C’est un siège épique. Face à 60000 guerriers venus protéger Tenochtitlán, le conquistador Fernando (Hernán) Cortés de Monroy Pizarro Altamirano ne peut aligner que 1000 espagnols, 60 canons aidé par un renfort de 50 000 Tlaxcaltèques, les ennemis du Tlatoani (empereur) Cuauhtémoc. Après 75 jours de résistance, affamée, la capitale aztèque accepte de se rendre, signant ainsi la fin d’un empire qui était à son apogée en 1521. Cinq siècles plus tard, les descendants de l’empereur Moctezuma II, environ 500 personnes réunis au sein de la Maison impériale des ducs de Moctezuma de Tultengo, réclament le retour de la pension annuelle qui leur a été versée par le gouvernement mexicain jusqu’à son arrêt définitif en 1934. Une réclamation qui divise les membres de la famille impériale autant qu’elle a peu de chances d’aboutir.
« Il n'y avait pas d'argument juridique qui justifiait réellement cette décision Peut-être qu'il n'y avait plus d'argent, c'était le Mexique post-révolutionnaire après tout ». Interrogé par l’édition espagnole de France 24, l‘avocat Jesús Juárez tente de comprendre pourquoi le gouvernement mexicain de 1934 a subitement décidé de supprimer les 60 000 dollars de pension versés chaque année aux descendants de Moctezuma II. On estime à environ 500 personnes, toutes issues de cet empereur superstitieux devenu le dirigeant d’un empire contre sa volonté et dont le destin funeste précipita la chute d’un royaume mythique. Ils vivent principalement en Espagne, un pays où ils portent divers titres de noblesse comme celui de ducs de Moctezuma de Tultengo, reconnus par les Bourbons. Au Mexique, on a plutôt tenté d’effacer leur souvenir de la mémoire collective. « Comment puis-je prouver que je descends du grand Tlatoani si ce n’est par le biais de cette pension ? » se plaint l'historienne Blanca Barragán Moctezuma, épouse de Jesús Juárez, qui pointe du doigt les différentes humiliations vécues par sa famille sous les précédents gouvernements mexicains. Lesquels craignaient que les indiens finissent par se soulever et réclamer le retour des empereurs aztèques.
Blanca Barragán Moctezuma descend de la princesse Tecuichpoch Ixcaxochitzin, plus connue des historiens sous le nom de Doña Isabel Moctezuma. Après la mort de son père Moctezuma II, elle fut mariée précipitamment l’âge de 11 ans à son oncle Cuitláhuac de trente ans son cadet. Il ne régnera que 6 jours, victime de de la variole importée depuis l’Espagne par les conquistadors. Tout aussi rapidement, on s’empresse de remarier la jeune princesse à son cousin, le nouvel empereur Cuauhtémoc, avec qui elle tente de s’enfuir lors de la prise de Tenochtitlán le 13 août 1521 par Hernán Cortés. Capturés, elle doit la vie sauve à son mari qui demande aux conquistadors de respecter « les dames de sa cour ». Convertie au catholicisme, Cortès entend faire de Dona Isabel Moctezuma la figure de proue d’une société créole en devenir. Mariée à l’hidalgo Alonso de Grado, elle devient une importante propriétaire d’esclaves alors que très ironiquement elle déteste cette pratique déjà en usage sous l’empire. Enceinte des oeuvres de Cortès alors qu’elle vit un énième veuvage, le conquistador lui trouve un autre époux en la personne de Juan Gutiérrez de Altamirano, un de ses protégés qui pourra accueillir le fruit de leurs amours. Un enfant qui portera le nom de Doña Leonor Cortés Moctezuma. De ce mariage dont elle fait peu de cas, elle aura un fils. Puis viendront d’autres maris dont les épousailles furent tout aussi prolifiques avant de décéder en 1550, libérant tous ses esclaves sur son lit de mort.
« Ces rentes avaient valeur de compensation pour l'usufruit des terres des descendants d'Isabel », explique Alejandro González Acosta. « Elle était sa seule fille légitime ce qui explique ces privilèges » poursuit ce chercheur à l'Université nationale autonome (UNAM). Un héritage qui ne fait pas l’unanimité au sein de la maison impériale aztèque. Pablo Moctezuma, historien et frère de l’actuel ambassadeur du Mexique à Washington ne mâche pas ses mots sur la personnalité de son ancêtre. « Je n'aimais pas Moctezuma, je l'ai toujours considéré comme un lâche superstitieux » explique t-il et qui ajoute qu’il ne serait pas mort comme l’histoire officielle le prétend, lapidé par ses sujets en 1520. « C'est une invention » affirme Pablo Moctzuma, ancien maire de la ville d’Azcapotzalco. « Les conquistadors disent que les Mexicas l'ont tué, mais les chroniqueurs religieux et indigènes prétendent que ce sont les Espagnols » poursuit-il. Il a même consacré une étude sur le sujet dans son livre « Moctezuma y el Anáhuac, una vision Mexicana ». Du côté du prétendant au trône aztèque résidant à Grenade, le duc Juan José Marcilla de Teruel-Moctezuma, il ne sert à rien de ressasser le passé et demander des excuses au royaume d’Espagne. Il a vivement critiqué l’initiative du président Andrés López Obrador qui a récemment exigé de Madrid qu’elle fasse amende honorable et qu’elle demande pardon pour ses crimes. « Il ne sert à rien d'exiger que le roi s'excuse pour quelque chose qui a eu lieu il y a cinq siècles. Et c’est quelqu'un qui a du sang aztèque qui le lui dit » a déclaré à la presse Juan José Marcilla de Teruel-Moctezuma.
« Il y a les terres et les héritiers ». Pour Alejandro González Acosta, la branche des comtes de de Miravalle (dont la demeure a servi de lieu de tournage à la série Falcon Crest) qui demande une nouvelle pension n’est pas réellement légitime en soi. Et même si les médias espagnols ont présenté leurs descendants, parmi lesquels Maricarmen Enríquez de Luna, décédée en 2014, comme ceux qui devraient régner sur l’empire si celui-ci avait survécu, Alejandro González Acosta affirme de son côté que « tout ceci n’est que pure invention ridicule de la presse » et que « cette demande de compensation financière a peu de de chances d’aboutir ». Lui-même est un héritier de Moctezuma II. Et parmi les descendants de Doña Isabel Moctezuma, on compte également de grands noms tels que les ducs d’Abrantès, les ducs d’Albe, les ducs de Rohan-Chabot (dont l’épouse de Eudes d’Orléans, duc d’Angoulême), l’épouse du prince Kiril de Bulgarie ou encore celle du prince Alexandre de Serbie. En 2019, les descendants respectifs de Moctezuma II et d’Hernán Cortés se sont officiellement réconciliés.
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