Couronné « Amir Al Mouminine » (Commandeur des croyants) en 1999, il avait suscité tous les espoirs de changements. Le 30 juillet, le roi Mohammed VI a fêté ses 20 ans de règne dans un Maroc marqué par la montée de l’islamisme, toutefois contenu, et les fortes disparités sociales. Une monarchie qui commence à montrer des signes d’essoufflement, un bilan en demi-teinte et un souverain atteint par la maladie qui pourrait bientôt passer la main à son plus jeune fils, le prince héritier Moulay Hassan.
Mohammed VI dirige un royaume de 35 millions de sujets perdus entre le 2.0 et la tradition. La mort d’Hassan II, le 23 juillet 1999, personnage emblématique de la monarchie alaouite durant 38 ans de règne et qui aura échappé à autant de tentatives de coup d’état que de révolutions de palais, acteur majeur de la décolonisation et pion incontournable de la Françafrique, est accueillie dans la douleur par les marocains. Il avait dirigé l’ancien protectorat français d’une main de fer dans un gant de velours, laissant une opposition à ses ordres quand elle ne se retrouvait pas dans la tristement célèbre prison de Tazmamart. Mohammed VI a 36 ans quand il monte sur le trône d’une maison qui dirige cette partie de l’Afrique du Nord depuis le XVIIème siècle. Il suscite alors tous les espoirs d’une jeunesse épuisée, en quête de liberté, de justice de sociale et de modernité.
« Nous ne détenons pas une baguette magique par laquelle nous prétendons résoudre tous ces problèmes. » avait averti le souverain, coqueluche des médias lors de son premier discours comme souverain d’une monarchie dont il est constitutionnellement le roi le plus absolu. Tout est dans la nuance.
La vie des marocains s’est-elle améliorée en deux décennies ? « Le Marocain en 2019 vit globalement un peu mieux qu’il y a 20 ans, mais les inégalités entre les Marocains se sont accentuées sur ces 2 dernières décennies comme elles s’étaient accentuées auparavant» analyse l’économiste Najib Akesbi sur les ondes de RFI et qui regrette que l’industrie soit toujours aussi dépendante des gros groupes français. Et si il est un partenaire stratégique pour l’Hexagone, le roi du Maroc a singulièrement réorienté ses priorités sur l’Afrique sub-saharienne devenue sa chasse gardée (90% des flux annuels d’investissement directs marocains à l’étranger se font sur ce continent). En particulier vers l’Afrique de l’Ouest, comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, qui a fait de Mohammed VI, un médiateur dont l’Europe ne peut se passer. En 2017, le royaume du Maroc a même réintégré l’Union africaine qu’il avait brutalement quitté après l’admission de la république (auto-proclamée) arabe sahraouie démocratique ou a reconnu le berbère comme une de langue officielle du royaume. La monarchie étend ses tentacules politiques et retrouve virtuellement les frontières de son empire défunt à travers de forts relais économiques.
« Le Maroc est aussi un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme: Alors même que nos deux pays font face à la même menace, la coopération franco-marocaine est plus que jamais nécessaire à notre sécurité commune» déclarait encore mardi soir la ministre française de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. Surnommé « M6 », le roi a été jusqu’ ici un rempart efficace aux mouvements islamistes (en 2016, il a vertement critiqué le fanatisme religieux, promptement réagi aux attentat de 2003 et 2011 qui ont fait, tous deux, plus de 50 victimes et démantelé une cellule terroriste à Tanger qui préparait des attentats en Europe) qu’il a mis sous contrôle, presque marginalisés (comme les Frères musulmans) non sans quelques tentions palpables comme avec le populiste et islamiste Parti de la Justice du Développement (PJD) qui dirige le pays depuis 2011 (« Mohammed VI a géré sans trop d’efforts la cohabitation avec le PJD [au pouvoir », peut-on lire dans le magazine Telquel et qui ajoute « le roi s’est imposé sans avoir à combattre, car le rapport de force a toujours été clairement à son avantage »).
« Le caractère sacré de la monarchie exécutive n’est contesté que par une minorité d’islamistes radicaux, de militants d’extrême-gauche, d’irrédentistes rifains (manifestation de 2017 et 2018-ndlr) ou de séparatistes saharaouis (ici le Front Polisario-ndlr) » note le journaliste François Soudan dans l’hebdomadaire Jeune Afrique n° 3054 de ce mois. Aucune menace ne semble planer sur le royaume ni sur sa monarchie si chère le maréchal Lyautey en dépit d’un climat social assez fragile. Preuve s’il en est, le Maroc a été épargné par le « Printemps arabe de 2011. Le Mouvement du 20-Février (soutenu par des partis et des syndicats), à l’origine des manifestations réclamant plus de démocratie, a été vite éliminé du champ politique par un souverain qui a eu tôt fait de reprendre la main et de dénoncer dans un discours l’affairisme et le clientélisme inadmissible au sein de sa monarchie. Avant d’accepter que l’on rogne un peu ses pouvoirs. « Les bienfaits du développement réalisé pendant ces 20 années n’ont pas bénéficié à tout le monde. Nous avons un mécontentement, nous n’arrivons pas à trouver des emplois pour nos jeunes, nous avons des régions trop déshéritées. Pour continuer à avancer, nous avons besoin de cohésion sociale, c’est crucial.» déclare pourtant le conseiller du roi, Omar Azziman, à l’Agence France Presse (AFP) et que l’on peut lire dans les colonnes du Figaro (le pays est classé 123e selon l'Indice de développement humain (IDH)-ndlr).
Et si aujourd’hui, le premier ministre n’est plus désigné par le roi mais pas le résultat des urnes, le Maroc fait figure de « stabilisateur » dans cette partie de l’Ifriquiya. Entre « deux plans verts (c’est devenu un des leaders mondiaux de l'énergie photovoltaïque) et une série de grands chantiers d’infrastructures sans équivalents en Afrique, il n’a d’ailleurs pas hésité à engager des troupes contre l’état islamique du Levant (DAESH) et mettre en place un dialogue inter-confessionnel comme avec la visite du Pape François en mars dernier, reçu en grandes pompes.
En développant, une image de monarque moderne qui « tape la causette à ses sujets » dans les rues de Paris ou en s’affichant sur Instagram, la monarchie marocaine qui reste révérée, cache pourtant quelques fissures au sein de la maison royale. A commencer par le prince Moulay Hicham, véritable opposant à la monarchie, cousin du roi, et à son système, le makhzen, véritable état dans l’état. Encore faut-il évoquer le mariage du souverain avec Lalla Salma qui a éclaté. Ses nombreux séjours en France, dans des hôpitaux réputés, ont désormais laissé place à de fortes présomptions d’une maladie grave qui semble avoir largement affecté l’état de santé comme le poids du roi. La mise en avant constante du prince héritier, Moulay Hassan, 16 ans, qui a fait forte impression lors des funérailles du prince Henri d’Orléans, en février de cette année, laisse penser que le roi pourrait passer la main dans les prochaines années. « De vrais défis stratégiques et cruciaux de société s'annoncent donc pour Mohammed VI dès le premier jour de sa 21e année de règne » rappelle à juste titre le chercheur en sciences politiques Sébastien Boussois, en guise de conclusion au magazine Le Point, afin de « rendre pérenne cet équilibre par un progrès social plus étendu, et laisser à son fils un royaume qui, plus que jamais, jouerait le rôle triplement stratégique de pays pivot pour le Maghreb, l'Afrique et l'Europe».
Frederic de Natal
Paru le 04/08/2019