«Vous ne trouverez plus un brésilien qui affirme aujourd’hui que la république a toujours bien fonctionné ! ». Sur l’avenue Paulista, la plus large de la ville de Sao Paulo, le prince Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a de quoi pavoiser. « Monarquia, monarquia ! » (Monarchie, monarchie), peut-on entendre unanimement dans le cortège qui arbore les drapeaux de l’ancien empire défunt. La manifestation de soutien à la politique de réformes du président Jair Bolsonaro est un succès qui a drainé des milliers de monarchistes dans les rues des principales villes du Brésil et qui entendent désormais mettre en place une véritable « stratégie de guerre et de reconquête du pays», selon les mots de la député-pasionaria Carla Zambelli.
L’héritier à la couronne impériale exulte. Il signe des autographes, prend la pose pour des selfies ou répond aux questions de la presse nationale qui couvre l’événement. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est l’homme de la journée, un prince qui bat le pavé, monte sur un char et harangue les foules. Le succès est au rendez-vous ! La quasi majorité des médias brésiliens ont plus évoqué les monarchistes, leurs demandes que la vraie raison de leur présence à cette manifestation.
Gabriel Carvalho, étudiant, exprime sa fierté au magazine Veja venu couvrir cette manifestation hétéroclite qui mélange deux camps politiques qui se sont toujours opposés par le passé. « Je veux que la monarchie revienne maintenant » déclare-t-il au journaliste qui l’interroge. « Si l’armée a réussi, les royalistes le peuvent aussi » renchérit-il avec manichéisme, vague allusion au passé militaire de Bolsonaro et du soutien qu’il a reçu de la part des uniformes kakis qui ont dirigé le pays dictatorialement entre 1964 et 1985. Aux dernières rencontres monarchiques de Rio de Janeiro, en avril dernier, parmi les invités se trouvait d’ailleurs le général Paulo Chaga, ancien candidat au poste de gouverneur et aux velléités putschistes, suivis par 34000 personnes sur les réseaux sociaux dont sont très friands les brésiliens.
« Il est temps de reconnaître l’importance de la maison impériale et celle de Dom Bertrand » explique l’avocat Otavio Ramos qui rappelle que le Vassouras a rencontré très officiellement, il y a quelques semaines, plusieurs membres du gouvernement et du parlement qui lui donnent du prédicat à tout va (le journal BR 18 avait titré en février « Chanceler em reunião com 'Sua Alteza Real' », « le chancelier [ici le ministre des affaires étrangère-ndlr] en réunion avec son altesse impériale).
La confédération monarchiste du Brésil (Confederação Monárquica no Brasil) qui regroupe diverses associations monarchistes, dirigée par Rodrigo Dias, ne cache pas son soutien à la politique conservatrice du populiste Bolsonaro. Non sans quelques divisions palpables depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. Si les monarchistes ont soutenu majoritairement le leader du parti social-Libéral (PSL) auquel s’est joint le prince–député Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, c’est principalement pour faire échec à la droite et l’extrême-gauche empêtrées dans de vastes affaires de corruption. Certains monarchistes commencent à se plaindre de ce constant appui que la mouvance accorde au président Bolsonaro et craignent qu’elle ne devienne qu’une force supplétive électorale de plus à un homme qui a multiplié les déclarations controversées.
Ce n’est pas la première fois que les Orléans-Bragance accordent leur confiance à ce type d’idéologie. Le père éponyme de « Joãozinho », ce prince populaire issu de la branche rivale des Petropolis (et qui ne cache pas son opposition au gouvernement actuel), avait lui-même pris une part très active au sein de l’Action intégraliste brésilienne (AIB), d’inspiration maurassienne, qui avait vainement tenté de s’emparer du pouvoir en mars 1938 en tentant t de s’emparer du palais Guanabara.
Mais pour Dom Bertrand, peu importe ! Il a la satisfaction de voir enfin ses idées au pouvoir et qu’il a compulsé dans un livre (le député Eduardo Bolsonaro, fils du président, l’a cité publiquement comme une référence le 21 mai sur son compte Twitter), multiplié les conférences où il n’a pas caché son climato-scepticisme, son opposition à l’avortement et au mariage gay (ce qui lui avait valu les foudres du mouvement monarchiste LGBT brésilien en mai 2018) ou encore son ultra-catholicisme sectaire.
Créer une commission d’enquête parlementaire afin de juger les politiques corrompus ! Tel est le crédo des monarchistes qui espèrent que la question sur le retour de la monarchie sera bien posée en 2022, lors du bicentenaire de l’indépendance du Brésil. Bolsonaro évite de l’évoquer, les monarchistes continuent de se diviser sur l’attitude à adopter désormais vis-à-vis de celui qu’ils ont contribué à mettre au pouvoir. Toute proportion gardée.
«La monarchie parlementaire a toujours été le système le plus stable de l’histoire du Brésil, de son indépendance au coup d’état militaire et républicain de 1889 » rappelle Douglas Diogenes, 26 ans. Cet assistant–commercial réclame la création d’un vaste mouvement qui rassembleraient, « monarchistes, conservateurs et tout ce que le pays compte de patriotes » afin d’amener plus de monde à rallier l’idée d’un retour à la monarchie. « Il est nécessaire de sauver le Brésil avec la monarchie » affirme, quant à lui, Bruno Santana 20 ans qui admire le président brésilien. « La république est une connerie. Regarde–nous depuis ton enfer, Da Fonseca » crie soudainement un groupe de monarchistes, en référence au maréchal qui a trahit Dom Pedro II et à pousser l’empereur à l’exil.
20% des brésiliens seraient actuellement en faveur d’un retour à l’empire. Un chiffre tronqué prétend Hayley Rocco qui parle de ces millions de concitoyens qui «se sont tus durant des décennies et qui sont désormais dans la rue ». 90000 abonnés suivent quotidiennement la page officielle de la maison impériale dont il est un des secrétaires.
« Il suffit de voir la sympathie envers l’idée monarchique, ici dans l’avenue Paulista, pour comprendre que les brésiliens réclament le rétablissement du régime impérial », dit en souriant le prince Dom Bertrand, enveloppé d’un gigantesque drapeau impérial déployé par ses partisans. Bolsonaro ? « Le fruit d’un travail divin venu rétablir l’ordre au Brésil » n’hésite-t-il pas à dire au « Jornal da Manha ».
«La monarchie est l’ADN du Brésil » déclare au micro, Vinicius Braceloti, 26 ans. Et aux côtés des princes, les député(e)s monarchistes élus au parlement qui improvisent des « lives » sur leur compte twitter comme Carla Zambelli, la nouvelle pasionaria monarchiste qui souhaite que le bilan de l’empire soit réhabilité et enseigné dans les écoles de la république fédérale du Brésil.
« Il est temps de préparer le parlement, préparer la population » à l’idée d’un retour de la monarchie et « infiltrer tous les partis » en ce sens, a déclaré sans ambiguïtés la députée au cours des rencontres monarchiques. « C’est une véritable stratégie de guerre que nous devons mettre en place» a surenchérit l’élue parlementaire qui voue une haine tenace à tous ces « stupides gauchistes ».
Chez les partisans monarchistes de Bolsonaro, il ne fait pas de doutes que le Brésil prend le chemin de l’histoire en souhaitant restaurer la monarchie légitime. Dimanche 26 mai, il n’y avait que des convaincus à cette inéluctable issue dans la rue. « Monarquia, monarquia !, Viva o Imperador ! » ont scandé toute la journée, les monarchistes. « Lorsque Bolsonaro a adopté comme devise « le Brésil avant tout, Dieu au-dessus de tout », il a mis les graines des futures racines d’un retour de la monarchie ! » affirment d’une seule voix les aficionados des Orléans-Bragance.
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Publié le 29/05/2019