C’est la colère, la stupeur et l’émotion qui ont secoué les réseaux sociaux monarchistes du Brésil. C’est la Confederação Monárquica do Brasil qui révélé l’information et qui a été très vite relayée sur Facebook. Sur plusieurs comptes Twitter et preuves à l’appui, plusieurs militants du mouvement Black Lives Matter («La vie des noirs comptent») ont annoncé leur intention de déboulonner la statue de la « Rédemptrice » qui trône en plein Rio de Janeiro et «de la jeter à la mer». Réelle volonté ou coup de bluff, cette provocation a indigné plus d’un partisan de la maison impériale. Objet d’une vénération pour beaucoup de brésiliens et d’afro-descendants, la princesse Isabelle d’Orléans-Bragance a signé le décret d’abolition de l’esclavage, en 1888.
Depuis hier, des bouquets de camélias blancs entourent la statue de la Rédemptrice à Rio de Janeiro. C’était les fleurs préférées de la fille de Dom Pedro II et de la princesse Thérèse de Bourbon-Sicile, devenue l’héritière au trône d’un empire proclamé en 1822. Son nom reste à jamais attaché à la «Loi d’Or», signée le 13 mai 1888. Son père en voyage en Europe, la princesse Isabelle est nommée régente. Elle décide alors de rendre sa liberté à tous les esclaves du pays. Mais en s’attaquant à un des piliers de la monarchie, le régime va également perdre ses principaux soutiens qui décident finalement de mettre fin au régime impérial, en novembre 1889. Faute d’avoir reçus les compensations financières réclamées. Mais pour ses détracteurs, il n’est point d’hommage à rendre à celle qui reste pour eux, le symbole d’un empire qui a mis en esclavage des générations d'indiens et d'africains durant des décennies.
«Nous ne laisserons pas le plus grand symbole abolitionniste de notre pays être détruit aussi facilement !». Les monarchistes ne décolèrent pas sur les réseaux sociaux d’autant que celle que l’Histoire a retenue sous le nom de «Rédemptrice» est adulée au Brésil. Y compris au sein des afro-descendants qui n’ont jamais remis en cause les actions de la maison impériale en faveur de l'abolitionisme. Un esclavage dont la fin a été graduellement programmée afin de ne pas s’attirer l’ire des grands propriétaires terriens, blancs ou mulâtres. Dès les premières années du règne de Dom Pedro Ier, des projets en ce sens lui sont présentés et même discutés au sein du parlement. Le sujet est sensible mais la monarchie brésilienne est un régime précurseur à l’heure où le commerce triangulaire en pleine expansion. En 1850, le Brésil abolit d’ailleurs tout commerce de l’esclavage à l’intérieur de ses frontières. La maison impériale s’érige alors en défenseur des africains, dont la plupart originaire d’Angola du Nigeria, du Ghana ou du Bénin, ont été vendus aux portugais par d’autres chefs de tribus (38% de la population africaine acheminée en Amérique fut exportée au Brésil) tout en bénéficiant de la manne finacière qu'elle représenté. Pedro Ier songe même à faire venir une immigration de masse afin de palier à cette main d’œuvre gratuite dont il souhaite briser les chaînes. Allemands ou chinois, ils tentent leurs chances, sans succès. On procèdera même à l’abolition de centaines d’esclaves que l’empire renvoie en Afrique afin qu'ilS créeNT des sociétés libres comme en Sierra Léone, au Gabon ou au Libéria.
Très puissante, la Franc-maçonnerie, qui compte une grande partie de la noblesse locale dans ses rangs, va largement contribuer à œuvrer en faveur de l’abolition de l’esclavage au sein d’une société qui devient multiculturelle et métissée. En 1871, sous le règne de Dom Pedro II, la loi du ventre libre est adoptée. Tous enfants nés de relations entre esclaves ou avec un blanc seront libres dès leurs premiers cris. Une loi qui marque le premier chapitre de la fin progressive et inéluctable de l’esclavage dans cette partie de l’Amérique du Sud. A titre de comparaison, ailleurs dans le monde, la France a mis fin à cette pratique en 1848, les Etats-Unis en 1865 au prix d’une violente guerre civile alors que dans le sultanat de Zanzibar le commerce des esclaves est florissant et la demande croissante dans ce vaste marché humain à ciel ouvert. Pis, il augmente de façon exponentielle en Afrique de l’Est dès 1873, entraînant une flambée des prix, alors que le sultan a pourtant signé un décret d’abolition, sous la pression des britanniques.
A la suite de ces menaces aussi incongrues que surprenantes, afin d’éviter tout débordement, la police militaire de Rio de Janeiro a décidé de faire garder la statue autour de laquelle un petit groupe clairsemé de monarchistes bolsonaristes a rendu hommage, hier. Ces nostalgiques de l’empire regrettent les amalgames générés par les militants du Black lives matter qui, à l’instar de la statue d’Edward Colson au Royaume-Uni, souhaitaient rejeter celle de «la princesse Isabelle à la mer». «Ignorants et dépourvus de connaissance historique, ce que ces profils ont proposé est un crime contre le patrimoine public» expliquent les monarchistes, qui rappellent qu’après l’abolition, les camélias furent longtemps arborés par les anciens esclaves en guise de remerciements. D’ailleurs, d’un point de vue royaliste, ce sont encore eux qui furent les grands soutiens de la monarchie après sa chute inattendue et que l’on retrouvera au sein de partis politique qui ont marqué l’histoire du Brésil comme l'Action impériale brésilienne Patrianovista dirigée par l’afro-brésilien conservateur Arlindo dos Santos Veiga ou encore la Sociedade Negra Princesa Isabel.
Bien qu’épargné par la vague de dégradations qui submerge l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis, les menaces de déboulonnement de statues restent présentes au Brésil, «en particulier contre les pionniers, historiquement considérés comme des explorateurs, mais qui recherchaient essentiellement à s’enrichir et qui sont également responsables de la décimation des populations autochtones ou de la destruction des quilombos [communauté d’esclaves marrons ndlr]» explique la version lusophone de RFI. «Ce n’est pas en détruisant des statues que nous résoudrons le problème du racisme» explique Paulo Garcez Marins, conservateur du Museu Paulista. «Au contraire, cela doit être le départ de discussions permettant de comprendre les raisons qui ont amené à ce que des états érigent de telles statues. Et au-delà de ça, surtout de construire une histoire mémorielle exacte sansremettre en cause pour autant ses parts d’ombres» renchérit ce professeur à l’université de Sao Paulo qui se demande ce que ces militants «décolonisés de l’anti-racisme» réclameront après avoir mis à terre toutes les statues qui ne leur plaisent pas. «Photos, livres…et ensuite ? C’est totalement contre-productif» déclare Paulo Garcez Marins.
«Si l'abolition est réellement la raison principale de la chute de la monarchie, je n’ai pas le moindre regrets ! Je considère que cette cause valait largement la peine de perdre le trône» avait déclaré de son vivant la princesse Isabelle d’Orléans-Bragance décédée en 1921, à 75 ans. Encore aujourd’hui, les monarchistes ne comprennent toujours les raisons qui poussent les militants du Black live matter à réclamer le déboulonnement la statue de la «Rédemptrice».
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