C’est une princesse qui a été une combattante acharnée de la lutte contre l’esclavage et une humaniste chrétienne, encore révérée aujourd'hui en Amérique du Sud. Le 14 novembre, le Brésil a fêté le centième anniversaire du décès d’Isabelle de Bragance rendue célèbre pour la signature de la Loi d’Or en 1888. Un décret qui a mis fin à la traite des noirs et qui sera le prétexte à la chute de la monarchie un an plus tard. Un dossier en béatification a été déposé à l’initiative du professeur et journaliste Hermès Rodrigues Nery. Depuis 2011, il attend toujours que le Saint-Siège rende un verdict final sur cette demande qui suscite des divisions chez les brésiliens et les monarchistes eux-mêmes. En charge du dossier, le père Nascimento confirme l'ouverture probable d'un procès en béatification de l'héritière de l'empereur Dom Pedro II mais demande à tous d'être patients en raison du contexte actuel qui prévaut au Brésil.
Le 14 novembre 1921, c’est l’émoi au Brésil. Tous les journaux annoncent en page principale la mort de la « Rédemptrice ». C’est au château d’Eu que la princesse Isabelle du Brésil s’est éteinte des suites d’une pneumonie, à l’âge de 75 ans. Elle avait appris quelques mois plus tôt que la loi d’exil était abrogée et qu’elle pouvait enfin rentrer dans son pays bien-aimé après trois décennies d’exil qui l’auront éprouvé. Elle était lasse, fatiguée. Le monde dans lequel elle avait grandi, évolué s’était éteint brutalement. Elle vivait avec ses souvenirs, entourée des portraits de son père, Dom Pedro II, son époux, ses deux enfants Dom Luis et Dom Antonio décédés, ne quittant que très peu le château d’Eu. D’ailleurs, elle ne marchait quasiment plus. Ses obsèques à la chapelle du château de Dreux furent à l’image de sa vie, aussi grandioses qu’intimes et simples. Au Brésil, l’annonce de son décès provoqua des scènes de pleurs, le pays prenait le deuil d’une régente, d’une femme qui avait osé l'impensable, signer le 13 mai 1888 le décret d'abolition de l’esclavage. Le prix de cette décision avait été chèrement payé. Abandonnée par ses soutiens principaux, l’église et les grands propriétaires, la monarchie avait été renversée au cours d’un coup d’état le 15 novembre 1889. « Il y a eu un effort de l'État pour effacer la mémoire de Dona Isabelle et de la famille impériale. Malgré tout, des groupes ont continué d'entretenir la flamme » déclare le père Nascimento au quotidien Veja.
Sur les pages du site officiel du Sénat brésilien, une très longue biographie lui a été consacrée, agrémentée de photos, tableaux et vidéos. Elle a droit à ses statues au même titre que les autres combattants anti-esclavagistes que l’on fleurit chaque année. Le Brésil a depuis redécouvert son histoire avec une population afro-brésilienne qui continue de cultiver son admiration pour cette petite princesse blonde aux yeux bleus qui fut mariée au prince Gaston d’Orléans en 1864. De ce mariage descendent d'ailleurs les deux branches Petrópolis et Vassouras de la maison impériale, prétendantes au trône. En 2011, le professeur et journaliste Hermès Rodrigues Nery a déposé officiellement un dossier en béatification de la princesse Isabelle d’Orléans. Catholique conservateur et coordinateur du Mouvement Législation et Vie, c’est aussi un opposant à la théorie du genre, un proche des princes Dom Luis et Bertand d’Orléans-Bragance et un ancien conseiller municipal de São Bento do Sapucaí. C’est sa rencontre avec une femme de 80 ans, lors d’un Quilombo, qu’il a pris conscience de l’importance de la princesse Isabelle pour la communauté afro-brésilienne. En effectuant des recherches approfondies, il s’est aperçu qu’il y avait des témoignages des descendants d’esclaves qui affirmaient avoir été guéris de leurs maladies par la princesse. « C’était une personnalité forte et résolue qui a su prendre des décisions correctes et courageuses, dans un moment historique qui nécessitait sagesse et détermination » explique Hermes Rodrigues Nery.
Pour ce professeur d’histoire, le dossier est solide. Il y a eu la Rose d’or reçue des mains du Pape Léon XIII, les preuves de guérison, le succès de sa pétition de septembre 1900 où elle demandait au Saint-Siège de proclamer le dogme de Notre-Dame de l’Assomption, ses nombreuses lettres au Pontife où elle lui demande d’intercéder en faveur de José de Anchieta et de le déclarer saint (chose faite en…2014), sa bonté spirituelle, la force de sa foi qui ne l’a jamais quitté durant ses années d’exil et son dévouement avéré pour le Brésil, basé sur les préceptes d'un humanisme chrétien. Interrogé sur la perspective de voir la princesse Isabelle être béatifiée, l’archevêché de Rio de Janeiro évite pourtant de se prononcer officiellement. Par l'intermédiaire de son service de presse, l'institution ecclésiastique confirme qu'il y a un « début de pourparlers concernant un procès qui aboutira à la béatification et, plus tard, à la canonisation » sans pour autant dire quand celui-ci aura lieu. 80 000 documents sont actuellement épluchés par une commission qui a dû stopper ses travaux entre 2019 et 2021 en raison de la pandémie de Covid-19 et des déclarations du président Bolsonaro sur l’esclavage qui ont été plus d’une fois ambiguës.
« C'est un travail complexe, qui nécessite des études de longue durée. C'est une figure historique brésilienne et nous devons aussi vérifier sa vie privée » affirme le père Nascimento en charge du dossier. Cette demande divise profondément les brésiliens. Certains sont persuadés que si le président actuel est réélu, cela ne fera qu’accélérer le processus, étant proche des Orléans-Bragance, la lignée conservatrice des Vassouras qui ne cache pas qu’elle est favorable à cette béatification. D’autres sont persuadés qu’un retour de la gauche au pouvoir mettra un frein certain à cette demande, jugée trop monarchiste et éloignée des préoccupations des afro-brésiliens, lesquels ont pourtant été des soutiens indéfectibles au monarchisme brésilien comme ce fut le cas avec les mouvements de la Guarda Negra ou de l’Ação Imperial Patrianovista Brasileira. « Encore vivante, elle était considérée par de nombreux catholiques, y compris des clercs et des religieuses, comme une sainte. En réalité, elle avait une personnalité autoritaire. Et il en va de même pour son catholicisme : elle était ultra-catholique et, même si par son éducation libérale elle défendait la coexistence des religions, elle était clairement très attachée à la conviction que l'Église catholique était la voie du salut pour tous les hommes » affirme de son côté l'historien et avocat Bruno da Silva Antunes de Cerqueira. « Comme il lui était interdit de retourner au Brésil, les partisans de la monarchie ont commencé à encourager les catholiques à la considérer comme une sainte, une personne qui ne se souciait que de faire le bien et qui aurait été exilée pour cela » ajoute- t-il.
« L'Église ne fabrique pas les saints. Ce qui fabrique les saints, c'est la propre sainteté de l'individu. Et quiconque reconnaît la sainteté d'une personne ne peut être que peuple. Ce sont les gens qui créent cette dévotion » précise le père Nascimento qui reconnaît que les Brésiliens sont à la recherche d’une référence, un modèle à suivre. Conjuguant à la fois libéralisme et conservatisme, la princesse Isabelle du Brésil pourrait devenir le symbole d’une nation réconciliée avec son histoire. « Je pense que l’influence qu’elle a exercé sur le destin de notre Nation entrera de nouveau dans l'Histoire, car une grande partie de ce qu'elle voulait accomplir en tant qu'Impératrice reste encore à faire : son projet de Nation, fondé sur des valeurs humaines et chrétiennes » croit savoir de son côté Hermès Rodrigues Nery. Le 14 novembre, les membres de la maison impériale sont venues se recueillir sur la tombe de la Rédemptrice dont les restes ont été ramenés en 1953 et inhumés 18 ans plus tard dans la cathédrale de Petrópolis.
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