Lorsque les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord décident de réunir leurs destins au sein d’une seule main, c’est le républicanisme inspiré des idées philosophiques de Montesquieu, de Rousseau ou de John Locke qui est le système idéologique dominant dans les colonies. Centre des lumières outre-Atlantique, la ville de Philadelphie va insuffler l’émergence d’une identité américaine aux insurgés qui désormais rejettent l’hégémonisme commercial et régalien de la monarchie hanovrienne de Georges III. Pourtant, à la veille de la révolution américaine tous n’adhèrent pas à ce concept et certains cherchent à couronner la jeune nation en devenir. Deux cent quarante ans après le 4 juillet 1776, il subsiste encore une minorité de loyalistes américains qui souhaitent le rétablissement de la monarchie défunte.
Le 16 décembre 1773, Boston Tea Party : 60 bostoniens décident de jeter 342 caisses de thé par-dessus bord des trois navires amarrés dans le port de la colonie de la Nouvelle-Angleterre afin de protester contre les taxes exorbitantes que le Royaume-Uni impose à ses colonies. La révolution américaine vient de débuter. Un cinquième de la population « américaine » décide néanmoins de rester loyal à la couronne britannique. Appelés les « King’s men » (soldats du roi), ces royalistes étaient d’anciens soldats du roi, des négociants, des clercs anglicans, des fermiers y compris certaines peuplades indiennes comme les Iroquois. Une guerre entre royalistes anglophiles et républicains indépendantistes éclate, dans laquelle la France revancharde de Louis XVI devait être un des éléments-clefs de son issue favorable.
Au début de la guerre, la question du mode de gouvernement divise les royalistes. Si certains loyalistes ne cachent pas leurs préférences pour conserver le drapeau de l’Union Jack, d’autres se demandent s’ils ne feraient pas mieux de s’inspirer de leurs alter égos brésiliens, proclamer leur indépendance vis-à-vis de Londres et leur propre monarchie. Aux intérêts de l’enrichissement commercial se mêlent ceux plus politiques et personnels parmi les partisans du roi mais la bataille de Yorktown sonnera le glas de leurs espérances en octobre 1781. La nouvelle démocratie doit se doter d’un gouvernement et bien que minoritaires au sein du congrès de la Confédération, les loyalistes tentent de se faire entendre. C’est ainsi qu’en 1782, une délégation de deux frères de Pennsylvanie, un avocat de New-York et un négociant du Maryland, s’embarque sur un navire en direction de Florence, en Italie afin de rencontrer le prince Charles III Edouard Stuart. Le prétendant jacobite reçut la délégation avec politesse mais refusa avec sourire cette couronne du « Royaume-Uni des Etats-Unis » qu’on était venue lui proposer. Âgé de 62 ans, le prétendant n’avait ni le cœur ni l’âme à jouer les aventuriers dans un monde qu’il ne connaissait pas autrement que sur une carte géographique.
Le leader du parti fédéraliste, Alexandre Hamilton (1757-1804), est d’ascendance écossaise et française. Celui qui se prononcera plus tard contre la révolution française, envisage sérieusement l’option monarchique et s’oppose violemment et passionnément au Parti républicain de Thomas Jefferson. Hamilton est alors approché, en 1786, par le Président du Congrès Nathaniel Gorham (1738-1796) et le baron Friedrich von Steuben (1730-1794). Ce dernier n’est pas un inconnu. Il a servi au côté du général Georges Washington et réorganisé l’armée indépendantiste. Le nom d’Henri de Hohenzollern, prince de Prusse est avancé. Le choix n’est pas incongru même s’il ne fait pas l’unanimité. La plupart des états allemands avaient d’ailleurs apporté leur contribution militaire dans la guerre et la Prusse avait été l’un des premiers royaumes à reconnaître le jeune Etat américain. Tantôt désigné comme un roi ou un président, les loyalistes vont soudainement abandonner l’option prussienne. La raison du retrait de cette candidature, en dépit des talents militaires incontestables de ce prince (qui n’entendra jamais parler de cette couronne), étaient ses goûts trop prononcés pour la gente masculine qu’il partageait avec von Steuben et… Hamilton. Le puritanisme protestant ne pouvait souffrir, à cette époque, que le premier roi ou président des Etats-Unis fût homosexuel.
Les partisans d’une monarchie jettent alors leurs derniers espoirs et leur dévolu sur George Washington lui-même. Riche planteur, propriétaire de centaines d’esclaves, ce général avait été le héros de la guerre d’indépendance et est considéré comme l’un des pères fondateurs des Etats-Unis. Une délégation se présenta à Mount-Vernon pour lui proposer une couronne. Loin de s’opposer cette proposition, il demanda un temps de réflexion pour ce qui n’était pas la première du genre. En mars 1782, un officier militaire d’origine irlandaise Nicola Lewis, avait proposé à Washington de prendre un titre de roi mais la réponse négative de ce dernier avait été quelque peu directe. Pour cette seconde proposition, la tentation fut grande mais il n’a pas d’enfants et n’adhère pas au concept de monarchie élective qui selon lui n’a aucune viabilité et se trouve en contradiction avec les raisons de la guerre d’indépendance. Pour beaucoup de députés, Georges Washington est pourtant peu fidèle à la république. Lorsque le 4 mars 1789, il est élu président des Etats-Unis à l’unanimité, certains craignent encore qu’il ne transforme la république en monarchie. Ses deux présidences (1789-1797) sont marquées par des rituels dignes d’une royauté. « The Gazette » va s’en émouvoir quand « le Daily Advertiser » ne craint que cela ne débouche sur un changement de régime voire une nouvelle révolution et se fait l’écho d’anciennes propositions du vice-président John Adams de donner un titre royal au président (« Sa Majesté élue », « Sa Splendeur » ou encore « Son Altesse le Président des Etats-Unis d’Amérique et le protecteur de leurs libertés »).
L’idée monarchique est enterrée mais les journaux du XIXe siècle se passionnent pour les familles royales et se délectent des voyages de ces princes et grands-ducs dans le nouveau monde. Il y a aussi cet « empereur de ‘ces’ Etats-Unis » dont la tenue excentrique amuse les américains. Joshua Norton (1819-1880), dont le dessinateur Morris va croquer les aventures dans son 45e album de Lucky Luke intitulé « L’empereur Smith », a perdu la raison, après une faillite retentissante. Il se proclame en septembre 1859 « Empereur et Protecteur du Mexique à San Francisco », abolissant au passage Congrès, parti démocrate et républicain. Mais tous ses édits impériaux n’ont aucun effet au-delà de la ville elle-même qui accepte cette monnaie sans valeur qu’il avait fait battre à son effigie. Le jour de sa mort, le San Francisco Chronicle publia une élogieuse nécrologie avec ce titre (en français) : « Le roi est mort ! »
Et si la république des Etats-Unis semble faire peu de cas du système monarchique, elle a encore des aficionados de nos jours. Dans les années 1970, Randall J. Dicks (1951 – 1999) créé la Constantian Society qui devient une référence du monarchisme américain mais qui meurt avec son fondateur. Il s’était fait remarquer lorsqu’il était étudiant en ayant fait avouer au président Richard Nixon que « la monarchie était une forme supérieure de gouvernement ». Passionné de chants grégoriens, nostalgique de l’aide française lors de la guerre d’indépendance, il avait organisé en 1989 une messe en l’honneur de Louis XVI et de Marie-Antoinette et le « New-York times » avait écrit un long article sur le sujet. En 1998, un groupe d’américains avait annoncé la création du Royalist party of America qui entendait transformer le pays en une vaste monarchie sans pour autant donner le nom d’un prétendant quelconque. Tous au plus, évoquaient-ils le nom de la princesse Madeleine de Suède qui vivait à cette époque aux Etats-Unis. Leur succès fut plus que mitigé. Quelques tracts, un site internet puis de disparaitre devant le peu d’intérêt qu’il suscitait On avait bien refait une seconde tentative (et de désigner pour le trône ni plus ni moins que la Reine Elizabeth II au motif qu’elle partageait un ancêtre commun avec Georges Washington en la personne du français huguenot Nicolas Martiau) mais elle n’eut pas plus de succès que son prédécesseur.
Bien qu’ils soient passionnés par les dynasties politiques (des Kennedy aux Clinton en passant par les Bush) toutes en strass avec leurs lots de mariages et scandales, les américains ont toujours eu un rapport ambigu et versatile avec les monarchies au gré de leurs intérêts. En témoignent les nombreux exemples qui s’étalent du XIXe à nos jours : ainsi prompts à reconnaître l’empire du Brésil, ils contribuent à la chute de la monarchie mexicaine en soutenant le président Benito afin de prendre en étau le sud esclavagiste lors de la guerre de sécession. Leur désir d’annexion de Hawaï ira jusqu’à renverser la monarchie légitime en 1893 en orchestrant un coup d’état tout en tentant de déstabiliser le Royaume-Uni en lui déclarant la guerre en 1898. Encore faut-il citer les fameux « 14 points du président Woodrow Wilson » qui seront à l’origine de la chute d’une majeure partie des monarchies de l’Europe de l’Ouest après la fin de la première guerre mondiale dans laquelle les américains s’étaient engouffrés en 1917. Lors de la seconde guerre mondiale, la montée du communisme devait changer quelque peu leurs points de vue sur cette forme de système. Les souverain(e)s des royaumes des Pays-Bas, de Belgique, du Luxembourg, du Danemark, de Grèce leur devront leurs trônes. Même l’empire japonais bénéficiera de cette bienveillance en dépit des violents combats qui les opposèrent dans le Pacifique Et le lobby financier américain n’échappe pas à cette règle avec son soutien actuel et accru aux pétro-monarchies non sans quelques erreurs de jugement au passage comme en 1979 avec cet abandon surprenant des Etats-Unis au régime du Shah en Iran et les résultats que l’on connaît.
Et même si on les a vu récemment encore apporter leurs soutiens politiques à divers mouvements monarchistes au Moyen-Orient ou en Asie, il n’y a là véritablement aucune philanthropie de leur part. Loin d’être des adeptes du système monarchique, les anglo-saxons ne font qu’appliquer, par force des conflits idéologiques qui bouleversent notre siècle et avec dextérité, la doctrine interventionniste de James Monroe censée préserver leurs intérêts hégémoniques. Car en définitive, ce système demeure étranger à leur culture autrement que sur du papier glacé de « magazine people ».
Copright@FredericdeNatal
Publié le 28/09/2016