Depuis plusieurs semaines, Honolulu se passionne pour l’affaire du siècle. A chaque parution des protagonistes au tribunal, son lot de révélations. Et c’est peu dire. Tous les ingrédients sont réunis pour un futur téléfilm à succès. Maison de luxe, fortune colossale, sexe, bataille d’avocats…tout ceci pourrait passer comme un banal fait judiciaire si la femme en chaise roulante, qui sourit aux nombreux journalistes venus de tous les Etats-Unis pour couvrir l’événement, n’était autre qu’Abigail Kawananakoa, princesse héritière du trône d’Hawaï.
Située au cœur du pacifique, l’île d’Hawaï offre aux touristes ses nombreuses plages de sable blanc, ses spots de surfs, ses hôtels de luxe ou encore des fonds marins exceptionnels. 19 archipels qui ont constitué durant presque un siècle, un royaume structuré sur lequel vont se succéder pas moins de 6 rois et reines. Devant le palais renaissance de l’Ali?i?lani Hale, actuel lieu de la cour suprême, trône la statue du fondateur de la monarchie hawaiienne. Kaméhaméha Ier (1758-1819) va être l’artisan de l’unité de l’île après avoir vassalisées les unes après les autres, toutes les petites principautés établies sur les îlots voisins. En quelques années, il modernise son état tout en pratiquant une politique de protectionnisme à outrance. Il commerce avec les britanniques et les américains mais interdit à tous les étrangers de posséder la moindre parcelle de terre de son royaume. Monarque théocratique et absolu, il limite même toute ingérence des missionnaires chrétiens dans les affaires de sa monarchie. Ses successeurs auront moins d’envergure que lui.
Peu à peu, les lois restrictives d’acquisition des terres s’assouplissent, la France et l’Angleterre se livrent autant une guerre d’influence que militaire (la marine française s’offrira le luxe de piller Honolulu en 1849), une constitution est introduite, une nouvelle monnaie (le dollar hawaiien) est adopté. Le règne de David Kal?kaua (de 1874 à 1891) sonne le glas de cette royauté tropicale qui n’a plus rien à envier aux monarchies européennes. Il est populaire, nationaliste, fait de l’ukulélé et du hula, des objets à part entière de la culture hawaïenne. L’appétit grandissant du voisin américain menace alors Hawaii. Le 17 janvier 1893, c’est un véritable coup d’état que les planteurs américains organisent contre le système monarchique. Ayant succédé à son frère, la reine Lili?uokalani (1838-1917) est contrainte d’abdiquer. La polémique devient nationale. Le gouvernement du président Glover Cleveland condamne le putsch, un rapport confirme son illégalité mais ne rend pas pour autant son trône à la souveraine puis laisse les comploteurs proclamer tranquillement une république, le 4 juillet 1894. A Londres où elle fait ses études, la jeune princesse héritière Victoria Kaw?kiu Ka?iulani, qui a appris en 3 phrases la chute du royaume par télégramme, va devenir le fer de lance de la rébellion monarchiste. Sorte de « Jeanne d’Arc en dentelle et au collier de perles »*, elle devient le temps d’une journée de 1895, l’héroïne de tout peuple. Sa mort à 23 ans (1899) achèvera d’unifier les hawaiiens autour de l’idée monarchique.
Abigail Kawananakoa II a aujourd’hui 91 ans et fait office d’actuelle prétendante au trône de la maison Kaw?nanakoa. Dans le sang de cette souveraine de jure coule aussi du sang irlandais. Venu dans la seconde moitié du XIXème siècle faire fortune dans le sucre, James Campbell a épousé une des filles de l’aristocratie locale, membre d’une branche collatérale de la maison royale qui héritera des droits au trône au début du siècle dernier. Devenus de simples citoyens, sa fille Abigail Wahi?ika?ahu?ula Campbell Kaw?nanakoa (1882-1945) sera une fervente membre du parti républicain et refusera même (par sentiment national) une proposition des japonais pour retrouver son trône durant la seconde guerre mondiale. Et celle qui porte aujourd’hui le même prénom que son arrière-grand-mère n’en est pas moins une star locale. A la tête d’une fortune estimée à plusieurs centaines de millions de dollars, la princesse d’Honolulu doit désormais se battre pour conserver ses biens.
Au sein de la famille royale, une véritable guerre de succession vient de s’engager. La reine en titre est en effet sans enfants et sa fortune reviendra légalement à son prochain héritier. Hors en octobre 2017, Abigail Kawananakoa créée la surprise en épousant… celle qui (jusqu’ici) lui servait de secrétaire particulière, Véronical Gail, de 28 ans sa cadette. Ce coming-out qui aurait dû être un joli conte de fée, tourne rapidement au vinaigre au sein de la famille royale qui découvre l’homosexualité de sa première représentante. Shocking !La nouvelle épouse est immédiatement accusée d’avoir abusé et manipulé la « reine d’Hawaï ». L’avocat d’Abigail Kawananakoa accusant même Véronique Gail de malmener physiquement la princesse, preuves à l’appui sous couverts de photos. En mars dernier, le juge en charge de cette affaire a ordonné devant des partisans de la monarchie effarés, que la souveraine soit soumise à un examen psychiatrique. Et les nombreuses manifestations de protestations devant le tribunal n’y ont rien changé. L’affaire devient nationale et on suit les débats avec passion. La princesse Abigail Kawananakoa devient malgré –elle le centre d’un soap-opéra juridique, fort en rebondissements et digne de la série « Dynasty ».
Réunis au sein du Hawaiian sovereignty movement mais profondément divisésen divers partis, les monarchistes n’ont jamais abandonné l’idée de restaurer leur gouvernement légitime et de reprendre leur indépendance. Chaque année, ils multiplient les actions coup de poings. Occupation régulière de l’ancien palais royal (devenu un musée), drapeau américain remplacé par l’Union Jack bariolé d’Hawaïi, manifestations dans les rues comme encore le 18 janvier dernier**, la plupart des royalistes soutiennent désormais les prétentions du petit-cousin d’Abigail Kawananakoa, le prince Quentin K?hi? Kaw?nanakoa (56 ans).
Ce dernier est d’ailleurs loin d’être un inconnu. Membre du parti républicain, il a été le député d’Hawaii de 1995 à 1999. C’est un politique qui rate de peu l’investiture de son parti en avril 2006 pour les sénatoriales. C’est encore lui qui a conduit en avril et juin 2017, les festivités liées à l’hommage national rendu au roi Kaméhaméha et qu iauront permis aux partisans de la monarchie de découvrir les princes héritiers, deux « teenagers » au look branché et surfeur, futurs héritiers de l’immense fortune familiale à venir. Loin d’être folklorique, le monarchisme hawaiien a une existence réelle qui agace plus d’un de ses détracteurs. Il y a 4 ans, une association avait tentée de faire admettre, en vain, une pétition réclamant que l’on cesse d’appeler Abigail Kawananakoa par son titre de princesse.
Protectrice des arts, mécène reconnue et ancienne présidente d’une association monarchiste, la princesse Abigail Kawananakoa reste un personnage respecté à Honolulu même si elle le vit le plus clair de son temps en Californie. « Son seul sang parle pour elle » explique lors d’une interview Kimo Alama Keaulana, professeur d’hawaiien venu soutenir sa reine et qui soupçonne l’avocat de la princesse de se battre uniquement pour la sauvegarde de ses intérêts. Une « Royal drama queen’s story » à l’américaine**** qui ne cesse d’alimenter les principaux titres de la presse locale et pour laquelle les hawaiiens restent désormais, entre deux épisodes de « Magnum « ou d’ « Hawaii 5-0 »*** dans l’attente des résultats de l’expertise médicale. Dernier soutien en date en faveur de la princesse royale, celui de l’ancien gouverneur de l’île George Ariyoshi. Tout un symbole pour une île qui est devenue seulement en 1959… le 50ème état des Etats-Unis d’Amérique et qui continue encore d’attendre le retour de ses rois au palais de Iolani. Aloha !
Copyright@Frederic de Natal
Publié le 10/04/2018
* : https://www.youtube.com/watch?v=9_l0XK43IZE : Princess Kaiulani (trailer du film)
** : http://hawaiipublicradio.org/…/queen-lili-uokalani-unites-h… : marche des royalistes pour l'anniversaire du coup d'état
*** : https://www.youtube.com/watch?v=hwhvByj8YG8 : musique de la série Hawaii 5-0
**** : http://www.hawaiinewsnow.com/…/battle-over-hawaiian-royalty… : Vidéo sur l'affaire par la TV d'Hawaii