C’est l’un des plus puissants souverains traditionnels d’Afrique de l’Est. Fils du dernier souverain en exercice d’Ouganda et du premier président de la République fédérale, Mutebi II est un roi incontournable de la vie politique locale. Lors de son 66ème anniversaire, il est apparu épuisé et amaigri de visage. Rapidement, des rumeurs d’empoisonnement ont circulé sur les réseaux sociaux et ont été reprises par la presse ougandaise, contraignant le gouvernement du monarque à sortir de sa réserve. En fond de toile de cette affaire, le décès suspect de son propre père, « King Freddie », dont les circonstances n’ont jamais été véritablement élucidées, et une rivalité avec le pouvoir en place menacé par un Kabaka qui estime qu’il est de son droit divin de diriger un pays bercé par les eaux du Nil.
« Il y a un complot clairement perceptible de la part des ennemis du Bouganda qui ont saisi cette opportunité afin de créer des divisions parmi la population et en tentant de saper les prérogatives du Kabaka ». Le Katikkiro (Premier ministre) Charles Peter Mayiga ne décolère pas. Lors d’une conférence de presse organisée le 16 avril, il a tenté de rassurer les sujets du roi Mutebi II, souverain héréditaire du Bouganda, et a pointé du doigt un vague complot organisé contre le monarque après que des rumeurs d’empoisonnement se soient répandues sur les réseaux sociaux prisés par les ougandais. « Je voudrais exhorter chacun d’entre vous à ne pas tenir compte des rumeurs que l’on peut lire sur les réseaux sociaux et qui affirment que le Kabaka a été empoisonné. Ils sont totalement faux, sans fondements et provoquent une anxiété inutile » a déclaré Charles Peter Mayiga lors de sa conférence, retransmise à la télévision nationale. Bien qu’il ne soit plus qu’un souverain traditionnel, Mutebi II est un roi révéré qui fait la pluie et le beau temps dans cette partie de l’Afrique de l’Est traversée par une des artères du Nil.
Lorsqu’il naît en 1955, il est le prince héritier d’un royaume qui règne sur pas moins de 52 clans et sur lequel s’appuie les britanniques pour diriger leur colonie. Son père, Mutesa II, surnommé affectueusement « King Freddie », est un personnage haut en couleur. Il n’a pas hésité à se précipiter dans les bureaux du gouverneur Sir Andrew Cohen, le menacer de sécession si le Royaume-Uni persistait dans sa volonté de créer une fédération qui incluerait d’autres nations et qui réduirait ses pouvoirs. La scène est tellement violente et les protestations publiques que l’histoire britannique a retenu ce chapitre de son histoire coloniale, sous le nom de « Crise du Kabaka ». Menacé, le gouverneur n’hésite pas à faire arrêter le souverain et le renvoyer à Londres, officiellement pour le mettre « en vacances au Savoy Hotel ». Face aux manifestations, la crise royale menace toute la stabilité de la région et contraint le gouverneur à faire machine arrière alors qu’il tentait de faire destituer le monarque. Mutesa revient, triomphant, avec l’assurance de diriger la destinée de son pays dès lorsque celui-ci accédera à l’indépendance. Il reste d'ailleurs et toujours un icône en Ouganda. « La vie de Mutesa II est une histoire humaine - celle d'un jeune monarque africain ambitieux qui s'est battu pour défendre l'héritage de ses ancêtres et pour émanciper son peuple des griffes d'une puissante autorité impériale » n’a pas hésité à écrire à son propos l’écrivain et avocat royaliste Apollo N. Makubuya. Autant dire que son fils porte sur ses épaules un lourd héritage.
Les négociations seront longues, Mutesa II ne lâche rien et entre en conflit avec Milton Obote, un autre leader indépendantiste qui souhaite se débarrasser de cette monarchie. Et si un accord est finalement trouvé entre les deux hommes, leur rivalité politique va se poursuivre et se terminer dans la tragédie. Le roi obtient d’être le président de la nouvelle république (tout en gardant ses régalia de souverain du Bouganda) et Obote devient Premier ministre avec de larges pouvoirs en 1962. Durant 4 ans, les deux hommes se regardent en chien de faïence et Mutesa II supporte mal d’avoir un poste qui reste honorifique alors qu’il pourrait être le monarque constitutionnel de son pays. Son parti, le Kabaka Yekka, tente d’imposer l’idée au parlement et radicalise Milton Obote qui a compris que ses jours sont comptés. En 1966, afin de sauver son pouvoir, le Premier ministre provoque une crise qui aboutit à un coup d’état. Le pays est au bord de la sécession, les chars se positionnent autour du palais royal, les affrontements font de nombreux morts entre royalistes et les militaires conduits par un certain Idi Amin Dada. Mutesa II doit quitter son pays, un exil sans retour, accompagné de sa famille avant que la monarchie ne soit officiellement abolie en 1967. Il sombre dans l’alcool mais prend le temps de rédiger sa biographie qui aura un certain succès avant l’inéluctable. Un matin de novembre 1969, la radio ougandaise annonce subitement le décès de son roi sans que des explications ne soient avancées. Aujourd’hui encore le mystère demeure sur ce décès. La police britannique conclut immédiatement à un suicide, les partisans du roi affirment qu il a été assassiné et réclament l’ouverture d’une enquête qui sera... fermée.
Il faudra attendre 1993 pour la monarchie soit restaurée au Bouganda et que Mutebi II remonte sur son trône. Si dans les faits, seul le Président Yoweri Museveni concentre tous les pouvoirs entre ses mains, la République a du s’accommoder de ceux du Kakaba qui se sont renforcés au cours des décennies, menaçant même directement l’ancien rebelle qui dirige le pays depuis 35 ans. En 2009, des émeutes éclatent dans Kampala. C’est clairement une tentative de coup d’état orchestré par les partisans du roi qui se sont rassemblés dans la capitale. Les manifestations sont réprimées et Museveni accuse alors la Libye d’avoir financé cette rébellion sans pour autant toucher à la personne royale afin de préserver l’unité du pays. L’histoire est un éternel recommencement et l’Ouganda a quasiment deux dirigeants qui se méfient l’un de l’autre. Lors de la dernière élection présidentielle (janvier 2021), le candidat de l’opposition, le chanteur populaire Bobby Wine, n’a pas caché son soutien au Kabaka et même venu ramper devant lui. Si le monarque s’est abstenu de prendre position, le gouvernement fédéral a vu dans cette prosternation, un soutien par défaut du roi à cet opposant, victime d’une étrange tentative d’assassinat durant la campagne.
Le secrétaire du roi, Sam Kasolo, a également démenti une nouvelle série de rumeurs selon lesquelles le Kabaka avait été admis à l’hôpital de Nakasero et qu’il serait décédé. « Alors que nous continuons à prier pour Kabaka pour qu’il ait un longue vie, il y a une inquiétude croissante et un besoin de se prémunir contre les allégations spéculatives, fausses et carrément malveillantes qui circulent sur les médias sociaux », demandant aux sujets du roi (16% de la population ougandaise) de ne pas se faire l’écho de ces rumeurs. « L'effort pour affaiblir notre royaume ne réussira pas. Des mensonges et des allégations malveillantes sont suscités et diffusés par des personnes qui prétendent aimer et se préoccuper du Kabaka, alors que ce n'est pas le cas » a renchéri Sam Kasolo qui a aussi accusé les ennemis du roi d’avoir orchestré un complot virtuel, sans que ceux-ci ne soient directement nommés. Mais alors de quoi souffre le roi car indéniablement, les photos prises au cours de la cérémonie démontre bien que Mutebi II est malade. ? « Ceux qui ont suivi les festivités à la télévision et sur les réseaux sociaux ont remarqué que la disposition du Kabaka était différente de celle à laquelle ses sujets sont habitués. Nous sommes tous confrontés à des maux de temps en temps. Dans le cas du Kabaka, sont état de santé est simplement liés à des allergies qui lui causent des difficultés respiratoires, notamment lorsqu'il porte un masque ou un écran facial » a déclaré Charles Peter Mayiga. Une explication qui n’a pas convaincu les partisans du roi qui restent persuadés que le gouvernement a tenté de faire assassiner le roi légitime de l’Ouganda et au-delà du Nil.
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