L'Asagba Obi Joseph Chike Edozien : Ultime témoin d'un passé révolu
L'Asagba Obi Joseph Chike Edozien : Ultime témoin d'un passé révolu
Le monarque traditionnel du royaume Asaba, situé dans l'État nigérian du Delta, l'Asagba Obi Joseph Chike Edozien, a rendu son dernier soupir. Centenaire, il était un des derniers témoins des soubresauts de la (dé)colonisation britannique dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest et un chercheur réputé dans son domaine.
En février 2024, la nouvelle de la disparition de l'Asagba Obi Joseph Chike Edozien s'est répandue comme une traînée de poudre dans toutes les rues d'Asaba. Interrogés, les habitants de cette capitale du Delta, un état situé au Nigeria, ont fait part de leur profonde tristesse et expliqué qu’ils ressentaient le décès de leur roi « comme une grande perte pour l'ensemble du royaume ».
Une éducation de prince
Né le 25 juillet 1925 à Asaba, alors que le Nigeria était une colonie britannique, Obi Joseph Chike Edozien était le direct descendant de Nnebisi, fondateur du royaume des Igbo de l’Asaba. Très tôt envoyé dans une école catholique (1933-1937) afin de parfaire son éducation princière, brillant et studieux, il intègre la Christ the Kings College, Onitsha pour ses études secondaires de 1938 à 1942 avant de rejoindre le Higher College Yaba. Prince royal, Obi Joseph Chike Edozien bénéficie d’un traitement préférentiel de la part des autorités coloniales (protectorat du Nigeria du Sud) qui entendent à ce que les futurs rois soient de zélés fonctionnaire de l’Empire. C’est donc à l'University College de Dublin, en Irlande, en 1944, qu’il ira parachever ses études. Il obtiendra un baccalauréat en physiologie avec distinction à l'Université nationale d'Irlande en 1948, une maîtrise en physiologie deux ans plus tard auquel s’ajoutera un baccalauréat en médecine et un autre en chirurgie (MBBCh) en 1954.
Un témoin des soubresauts du Nigeria
Après avoir vécu à Londres, confronté au racisme ordinaire, Obi Joseph Chike Edozien revient au Nigeria en 1952 afin d’occuper le maître de conférences en pathologie chimique à l'University College d'Ibadan. Il y trouve une colonie en pleine ébullition. Le mouvement indépendantiste commence à prendre de l’essor, dirigé par Herbert Macaulay (1864-1946), son grand-père maternel. Doyen de la faculté de médecine, Obi Joseph Chike Edozien s’enthousiasme dans la lutte contre les colons, s’indigne des répressions, mais reste toutefois éloigné de toutes activités politiques. Lors de la proclamation de la République en 1960, le Nigeria ne tarde pas à sombrer dans les conflits ethniques et religieux. Le Delta n’est pas épargné. La crise du Biafra, qui fait sécession en 1967, le contraint à s’exiler vers la France puis aux États-Unis où il est nommé professeur de nutrition au Massachusetts Institute of Technology.
Asagba of Asaba, His Royal Majesty, Obi (Prof.) Joseph Chike Edozien, passes on.
Rest in Peace. pic.twitter.com/gUsEF75lZJ
Doté de divers prix académiques, Obi Joseph Chike Edozien met fin à son exil en 1990, après avoir rejoint le du département de nutrition de l'École de santé publique de l'Université de Caroline du Nord, et rentre au Nigeria pour ne plus quitter son pays. Président de l'Institut nigérian de recherche médicale, il monte sur le trône d’Asaba peu de temps après et devient le monarque de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Obi Joseph Chike Edozien va profondément transformer sa capitale qui retient l’attention du Président-général Ibrahim Badamasi Babangida (à la tête du pays entre 1985 et 1993). La ville connaît alors un essor fulgurant, attirant des Nigérians de tous les Etats, non sans que cela ne créée quelques confrontations dans un pays toujours en proie à ses démons. Treizième Asagba (roi) de son royaume, il a réformé les lois et coutumes traditionnelles de sa monarchie afin de les adapter au monde moderne.
« Sa Majesté a vécu une vie bien remplie définie par les idéaux les plus élevés de paix, d'unité, de patriotisme, d'honnêteté et de dignité. C’est une triste perte, qui survient à un moment où le Nigeria a besoin de davantage d’artisans de la paix et de bâtisseurs de ponts », a déclaré le président Bola Tinubu à l’annonce de son décès. Avec la disparition du roi Obi Joseph Chike Edozien, c’est une page de l’histoire du Nigeria qui se tourne. Il était un des derniers témoins d’un passé révolu.