La frange la plus conservatrice des monarchistes brésiliens a-t-elle infiltré le gouvernement du président Jaïr Bolsonaro ? C’est la question que s’est posée la version lusophone de la BBC qui a publié, il y a quelques jours, une longue enquête à ce sujet alors que le pays s’apprête à célébrer le 130ème anniversaire de la chute de sa monarchie.
L’événement a fait le tour des réseaux sociaux, largement commenté. En publiant sur son compte twitter la photo de sa réunion avec le prince Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, le conseiller pour les affaires internationales du président Bolsonaro, Filipe Martins, a créé la surprise, le 28 février dernier. Au menu des discussions avec le prétendant au trône, les relations diplomatiques du Brésil avec les autres pays, l’identification des premiers besoins pour les brésiliens dans leur vie de tous les jours et le bilan de la monarchie. Une véritable réhabilitation de la maison impériale qui a apporté un soutien discret mais efficace à la campagne du Parti-social-Libéral (PSL) qui, comme son nom ne l’indique pas, est un mouvement ultra-conservateur.
Depuis 2015, grâce aux nombreuses affaires de corruption qui éclaboussent tous les partis politiques traditionnels du pays, le Brésil connaît un certain regain de monarchisme. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue à haranguer leurs compatriotes, les monarchistes comme les différents membres de la maison impériale se sont largement mobilisés pour faire diffuser leurs idées. Et avec succès. Pas moins de 5 députés élus, aux dernières élections fédérales quelques apparentés, un prince (Luiz Philippe d’Orléans-Bragance) envoyés sur les bancs du parlement. Avec 20% de brésiliens qui plébiscitent le retour d’une monarchie qui n’aura duré que presque 7 décennies (1822- 1889) et un état, celui de Rondonia, qui a adopté le drapeau impérial comme symbole, tous les espoirs sont permis. C’est un électorat, bien que divisé sur le personnage, dont ne peut se passer le président Bolsonaro à l’heure actuelle.
La députée fédérale et ancienne journaliste, Carla Zambelli, organise régulièrement des réunions avec celui que ses partisans appellent simplement « Dom Bertrand ». Dans son bureau, un buste de Dom Pedro II, l’arrière-arrière-grand-père du prétendant impérial et un portrait de l’actuel chef de la maison, Luiz Gastão. Non loin de son bureau, celui du neveu de Dom Bertrand, le prince Luiz Philippe d’Orléans-Bragance. Le drapeau impérial trône même dans celui de Carla Zambelli. Le prince Dom Bertrand n’est pas un inconnu pour les brésiliens, un habitué des polémiques et des prises de positions controversées. Mais ici, dans les couloirs de l’assemblée nationale, ceux qui le croisent, le saluent avec déférence. « El imperador » a été reçu par le ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, qui ne cache pas ses tendances monarchistes. L’idée d’un référendum sur la question d’une réforme des institutions circule, incluant la possibilité de restaurer la monarchie et celle-ci pourrait être posée aux brésiliens en 2022.
En marge de cette rencontre, d’autres réunions ont été organisées au sein de l’assemblée nationale. Ainsi la BBC révèle que le prince a rencontré la sénatrice Márcio Bittar (MDB-AC) et les députés fédéraux Paulo Martins (PSC-PR), Waldir (PSL-GO) ou encre Enrico Misasi (PV-SP) qui sont membres de ce nouveau lobby monarchiste au Congrès fédéral. « J'ai été surpris, j'ai trouvé plus d'ouverture que prévu » a déclaré à la presse le prince Dom Bertrand, confiant pour l’avenir et qui a même affirmé « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions » -notamment celles concernant son opposition au mariage homosexuel (une « tare » avait-il dit en mai 2017) , à l’avortement et à l’occupation illégale des propriétés foncières par le mouvement des Sans-Terres et des indiens (« qui pèchent par inculture et manque de catéchisme » selon lui)-, et « en complète harmonie » a ajouté le prince. Interrogé pour savoir si la restauration de la monarchie avait été abordée, c’est son conseiller qui a répondu en précisant que l’objectif était de traiter cette question avec discrétion afin de ne pas provoquer de réactions négatives susceptibles de nuire au projet en cours. Un aveu qui en dit long sur les chances de voir la monarchie revenir au pouvoir.
L’accueil chaleureux qui a été réservé au prince reflète l’avancée politique du mouvement monarchiste qui a aujourd’hui infiltré les officines de l’état, selon la BBC, qui rajoute qu’il a même réussi à faire réhabiliter l'un des principaux représentants du monarchisme brésilien - le journaliste et militant catholique Plinio Corrêa de Oliveira (1905-1995), fondateur de la Société brésilienne de défense de la tradition. , Famille et de la propriété TFP). Un lobby religieux anti-communiste et anti-socialiste, qui préconise une lecture plus conservatrice du catholicisme que le Vatican lui-même, dont sont membres Dom Bertrand et son frère aîné, que la France a inscrit au registre des sectes. « Seuls les hommes peuvent s’y inscrire » ne manque pas d’écrire le journaliste de la BBC. « Les activités de l'institut, qui comprennent des marches et des voyages à travers le Brésil, ne conviennent pas aux personnes du sexe fragile » précise le prince impérial Bertrand d’Orléans-Bragance qui n’apprécie guère le pape François. « Nous ne prêcherons pas de rébellion car il est le successeur de Saint-Pierre, mais là où il fragilisera la tradition catholique, nous résisterons » n’hésite t-il pas à dire à son interlocuteur.
« Lorsqu’un candidat est élu, la seule chose à laquelle il pense, est sa ré-élection » déclare Carla Zambelli. « Un monarque n’a pas à s’inquiéter de cela, il ne pense qu’au bien du pays » ajoute t-elle. La solution pour le Brésil ? « Une monarchie parlementaire » répond de suite la députée. « La république a rompu un processus historique et créé un régime illégitime institué par une demi –douzaine de militaire et d’intellectuels, sans aucun soutien de la part de la population » intervient alors le député Paulo Martins. Les chances de voir un empereur sur son trône sont-elles réelles ? Lors du référendum de 1993, seuls 13.4% des voix s’étaient portés sur ce choix. Pour les députés, c’est complexe. « Avant de penser à cela, il faut d’abord ré-éduquer les brésiliens sur leur passé, leur histoire monarchique que la période républicaine a pris soin de détruire ». déclarent –ils d’un commun accord. Réaction de Dom Bertrand ! « Le moment nous est favorable ! » assure t-il, heureux de constater le retour des idées conservatrices et qui dans une interview accordée au journal La Croix, en juin 2018, avait affirmé que «ce serait pour son pays, un soulagement si la monarchie revenait ».
L’influence des monarchistes ne se limite pas au parlement rappelle la BBC. Ainsi le très monarchiste procureur Gilberto Callado de Oliveira a été nommé à la tête de Instituto Nacional de Estudos e Pesquisas Educacionais Anísio Teixeira (INEP ), une agence liée étroitement au ministère brésilien de l' Education chargé de l' évaluation du système éducatif et la qualité de l' éducation au Brésil. Ce dernier n’a d’ailleurs pas hésité, il y a peu, à qualifier Plinio Corrêa de Oliveira, de « plus grand représentant du renseignement contre-révolutionnaire ». Le ministre de l’éducation, Ricardo Velez, est lui-même un partisan de la monarchie et n’a pas hésité à le faire savoir à diverses reprises sur les réseaux sociaux. Encore faut-il citer, l’écrivain et philosophe Olavo de Carvalho qui est un des inspirateurs de Bolsonaro et qui a adhéré à l’idée monarchique après un passage …à l’extrême-gauche. Dans une vidéo d’ailleurs, il avait déclaré publiquement que le prince Dom Bertrand était « le brésilien le plus patriote (qu’il avait) jamais vu de (sa) vie, celui qui tente de trouver des solutions aux problèmes qui secouent le pays ».
Que pense donc le climato-sceptique prince Dom Bertrand de Jair Bolsonaro, dont un des fils a fait récemment la promotion de la dictature dans un film ? Pour lui, le président a su « incarner et brillamment interpréter les aspirations des Brésiliens à vouloir être libres de cette mentalité interventionniste mise en place par les socialistes et les marxistes qui ont pillé la nation ». Rien d’étonnant en soi, sa branche, les Vassouras, avaient appelé à voter Bolsonaro, à commencer par le prince Luiz Gastao, qui avait émis un communiqué qui ne cachait guère ses préférences.
«« La beauté de la société ne réside pas dans l'égalité, mais dans les différences, qui doivent être proportionnelles, hiérarchisées, harmonieuses et complémentaires, au même titre qu'une symphonie » conclu le prince Dom Bertrand d’Orléans –Bragance qui, a 78 ans, se dit préparé à régner.
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Publié le 08/04/2019