« Les problèmes de l’Afghanistan ont commencé avec la chute de la monarchie en 1973. Depuis, nous avons dû vivre avec 43 ans de guerre permanente. Et si l'Ancien Régime est tombé, au moins le prince Daoud a pris personnellement les armes pour défendre l’Afghanistan envahi par les communistes venus le massacrer, lui et sa famille. Il a été tué dans la fusillade mais il est resté debout jusqu'à la fin ». C’est un sentiment de frustration, de gâchis et d’échec qui parcourt les réseaux sociaux des monarchistes afghans depuis la récente reprise de Kaboul par les Talibans. Exclus des négociations, l’ancien vice-président de la Meshrano Jirga (Chambre du Sénat) et leader monarchiste du Nahzat-e Hambastagi-ye Melli-ye Afghanistan (Mouvement de la solidarité nationale d'Afghanistan), Sayed Ishaq Gailani a accusé publiquement le gouvernement de lâcheté et de trahison. Depuis l’intervention des américains en 2001 à la suite des attentats du World Trade Center, les monarchistes n’ont cessé de plaider en vain pour que l’institution royale soit restaurée. Une idée qui a fait consensus parmi les différentes tribus mais rejetée à diverses reprises par les Etats-Unis.
« [Ghani] Achraf nous a volontairement trahi et a plongé notre pays dans un avenir sombre. Maintenant, nous attendons qu'ils [les Talibans-ndlr] mettent leur gouvernement en place afin d'éviter que la situation ne dégénère encore plus pour la population ». Ancien vice-président de la Meshrano Jirga (Chambre du Sénat) et leader monarchiste du Nahzat-e Hambastagi-ye Melli-ye Afghanistan (Mouvement de la solidarité nationale d'Afghanistan), Sayed Ishaq Gailani ne décolère pas. Le retrait des troupes américaines ordonné sous la présidence du républicain Donald Trump puis confirmé par son successeur Joe Biden a laissé le champ libre aux « étudiants en théologie » pour reprendre le contrôle du pays. Issus d’une famille de pachtounes fidèles à la monarchie du roi Zaher Shah, les Gailani ont été partie prenante des négociations débutées peu de temps après les événements du 11 septembre 2001. Différents attentats (dont le plus symbolique reste la destruction des deux tours du World Trade Center qui a fait des milliers de morts et disparus) qui ont provoqué l’intervention des américains sur le sol afghan, pourtant réputé comme étant « le cimetière des empires ».
C’est à Bonn, en Allemagne, que s’est joué le sort de l’Afghanistan. Parmi toutes les délégations représentées, le groupe de Rome (du nom du lieu d’exil du roi Zaher Shah) venu plaider la cause de la restauration monarchique comme solution de transition. Proclamé roi en 1933 alors qu’il n’a que 19 ans, Mohammed Zaher Shah a effectué toutes ses études en France. Il entend être un souverain qui souhaite faire entrer son pays dans la modernité. Face à lui, des rivalités de pouvoir qui l’empêchent de réaliser ses projets. Excepté celui de faire adhérer son pays à la Société des Nations et de signer de juteux contrats avec les pays de l’Axe Rome-Berlin. Ses premiers pas en politique étrangère ne sont pas couronnés de succès. Il envoie des troupes soutenir la république sécessionniste du Turkestan, à la durée de vie éphémère, qui seront toutes massacrées par les chinois. Refusant d’entrer dans la Seconde guerre mondiale, l’Afghanistan souffre peu des conséquences du conflit et profite de cette accalmie, entre deux révoltes tribales, pour créer des universités, accorder une constitution ou renforcer le rôle des femmes au sein d’une société patriarcale marquée par la tradition musulmane. Carrefour de la soie, c’est le seul pays qui reçoit des aides à la fois des Etats-Unis et de l’Union soviétique. D’ailleurs, lors d’un entretien en 1969, il déclare : « je ne suis pas un capitaliste. Mais je ne veux pas non plus de socialisme. Je ne veux pas de socialisme qui entraînerait le genre de situation [qui existe] en Tchécoslovaquie. Je ne veux pas que nous devenions les serviteurs de la Russie ou de la Chine ou les serviteurs de tout autre pays que ce soit ».
Une indépendance qui va lui coûter cher. Ancien premier ministre déchu (1953-1963) et cousin de Zaher Shah, profitant d’un séjour en Italie du monarque, le prince Mohammed Daoud en profite pour le destituer et proclamer la république dont il devient le dirigeant. « Les problèmes de l’Afghanistan ont commencé avec la chute de la monarchie en 1973. Depuis, nous avons dû vivre avec 43 ans de guerre permanent. Et si l'Ancien Régime est tombé, au moins le prince Daoud a pris personnellement les armes pour défendre l’Afghanistan envahi par les communistes venus le massacrer, lui et sa famille. Il a été tué dans la fusillade mais il est resté debout jusqu'à la fin » explique le Docteur Bahar Jalali, historienne réputée et fondatrice du premier programme d'études des genres en Afghanistan. Le coup d’état de 1978 organisé par Moscou en faveur de ses alliés plonge le pays dans une longue guerre où l’URSS va se casser les dents, l ‘Afghanistan devenu le pion d’un vaste jeu d’échiquier qui permet à Washington d’armer tous les groupes rebelles. Dont celui du Front national islamique d’Afghanistan fondé par le monarchiste Pir Ahmad Sayed Gailani et même celui émergent des talibans.
C’est son fils, Pir Sayed Ishaq Gailan, qui va mener les 11 délégués (sur 28) du Groupe de Rome aux négociations. Il réclame que l’ancien souverain retrouve son trône et prérogatives « ou du moins la responsabilité de diriger le futur Parlement intérimaire » comme l’explique dans un article consacré à ce sujet le quotidien « Les Echos ». « Zaher Shah était une personnalité politique qui peut jouer un rôle important en assurant l'unité nationale » déclare Younis Qanooni, le chef de la délégation de l'alliance du Nord, principal mouvement ayant combattu les Talibans au pouvoir entre 1996 et 2001. L’idée fait consensus et les différentes délégations s’accordent pour que le souverain dirige la Loya Jirga (Grande assemblée) qui devra définir les futures institutions du pays. Ancien ministre de la Justice et royaliste, Abdul Satar Sirat est même désigné chef d’état par intérim. Un succès de courte durée.
Ce choix ne satisfait pas les Etats-Unis qui entendent contrôler tout le processus. Washington va faire pression sur le roi pour qu’il renonce à toutes prétentions sur le trône après s’être aperçu qu’une majorité de tribus présentes à la Loya Jirga s’apprête à voter la restauration de la monarchie. « J'accepterai une responsabilité de chef de l'État si c'est ce que souhaite la Loya Jirga, mais je n'ai pas l'intention de restaurer la monarchie. Je me fiche du titre de roi. Les gens m'appellent Baba (Père de la nation) et je préfère ce titre » déclare soudainement le monarque. Une décision qui permet aux américains d’avancer Hamid Karzaï comme dirigeant de l’Afghanistan, adoubé par le roi. Les royalistes sont inclus dans le gouvernement de transition mais vont progressivement s’éloigner de celui-ci. Un président qui s'avère incapable de mettre fin à l’anarchie qui règne en dépit d’une forte présence militaire de l’OTAN. Soutenus par le prince Mustapha Zaher, petit-fils du roi décédé en 2007 et réunis sous la bannière du Front national uni, les monarchistes reportent leur soutien à Abdullah Abdullah, candidat de l’opposition. Nommé Ministre des Affaires Tribales en 2010, Pir Sayed Ishaq Gailani tente de se présenter en vain à la prochaine élection présidentielle de 2014 qui voit la victoire d’Ashraf Ghani, banquier pro-américain qui s’est ré-afghanisé pour l’occasion. Malgré une forte croissance économique, la crise politique et la corruption s’accentuent.
Lors d'une interview (2010), le général David Petraeus, ancien commandant des forces américaines dans le pays, reconnaît que la Loya Jirga avait été favorable au retour du roi. Les royalistes vont abattre une autre carte. Ils vont prôner alors un rapprochement avec les Talibans et participer aux négociations de paix organisées au Pakistan. Pourtant, Ghani refuse toute concession. Si Fatima Gailani, épouse du leader royaliste, est nommée Présidente de la Croix rouge et membre de la délégation de paix, Pir Sayed Ishaq Gailani se désespère de la posture du président afghan. « Dans une certaine mesure, nous avons perdu notre autorité, nous faisons ce que les étrangers nous disent de faire. Je pense que si le scénario en cours continue, cela ne nous mènera jamais à la paix » dénonce l’ancien député du mouvement de la Solidarité nationale d'Afghanistan. Pis, le gouvernement s’agace des positions royalistes qui accusent des nations étrangères de tenter de manipuler ces accords de paix en fonction de leurs intérêts (communiqué d’avril 2018) et récuse finalement toute participation des monarchistes aux négociations. « Laisser les forces afghanes mener seules cette guerre sera une énorme erreur et entraînera davantage d'effusions de sang dans le pays » prévient même prophétiquement le leader royaliste.
« Cher Afghanistan, de la part du monde, je te présente mes excuses ». Epouse du prince Mohammed du Saïd, la princesse Noal Zaher s’est inquiétée du retour au pouvoir des Talibans et notamment par le sort des afghanes, qui vont être obligées de reporter la burqa, ce voile intégral traditionnel. Jointe personnellement, la petite-fille du roi Zaher n’a pas souhaité commenté l’actualité du moment mais s’est dite néanmoins préoccupée pour l’avenir de son pays. « La situation a dégénéré si rapidement que mon cœur saigne de voir ces innombrables familles qui, encore une fois, vont se retrouver démunies et déplacées » a indiqué la princesse royale qui poste de nombreux messages sur son compte instagram, censés refléter sa pensée. Peu de temps avant la chute du gouvernement, les royalistes avaient émis un communiqué. « Les récentes évolutions militaires et sécuritaires confirment le fait que plusieurs fonctionnaires du gouvernement ont trahi le peuple et le pays. La capitulation de la plupart des districts sans résistance aux Talibans est la preuve de cette réalité » peut-on lire entre plusieurs appels à la résistance contre ceux qui « ont décrété posséder le monopole de l’islam ». Des royalistes qui se préparent désormais à repartir en guerre contre les islamistes.
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