« Nous avons l'intention de changer le destin de notre Brésil ». C’est avec ce tweet sur son compte personnel que Jair Bolsonaro a été investi hier, 38ème président de la République du Brésil. Qualifié de patriote ou de fasciste selon le bord politique auquel appartient tels ou tels brésiliens, le nouveau dirigeant va devoir composer avec un parlement disparate et un sénat qui ne lui est pas acquis. Parmi lesquels 5 députés monarchistes répartis sous divers étiquettes.
La campagne électorale a été violente tant dans les propos et les actes. Candidat du Parti Social-Liberal, qui a tout du populisme, le nouveau président de la República Federativa do Brasil échappe même à une tentative d’assassinat à la veille de la date d’anniversaire de la proclamation de l’indépendance. C’est le 7 septembre 1889 qu’un coup d’état militaire, où se mêlent les intérêts des planteurs conservateurs, de la franc-maçonnerie et ceux de l’église, met fin au système monarchique mis en place 67 ans auparavant. Les brésiliens restent marqués par cette période qui a construit les bases d’un état moderne qui n’a cessé de se libéraliser. Absolutiste, la monarchie devient constitutionaliste ; elle décidera de mettre fin à l’esclavage, pourtant pierre angulaire de son pouvoir. Un acte gravé dans le subconscient des brésiliens qui regardent toujours les descendants de Dom Pedro II avec respect.
Exilés, la loi de bannissement est levée en septembre 1920. Depuis cette date, la famille impériale des Orléans-Bragance a été de toutes les actions politiques, bien que divisés en deux branches (Vassouras et Petropolis) qui se disputent encore le trône vacant. La république est instable, vit à l’heure des mutineries monarchistes ou autres tentatives de coup d’états comme celui du 11 mai 1938 où le pays connaîtra son « 6 février 1934 ». Membre de l’Action intégraliste brésilienne (AIB), qui puise sa doctrine dans celle de l’Action française, le prince Jean d’Orléans-Bragance (1916-2005) participera à l’attaque du palais de Guanabara et du ministère de la Marine où il sera blessé. Le putsch échoue, le gouvernement ne prendra aucune mesure contre la famille impériale trop populaire.
Entre 1964 et 1985, le pays se mue en dictature impitoyable. L’ordre règne, la maison impériale est une option à laquelle pensent plusieurs officiers militaires. Peu avant le coup d’état de 1964, un groupe de hauts gradés, à l'instigation du maréchal et futur président Castelo Branco, se rendent la Fazenda Santa Maria où vit le prince Dom Pierre-Henri (1909-1981) afin de lui donner l'occasion de devenir empereur au moyen d'un coup d'Etat. Le prince Pierre-Henri éconduira sèchement les militaires et déclare qu’il ne reviendra au pouvoir que par la volonté populaire et non pas par un putsch.
En 1977, Jair Bolsonaro est un cadet à l'École Préparatoire des Cadets de l'Armée de Terre. Il n’ignore rien des complots qui se trament au sein de l’armée fédérale. Sous-Lieutenant d’artillerie puis capitaine, il va nouer des contacts avec tous les milieux y compris les monarchistes. Avant d’être expulsé en 1988, accusé d’avoir voulu faire exploser des bombes de faible puissance dans les toilettes de sa caserne. Il sera blanchi, se lance dans une carrière politique sous les couleurs du Parti démocrate-chrétien. Cette même année Antônio Henrique Cunha Bueno, alors député fédéral de São Paulo sous l’étiquette du parti de centre-droit PDS (Partido Democrático Social) publie un ouvrage allant à contre-courant des idées en cours. La république brésilienne s’apprête à célébrer son centenaire. Prenant exemple sur la monarchie espagnole, il soutient que la restauration de la monarchie est la seule solution viable pour sortir le pays du chaos institutionnel qui est le sien (en effet, partant du principe que la république était issue d’un coup d’état, elle était de facto illégale) et lance une pétition visant à l’organisation d’un référendum d’initiative populaire portant sur la forme constitutionnelle du régime. Malgré les difficultés d’une lourde campagne, il parvient à réunir le quorum de un million de signatures exigé par la loi, former un groupe parlementaire hétéroclite, puis à faire approuver par une majorité de députés, le principe de ce référendum qui sera organisé en 1993. Le mouvement monarchiste est à son apogée et fait trembler la république qui décide de lui couper l’herbe sous le pied en avançant subitement de 5 mois le vote (avril). 6 millions de brésiliens voteront cependant pour la monarchie. Un succès en demi-teinte.
Deux décennies plus tard, la république est entachée par des affaires de corruption similaires qui minent tous les partis politiques (affaire Petrobras). Bien que dissout le mouvement monarchiste subsiste à travers divers des centaines de petits cercles et connaît un essor avec le développement des réseaux sociaux. Dans la rue, les drapeaux de la monarchie sont affichés sans complexe, des milliers de royalistes réclament dans les principales rues des grandes villes, le retour de la monarchie. Les princes ne sont pas inactifs et depuis la mort du populaire prince Pedro –Gaston en 2007, les Vassouras ont pris largement l’avantage sur leurs adversaires, exception faîte du prince Joao-Henrique d’Orléans-Bragance (fils du putschiste) qui reste le personnage le plus emblématique des Petropolis et qui incarne l’esprit de tolérance libérale, propre à cette branche. C’est dans ce contexte que le Parti Social Liberal de Jair Bolsonaro va émerger alors qu’il n’est qu’un parti minoritaire au sein de la classe politique brésilienne. Le « Trump tropical » va rapidement s’imposer avec des phrases chocs sur des thèmes qui le rapprochent de ceux prônés par le prince Dom Bertrand, second dans l’ordre de succession au trône (protection de la famille [refus du mariage pour tous et de l’avortement]-bien que ce président évangliste ne soit pas un exemple de probité lui-même à ce niveau-là-, mise en avant de la religion et de la sécurité, politique économique en faveur des grands planteurs et groupes agro-industriels…). Son slogan, « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous » rassemble autant qu’il divise la mouvance monarchiste. Mais assez pour obtenir le ralliement du prince Luis-Philipe d’Orléans-Bragance, objet de toutes les attentions de la part des médias qui le voit tour à tour colistier de Bolsonaro ou ministre des affaires étrangères. Il sera élu député de Sao Paulo.
Ardent défenseur du retour de la monarchie parlementaire, il fait son entrée au parlement aux côtés des journalistes Paulo Martins (PSC - PR) et Carla Zambelli (PSL - SP), de Vinicius Poit (NOVO - SP) ou encore du député Lebrão (MDB), sympathisant de la cause monarchiste, à l’origine de l’adoption du drapeau impérial dans l’état de Rondônia. A peine a-t-il prêté serment au cours d’une cérémonie retransmise à la télévision le 18 décembre que le prince (nommé par le magazine l’Express comme étant parmi les « extravagants élus » de Bolsonaro), qu’il n’a pas tardé à remettre un rapport de 15 suggestions au nouveau gouvernement. Membre d’un groupe (qui rassemble libéraux comme conservateurs) chargé par le nouveau dirigeant de lui faire des propositions de réformes, on y trouve la demande de fin des quotas raciaux dans les universités, l’interdiction de tout financement de parti politiques par un pays étrangers, une loi de réforme de l’éducation nationale, plus de libertés médicales pour les femmes (comme les autoriser à se faire ligaturer les trompes après la naissance de deux enfants, sans se faire évaluer par une commission au préalable), une sévère réforme du plan national des droits de l’homme (contrôle de la presse). Journaliste élu en 2016, rallié à la monarchie, Paulo Martins avait déclaré à diverses reprises et par le passé que la « république était à bout de souffle ». Son crédo, la loi sur le travail et la réduction des dépenses de l’état dont il s’est fait le spécialiste au cours de la précédente législature. Bolsonaro le tient en grande estime. Lorsqu’il avait été privé de sa page par le groupe Facebook, le nouveau président était venu à son secours en déplorant le manque de démocratie sur ce réseau social, citant la page du journaliste comme « étant l’une des meilleures ». Tout comme son confrère, Carla Zambelli, opposante déclarée à l’ancienne présidente Dilma Rousseff contre laquelle elle avait fait campagne, a rejoint le mouvement monarchiste, il y a un an. Sa rencontre avec les membres de la famille impériale ont déterminé son choix, « convaincue de l’importance de l’utilité d’un empereur à la tête de l’état » comme elle l’avait expliqué au journal Epoca. Nul doute quelle appuiera la pétition et ses 40 000 signatures déposée au sein de l’assemble nationale pour l’organisation d’un second référendum sur les institutions ou la fin des quotas (sauf pour les handicapés) qui est son premier combat. La corruption, le prince Luiz-Philippe entend l’éradiquer tout comme Vinicius Poit qui souhaite imposer un salaire fixe aux députés, dans la ligne droite du discours de prestation de serment de Jair Bolsonaro, qui a « appelé les membres du Congrès à l'aider à libérer définitivement le Brésil du joug de la corruption, de la criminalité, de l'irresponsabilité économique et du carcan idéologique » nous indique Francetvinfo. Au journal espagnol El Pais, il n’hésite pas à affirmer qu’il dénoncera ses collègues si ceux-ci retombent dans leurs travers. Il doit participer aux travaux de réforme de la constitution qui selon lui provoque trop d’instabilité politique. Un point que rejoignent les militaires élus sous l’étiquette du PSL et qui siègent à ses côtés. Et il entend remettre le sujet du retour de la monarchie au centre du débat, en dépit des critiques auxquelles il dit faire face. « J'aimerais beaucoup que nous ayons de nouveau un système monarchique » répète-t-il au journaliste venu l’interroger, rejetant toutefois toute notion de conservatisme, refusant par exemple que la loi en faveur des droits de homosexuels soit changée ou celle concernant l’avortement soit modifiée. De quoi contenter le mouvement des monarchistes LGBT qui n’avait pas tari de reproches à son sujet lorsqu’il avait rallié Jair Bolsonaro.
Pouvant compter sur les actions de la Liga Azul Monarquista Brasileira, suivie par 18000 personnes sur le réseau social facebook et le soutien de la branche Vassouras, le monarchisme brésilien a le vent en poupe avec l’arrivée au pouvoir de son poulain. Reste à savoir si celui-ci réalisera ce qu’ils attendent de lui. La ré-introduction du débat monarchique au sein des institutions et le référendum prévu à cet effet en 2022, date à laquelle le pays célébrera ses deux cents d’indépendance (un sondage mis en ligne le 24 décembre avec la participation de 19 000 e-votants donnant à 58% le oui à la monarchie contre 42% en faveur de la république). Tout un symbole.
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Publié le 02/01/2019