couronne, le Musée des Armées détient en réalité un «élément décoratif en forme de couronne qui coiffait le dais utilisé par la reine Ranavalona III lors des événements solennels appelés Grand Kabary au cours desquels elle s’adressait à la population» et que l’on peut toujours voir dans sa vitrine au musée, placée au-dessus d’un casque de la garde royale de la souveraine. «Nous avons rapidement vérifié avec le gouvernement malgache que nous parlions bien de la même pièce et il n’y a aucun doute sur cela » a affirmé le Quai d’Orsay au journal «Le Monde». S’inscrivant dans la volonté d’Emmanuel Macron de rendre leur patrimoine aux pays africains , des trésors de guerre détenus dans les musées de France et de Navarre, la crise du Covid-19 a retardé le départ de la couronne comme on continue de l’appeler à Madagascar.
«Il est préoccupant qu’Emmanuel Macron ne se soit pas une seconde posé la question de la véracité des termes de la demande du président malgache, ni de la légalité de celle-ci. Il s’y est immédiatement déclaré favorable, mettant, par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Culture et le Musée de l’Armée devant le fait accompli. Cette décision a été prise sans que personne à la direction générale des Patrimoines n’ait été informé ou consulté». Historien de l’art et journaliste, Didier Rykner ne décolère pas et a toutefois mis en garde l’Elysée dans sa hâte à restituer cet objet, tout en accusant le président malgache de se servir de cette couronne «tout en zinc» à des fins de propagande personnelle. C’est un nouveau contentieux qui oppose la France qui préfère désormais parler de prêt plutôt que de restitution. Et si on assure qu’il n’y a pas de tensions entre les deux pays, Antananarivo a déjà fait savoir qu’elle n’acceptait pas cette proposition et continue de réclamer son trésor national tout comme les îles Eparses que le président de la République française a également promis de rendre aux malgaches sans la moindre concession. La Ministre de la culture malgache a assuré Radio France International (RFI), que la couronne serait bien renvoyeé chez elle en octobre prochain. «Nous avons vu qu’il y a une vraie volonté de la France de rendre cet objet», a déclaré Lalatiana Rakotodrazafy qui a finalement dû reconnaitre que ce n’était pas la fameuse couronne que tout le monde cherche. «Mais qu’importe, ce qui compte c’est le symbole. C’est une question d’identité nationale» a-t-elle renchéri sur RFI.
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