Pour les haïtiens, c’est un lieu maudit qu’il vaut mieux éviter le soir. Situées à Milot, dans le département du Nord, les ruines du château de Sans-Souci rappellent à la première République noire du monde, qu’à diverses reprises, l’île s’est aussi dotée de monarques absolus et autoritaires. Faustin Soulouque, Christophe Henry, Jean- Jacques Dessalines ou encore Sylvain Salnave, tous ont été couronnés avant d’être victimes de révolutions sanglantes ou de leur folie. Ils ont eu des descendants qui ont essaimé à leur tour. Que sont-ils devenus et ont-ils tenté de restaurer la monarchie depuis la chute des deux empires d'Haïti ?
Lorsque le général Toussaint Louverture est capturé en 1802 et ramené dans une cage de fer vers la France, c’est son lieutenant, Jean-Jacques Dessalines qui s’impose à la tête de la rébellion. Affranchis, mulâtres ou anciens esclaves, tous se sont ligués pour combattre le régime colonial dont la richesse est principalement basée sur le commerce triangulaire et l‘esclavage tout juste rétabli pour des raisons de pragmatisme politique. La révolution a besoin de héros, de leaders et Dessalines va devenir le porte-parole de la liberté face aux troupes du général Leclerc envoyée par le Consul Bonaparte afin de mater la révolte. Deux ans plus tard, c’est l’indépendance et pour la première fois de l’histoire, une nation majoritairement composée d’esclaves, issus des quatre coins de l’Afrique, prend son propre destin en main. Une émancipation qui a déjà l'odeur du sang et de la revanche. Après s’être fait nommé gouverneur-général, Jean-Jacques Dessalines ordonne le massacre de 5000 blancs. Fasciné par le destin de Napoléon, il se fait proclamer empereur en septembre 1804 et établit une société basée sur l’inégalité des races. L’homme noir domine, le mulâtre exécute et le blanc est privé de ses droits de posséder toute chose sur l’île. L’esclavage a été aboli mais le servage est ré-instauré (et persistera tout au long du XIXème siècle), l’empire hiérarchisé et une nouvelle noblesse fait son apparition, calquée sur le modèle napoléonien.
La couronne attise les convoitises. Pourtant ami de longue date du souverain , le général Henry Christophe va mener un soulèvement, l’île sombre dans la guerre civile en 1806 et se divise entre deux républiques, situées au Sud et au Nord d’Haïti. Dessalines est assassiné le 16 octobre de la même année et Henry Christophe s’empare du pouvoir. Lui aussi va céder à la tentation de la pourpre cinq ans plus tard et se fait couronner empereur. Un pouvoir qui va le mener à la folie mais qui va marquer les esprits. Il est impopulaire, il construit un château digne de ceux qui existent en Europe. Il est détesté, il nomme une noblesse aux noms exotiques. Baron de la Limonade, comte de la Marmelade ou duc de Dondon, son rêve s’achèvera avec une balle qu’il se tire dans la tête alors que son empire est la proie d’une violente insurrection en 1820. La monarchie ne s’effondre pas pour autant. Son fils Victor-Henri II entend diriger la contre-révolution depuis Sans-Souci. Les insurgés s’emparent du château et le pillent. Les armes à la main, le souverain est tué par les rebelles le 18 octobre 1820, vingt jours après son père.
Ces deux monarques ont essaimé. Que devient la famille de Jacques Ier Dessalines ? Le complot a contraint ses enfants et sa femme à quitter la capitale. C’est son fils Jacques II (1793-1832) qui a recueilli la succession. Les monarchistes tentent de le remettre sur le trône mais l’instigateur de la rébellion, le général Capois, est victime d’un traquenard qui lui coûte la vie le 19 octobre 1806. Le prince et sa mère s’exilent du côté de Saint–Domingue et Jacques II donnera naissance à une fille dont on ne connaît pas la vie ni l’année de sa mort. Son frère, César-Jacques Dessalines, fait son retour à Haïti en 1820 et se met au service du président Jean-Pierre Boyer. C’est lui qui va diriger la délégation qui part en France réclamer à Charles X la reconnaissance de la République et une indemnisation. Lorsque son protecteur chute (au titre de roi, il a préféré le titre de chef suprême de Haïti) en 1843, il rallie immédiatement le nouveau maitre d’Haïti, Faustin Soulouque qui cherche à se légitimer en se rapprochant de la famille Dessalines. L’histoire est un éternel recommencement. Arrêté pour complot en 1856, César-Jacques Dessalines est exécuté après un rapide procès avec son fils Jean-Jacques. Elu président, Soulouque est devenu Faustin Ier en 1849 au cours d'un sacre qui va ruiner tout le budget du pays, copié sur celui de Napoléon Ier. La répression s’abat sur les mulâtres, le régime se veut absolutiste et n’excédera pas une décennie d’existence. Victime d’une révolution, l’empereur–ubu s’entoure d’une cour de fidèles et part en exil …à Paris. Son neveu, Mainville-Joseph Ier Soulouque (1830-1875) reprend la succession au trône à la mort de Faustin Ier en 1867. Autorisé à revenir dans l’île, il prend la tête du parti impérialiste et se présentera aux élections sénatoriales de 1872, ultime baroud d’honneur d'un prince qui porte un lourd héritage sur ses épaules. Les espoirs de restauration s’éloignent. Son fils Joseph II (1856-1922) ira se battre en Europe durant la première guerre mondiale avant de repartir à Saint–Domingue.
Les présidents de la République qui se succèdent vont tour à tour tenter de se faire sacrer. Entre 1867 et 1870, Sylvain Salnave devient président à vie d’Haïti et se fait proclamer empereur. Il ne règnera pas. Echaudé par cette énième « faustinerie », il est arrêté et exécuté pour trahison lors d’une révolution. Il est d'ailleurs très difficile de savoir à quel point Salnave revêtit la pourpre tant les avis divergent sur cet épisode de l’histoire tumultueuse d’Haïti. Ne cessant de se présenter comme le petit-fils de Jacques Ier (ce qu’il était bien) et érigeant palais et monuments à la gloire du roi Henry, le président Pierre-Nord Alexis dirige Haïti depuis 1902. Il caresse l’espoir de se faire couronner empereur à son tour et s’entoure de dessalinistes convaincus, royalistes de la dernière heure. La famine qui éclate sur l'île va mettre fin à ses fantasmes. La crise économique provoque une énième révolution qui le chasse en 1910 et met fin à ce régime qui a toutes les allures d'un royaume sans nom.
L'histoire monarchique du pays ne s'arrête pas pour autant et va connâitre de multiples rebondissements au pays du vaudou. Jean-Jacques Dessalines Michel Cincinnatus Leconte, fils de Jacques Ier, est élu Président de la République de 1911 à sa mort en 1912, tué lors d’une étrange explosion survenue au palais présidentiel (une version affirme qu’il se serait proclamé roi sous le nom de Jacques II). Un autre de ses descendants, le prince Joseph Henry Mousseron Dufort, député et leader d’un mouvement monarchiste sera assassiné en mai 1918 dans des circonstances toujours non élucidées (ses descendants vivent actueement en France). L’arrière-arrière-petit-fils de Pierre-Nord Alexis, Jacques Edouard, sera nommé Premier ministre à deux reprises : de 1999 à 2001 et de 2006 à 2008. Aujourd'hui, l'idée monarchiste ne fait guère recette . Il n'existe aucun mouvement royaliste qui se réclame officiellement d’un descendant de Dessalines ou de Soulouque (bien que chaque année, des manifestations d'hommage soient organisées en mémoire de ces deux empereurs), tout au plus un nébuleux Institut de la Maison impériale qui existe sur Internet. Sur les réseaux sociaux, un certain Jean Baptiste Vil Lubin Soulouque affirme être un descendant de l’empereur Faustin (via la Princesse Geneviève Olive, sa fille), se dit prétendant au trône et réclame le retour de la monarchie constitutionnelle. Il n'a aucun écho parmi la classe politique haïtienne qui paye toujours chèrement le prix de sa liberté.
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