Figure majeure des rois traditionnels de la république fédérale du Nigeria, l’émir Muhammed Sanussi II est aujourd’hui menacé de destitution. Monté sur le trône de Kano le 8 juin 2014, rempart au conservatisme musulman ambiant dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, celui qui se définit comme « un monarque du XXIème siècle qui n’est pas bloqué au XIIIème » a vu soudainement une partie de ses pouvoirs et de ses ressources amputés par le gouverneur de l’état de Kano, Abdullahi Umar Ganduje. Ce dernier a fait de la chute du monarque, un de ses principaux credos. Géant pétrolier au cœur d’une rivalité entre la France et le Royaume-Uni, les souverains du Nigeria tentent de regagner leur indépendance dans un pays secoué tout au long de son histoire par de nombreux massacres ethniques et religieux.
Il est le souverain d’une monarchie aussi vieille que celle des Capétiens. C’est au cours du XIVème siècle que la monarchie se transforme en sultanat absolu sous l’impulsion du prince Ali Yaji Dan Tsamiya. Il met alors fin au règne du culte animiste des esprits, majoritaire au sein de l’ethnie Haoussa, lors de l’épique bataille de Santolo, en 1349. Le premier djihad recensé dans cette partie de l’Afrique qui va faire du royaume de Kano, une puissance militaire et religieuse qui perdure encore dans le subconscient des nigérians. L’assassinat du sultan Muhammad Alwali Ibn Yaji en 1805 va profondément affaiblir l’état alors sous la pression du djihadiste Shaihu Usman dan Fodio qui fonde le califat de Sokoto. Une guerre civile ne va pas tarder à éclater, mettre fin au règne de la maison royale de Kutumbi et le 19 août 1894, Aliyu Ibn Abdullahi-Maje Karofi s’empare du trône grâce à l’achat d’armement aux Ottomans et à ses mamelouks. La paix sera de courte durée, l’empire dont le commerce a longtemps reposé sur la vente des esclaves, excite l’appétit des britanniques. La bataille de Kwatarkwashi sonne alors le glas de ce royaume en tant que monarchie indépendante avant qu’elle ne soit intégrée au tout nouveau protectorat britannique du nord-nigérian (1903).
Les monarques sont désormais nommés par le nouveau gouverneur (1912), Lord Frederick Lugard, qui dessinera les frontières de la future colonie du Nigeria dans le lit et les bras de sa maîtresse avant de mettre en place « l’Indirect Rule ». Gouverner le pays à travers les hautes chefferies traditionnelles. Comme le sultan est exilé dans une école coranique, les britanniques nomment Muhammad Abbass (1903-1919) puis Usman II (1919-1926), régents de l’émirat. Les Sarkis de Kano n’ont plus qu’un rôle cérémonial et agissent comme de simples fonctionnaires de l’empire britannique. Lorsqu’il est couronné en décembre 1953, l’Emir Muhammadu Sanussi Ier est un sultan qui a retrouvé une majeure partie des pouvoirs. Afin de contrer la montée des partis indépendantistes (notamment le Northern People’s Congress (NPC) dirigé par son cousin et Sarduna de Sokoto, Chief Ahmadu Bello), les anglais ont progressivement redonné des regalias au souverain qui va accueillir et héberger dans sa cité la reine Elizabeth II en 1956. Un honneur mis en images par les productions Pathé. Le Nigeria entame alors sa lente marche vers la décolonisation dont entend profiter l’émir. Le NPC a été fondé par l’élite aristocratique du pays et Kano finance les activités de ce parti royaliste face au radical Northern Elements Progressive Union (NEPU). Une fois la république proclamée, Ahmadu Bello devient premier ministre de la Région du Nord. La rivalité entre les deux cousins tourne à l’avantage de l’arrière–petit-fils d’Usman Dan Fodio qui destitue l’émir de Kano en 1963, accusé de corruption au cours d’un scandale monté de toutes pièces. Ahmadu Bello n’aura guère le temps de profiter de son pouvoir. En janvier 1966, il est la victime d’un coup d’état qui fera des milliers de morts et qui va aboutir à la crise du Biafra sur fond de rivalité entre deux anciennes puissances coloniales.
L’émir Muhammadu Sanussi II est l’héritier de cette histoire tumultueuse. Depuis quelques jours au palais royal, les mines se sont fermées et la garde du Sarki a été renforcée devant l’imposante porte qui donne accès au trône. Le conseil de l’émirat fait face à de nouvelles accusations de détournement de fonds de la part du gouverneur de l’état de Kano, pressé de se débarrasser de ce souverain qui semble intouchable. Son intronisation comme roi n’avait déjà pas été de tout repos. Cet ancien gouverneur de la banque centrale du pays avait été fortement contesté par le prince Aminu Ado Bayero, fils de son prédécesseur qui entendait ceindre la couronne. Les partisans des deux camps s’étaient violemment affrontés avant que le conseil royal, fortement influencé par le président Goodluck Jonathan, ne finisse par désigner le Lamido Sanussi II. Car dans les antichambres du palais royal se jouait aussi une autre lutte de pouvoir entre les deux grands partis, l’APC et PDP, pour le contrôle de l’émirat, un électorat non négligeable. Le roi mène un train de vie fastueux (il possède deux Rolls Royce et est millionnaire) qui agace le pouvoir central comme la secte islamiste Boko Haram qui accuse le monarque de s’être éloigné des préceptes du prophète. Outre les détournements de fonds, l’émir est accusé de « poser d’étranges problèmes religieux et de s’engager en politique » écrivait déjà le journal « Le Monde » dans son édition africaine en mai 2017. En effet, pour l’émir, la Sharia qui régit une grande partie du Nigeria n’est en rien d’essence divine encore moins inscrite dans le marbre mais peut-être changée dans le respect des règles de la religion musulmane. Une prise de position révolutionnaire qui ne plait guère aux wahhabites de Boko Haram qui ont tenté à plusieurs reprises de l’assassiner. Entre le pouvoir central et l’émir, la lune de miel a tourné au fiel, une guerre d’usure que vient perturber Boko Haram qui n’a pas hésité à plastiquer la mosquée du souverain en novembre 2014, faisant plus de 200 morts.
« Pourquoi les musulmans conservateurs qui prétendent être contre le progrès scientifique montent dans des avions pour effectuer le pèlerinage à La Mecque plutôt que de traverser le désert à dos de chameau ? » avait répondu, avec assurance, à ses détracteurs, le souverain. Car en privé, les élites de l’aristocratie ne manquent pas de critiquer ses projets de loi comme la scolarisation des filles ou la fin de la polygamie si le mari n’est pas en mesure d’assurer financièrement le même confort à ses 4 femmes. Lui rêve de faire de Kano, une Dubaï africaine, moderne. « Nous avons des gouverneurs qui vont en Chine durant un mois et ils reviennent avec un protocole d’entente sur des dettes ». Les tensions entre le gouverneur et le Sarki ont atteint un point de non-retour lorsque ce dernier a critiqué publiquement le voyage du fonctionnaire en Chine « dans le cadre d’un projet de construction d’un tramway onéreux. ». Le palais se défend de vouloir outrepasser ses prérogatives mais rappelle que son « intérêt est celui du peuple et le chef traditionnel doit dire la vérité, être une autorité morale». Le « B-A-BA » de la monarchie.
Dernier épisode en date de cette lutte entre les deux pouvoirs que tout sépare désormais, la division en 4 régions de son royaume par le gouverneur. Profitant de son voyage à la Mecque, Abdullahi Umar Ganduje a signé un décret limitant de facto les pouvoirs de l’émir (qui ne règnera plus que sur 10 des 44 actuels arrondissements que compte l’état) qui s’est précipité dans son palais, entouré de la garde de royale venue le chercher à la descente de son avion. « La suprématie de l‘émir de Kano est affaiblie. Ces nouveaux émirats vont réduire l’influence et le prestige de cette institution traditionnelle » note Sule Bello, doctorant d’Histoire à l’Université nigériane d’Ahmadu Bello. Pour d‘autres experts, le gouverneur issu des rangs de l’APC, qui soupçonne le souverain d’avoir soutenu son opposition lors de la dernière élection où il a été réélu au fil du rasoir, assure que la décision prise « n‘était pas contre lui». En déclenchant une vendetta personnelle contre le roi, « cette situation peut engendrer des guerres claniques pour les trônes des différents émirats » prévient Sule Bello. « Créer de nouveaux émirats, cela dénature notre histoire, notre culture et nos traditions » affirment les partisans du roi dans Africanews et qui considèrent que le gouverneur a commis ici un crime de lèse –majesté contre 14ème émir de Kano. Du côté de ceux du gouverneur, on affirme que la « nouvelle loi doit permettre aux institutions traditionnelles d‘être plus proches du peuple ». Une guerre larvée qui devrait connaître son épilogue le 13 juin.
C’est à cette date que la cour suprême du Nigeria va décider si le monarque, qui vient pourtant d’être nommé aux Nations unies dans le groupe de défenseurs du développement durable, doit être inculpé pour les accusations portées contre lui par le gouvernorat. Une décision de justice qui mènerait à sa destitution et qui marquerait la fin de 8 siècles de monarchie unique à Kano. Signe des temps nouveaux ? Le gouverneur a décidé le 6 juin d’interdire le traditionnel défilé à cheval de l’émir, élu personnalité de l’année en 2011 par le Times, marqué par le son des tambours et les tirs de la garde royale vers le ciel. Reste à savoir si cette même cour va aussi valider la décision du gouverneur alors que le Nord du Nigeria semble menacer de déstabilisation. Ces dernières heures, le Président Mohammed Buhari a été contraint de sortir de sa réserve, afin d’apporter une aide au Sarki de Kano. Un soutien qui n’est pas passé inaperçu.
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Publié le 11/06/2019