Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Guerre des trônes dans l'émirat de Kano : une lutte pour le pouvoir

L'émirat de Kano est agité par une violente querelle de trône où s'opposent deux princes pour une couronne. Puissante monarchie traditionnelle du Nigeria, elle est également au centre d'enjeux nationaux à l'approche des prochaines élections présidentielles.  

Depuis plusieurs jours, l'émirat de Kano est divisé entre partisans de deux émirs qui revendiquent chacun la légitimité d’un trône séculaire. Un conflit qui dépasse de simples enjeux royaux traditionalistes alors que s'approchent les prochaines élections présidentielles prévues dans trois ans au Nigeria.

Une monarchie traditionnelle puissante et influente

L'émirat de Kano, l'un des royaumes le plus ancien et le plus vénéré d'Afrique de l'Ouest, est actuellement au centre d'une bataille acharnée entre deux prétendants, deux princes d’une même dynastie, Sanusi Lamido II et Aminu Ado Bayero. L’histoire de ce royaume méconnu débute au Xe siècle. Gouverné par de nombreux rois Haoussas animistes, qui vont le rendre prospère grâce au commerce de l’or, du cuir, de l’ivoire et de l’esclavage, il adopte progressivement la religion musulmane au XIVe siècle. Très vite, il devient l’objet de convoitises et n’hésite pas à nouer des alliances matrimoniales avec le royaume du Songhaï, un des plus puissants de la boucle du Niger. Les multiples guerres qui se succèdent vont progressivement affaiblir la maison royale Kutumbi qui peine à se redresser. En 1807, un djihad lancé par le fulani Shehu Suleiman dan Aba Hama met fin à l’ordre institutionnel et inaugure un nouveau règne de réformes profondes du royaume qui perd toutefois son indépendance en faisant allégeance au Califat de Sokoto. Au décès de Shehu Suleiman dan Aba Hama en 1819, une nouvelle dynastie, celle de Dabo, monte sur le trône. Elle va prendre part au combat contre la colonisation britannique avant de devoir déposer les armes en 1903.

La drapeau de Kano @wikicommons

Un émir qui bouleverse les traditions établies

Avec l’indépendance (1960), les émirs de Kano perdent leur regalia au profit d’un gouvernement central qui ne supporte pas leur puissance mais, qui a bien du mal à se passer de leur influence sur les différentes ethnies qui peuplent le Nigeria, géant pétrolier. Monté sur le trône en 2014, Sanusi Lamido II, 62 ans, s’est avéré un véritable rempart contre l’organisation terroriste islamiste Boko Haram qui a juré sa perte. Moderniste, il n’a pas hésité à bousculer les traditions en ouvrant plus de droits aux filles et femmes de son émirat. Ancien banquier et gouverneur de la banque centrale, fin diplomate (il a été sollicité dans la crise du Niger), il reste néanmoins est une figure controversée. Ses critiques de la corruption et ses idées progressistes ont souvent heurté les sensibilités conservatrices locales. Ouvertement en conflit avec le gouverneur Abdullahi Umar Ganduje, ce dernier l’a promptement destitué de son trône en 2020 pour mettre à sa place, son cousin, le prince Aminu Ado Bayero, dont le père a été roi de Kano entre 1963 et 2014.

Lamido Sanusi II (gauche) et Aminu Ado Bayero (droite), deux émirs pour un trône @DR

Deux monarques pour un trône

A l’issue des élections provinciales de mai 2024, qui a vu la victoire du gouverneur Abba Kabir Yusuf contre Umar Ganduje (surnommé « Gandollar » après avoir été filmé en train de fourrer des liasses de dollars – un prétendu pot-de-vin – dans son boubou), l’émir Sanusi Lamido II a été réinstallé sur son trône au cours d’une cérémonie chamarrée. Ayant pris et cause pour le nouveau dirigeant de l’État, ce dernier a immédiatement signé un décret exilant l’ancien émir Aminu Ado Bayero et quatre autres roitelets nommés par le précédent gouvernorat. Pourtant la situation est loin d’être apaisée et pourrait dégénérer en véritable guerre de trônes comme l’émirat en a déjà connu par le passé. Loin d’être parti, Aminu Ado Bayero s’est réfugié dans une annexe du palais royal. Lequel a été vidé de tous ses trésors par les courtisans de l’émir destitué, des rideaux de fenêtre aux prises électriques aux murs comme l’a montré sur le réseau social Instagram, un des fils de Sanusi II. Un conflit de succession qui dessine aussi d’autres enjeux plus nationaux. Le gouverneur Yusuf, en rétablissant Sanusi II, vise à solidifier son propre pouvoir local, tandis que les autorités fédérales favorisent Aminu pour des raisons purement électoralistes à l’approche de la prochaine présidentielle prévue en 2027. Un gouvernement fédéral qui a envoyé des soldats afin de protéger l’émir destitué. Saisis par les deux prétendants, les tribunaux se sont également impliqués dans cette crise, rendant des décisions contradictoires et exacerbant la situation sur place, statuant majoritairement en faveur de l’émir Aminu, face à tribunaux d'État qui soutiennent son rival.

Tensions et défis à venir au sein de la monarchie

Les tensions sont palpables à Kano, une ville de 4,5 millions d'habitants. Malgré la crise économique, de nombreux Nigérians se sont profondément investis quant à la question de savoir qui contrôlera l'émirat. Les partisans des deux émirs se mobilisent, chacun voyant en leur prétendant une solution différente aux défis contemporains. « Je méprise Sanusi », a déclaré Aminu Garba, un partisan d'Aminu, tandis qu'Aisha Abdullahi, une jeune diplômée, soutient Sanusi. Les observateurs locaux qui suivent la crise, préviennent que des émeutes pourraient éclater ou dégénérer en conflit armé. « Nous ne pensions pas que quelqu'un attaquerait l'émirat de cette façon » , a déclaré Ruqayyah Salihi Bayero, historienne du palais, qui a appelé chacun à retrouver le chemin de l’unité. « Nous devons trouver un moyen de ramener la paix et la stabilité dans l'État et dans la nation en général » a-t-elle déclaré au New York Times.

A ce jour l'incertitude règne à Kano. Le gouverneur Yusuf a ordonné, à deux reprises, à la police d’expulser l’émir Aminu de l’annexe du palais et de l’arrêter. Jusqu’à présent, la police a refusé, plut$ot éloigné les chasseurs etles partisans de Sanusi II hors de l’enceinte royale, le laissant seul et vulnérable. Le palais principal et son annexe arborent chacun un drapeau, symbolisant les deux prétendants et la division profonde au sein de l'émirat. Un conflit qui est devenu un microcosme des tensions plus larges au Nigeria, une nation en quête d'équilibre entre tradition et modernité, entre pouvoir local et influence fédérale.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 09/07/2024

Ajouter un commentaire

Anti-spam