La prise de pouvoir par les Talibans a-t-il mis fin à tout espoir de restauration de la monarchie en Afghanistan, une institution qui aurait pu sauver du chaos ce pays de l’Asie centrale ? C’est la question soulevée par plusieurs magazines anglophones qui se demandent également où est passé l’actuel prétendant au trône afghan. Fils du roi Zaher Shah, ancien fonctionnaire d’une officine gouvernementale, le prince Ahmad Shah s’est de nouveau réfugié en Virginie, un état situé aux Etats-Unis, et se mure dans un étrange silence qui laisse perplexe ses partisans.
Considéré comme un modèle international, les Etats-Unis ont toujours fait preuve d’un certain intérêt pour les monarchies d’après-guerre alors qu’historiquement les américains ont combattu l’institution royale afin d’obtenir leur propre indépendance au cours du XVIIIème siècle. Source de stabilité, ils n’ont pas hésité à maintenir Hiro-Hiro sur le trône du Chrysanthème, le roi Paul Ier en Grèce, Norodom Sihanouk au Cambodge ou même restauré dans ses droits le Shah d’Iran renversé par son premier ministre en 1953. Fin de guerre froide oblige, les mentalités ont changé et cette option, toujours courtisée, ne représente plus pour Washington une solution crédible leur permettant de placer leurs pions. Jugés trop indépendants de la Maison Blanche, les rois exilés sont réduits au rang d’opposants et se trouvent en compétition avec des politiciens plus intéressés de répondre aux attentes des Etats-Unis que de se préoccuper de celles des populations qu’ils doivent diriger. Tel a été le sort de l’Afghanistan privée de sa monarchie alors que c’était le type de gouvernement retenu par la majorité des partis en présence et certains groupes talibans prêts à collaborer avec le roi Zaher Shah.
Le prince Ahmad Shah est né le 23 septembre 1934. Second fils du roi Zaher Shah, il est l’héritier en titre de la monarchie afghane depuis le décès de son frère aîné survenu en plein conflit mondial. Il a vécu tous les soubresauts du règne de son père, renversé par son cousin lors du coup d’état du 17 juillet 1973. Une monarchie minée par les complots familiaux, la corruption et une opposition entre traditionalistes et modernistes. Fonctionnaire au sein du ministère des Affaires étrangères, c’est un amoureux de poèmes orientaux qui prend à cœur les prérogatives qui lui ont été confiées. Il sera nommé régent à diverses reprises lors des déplacements de son père à l’étranger. Jeté en prison avec 14 autres membres de sa famille lors du putsch, l’ancien étudiant d’Oxford sera finalement libéré quelques jours après.
Exilé, il disparaît des écrans radars pour trois décennies laissant son père assumer son rôle dans les médias. Lorsque les Etats-Unis envahissent l’Afghanistan, peu de temps après les attentats du World Trade Center en septembre 2001, l’administration américaine le contacte dans sa résidence virginienne et lui annonce que la mouvance monarchiste participera aux négociations permettant de former un gouvernement répondant aux souhaits des afghans, libérés du joug islamique. Participant à la Conférence de Bonn, il retrouve les partisans de son père qui vont prendre bientôt le leadership des négociations et imposer tranquillement la figure de son père, Zaher Shah, âgé à l’époque de 86 ans. Le monarque traîne derrière lui une solide réputation de démocrate intègre. Pour beaucoup de participants, le roi s’avère « capable de gagner la loyauté non seulement de son peuple pachtoune natal, mais aussi des minorités hazara, tadjike et ouzbek et la confiance de nombreuses puissances régionales » se rappelle le journaliste engagé Gawan Towler. « Les choses semblaient prometteuses, mais les services secrets pakistanais n'étaient pas à l'aise avec la perspective d'un pouvoir modéré » ajoute encore ce partisan du Brexit. Pas plus les américains qui ne comprennent pas cet engouement autour du monarque. Pourtant Zaher Shah réussit à conclure un accord informel avec les moudjahidins anti-talibans de l'Alliance du Nord, mouvement historique du commandant Massoud.
Le retour de la monarchie étant acquise, Ahmad Shah redevient de facto un prince héritier en attente, le temps que la Loya Jirga approuve le choix des négociateurs. Tant et si bien que Zaher Shah n'hésite pas à renvoyer son conseiller et ancien ministre de la Justice – Abdul Sattar Sirat, à Kaboul pour occuper le poste Premier ministre par intérim. Mais en raison de son appartenance ethnique tadjike et de l’accord d’une partie des talibans, les américains lui demandent de se retirer immédiatement en faveur d’Hamed Karzai, un pachtoune jugé plus malléable. Le retour de Zaher Shah et de sa famille se fait dans la liesse populaire au sein d’un pays épuisé par tant d’années de guerre. Alors que la Loya Jirga se déchire sur le nom du futur dirigeant, Zaher Shah est pressé de renoncer au trône par Washington. Le roi cède et annonce qu’il ne cherche pas à reprendre sa couronne. L’assemblée prend acte et lui donne alors pour compensation, le titre de « Père de la nation », le 15 juin 2002. Jusqu’à son décès 5 ans plus tard, il gardera une influence sur la vie politique de son, pays, recevant tourr à tours tous les notables du pays qui se pressaient autour de lui afin de recevoir sa bénédiction. Y compris le président Hamid Karzaï.
Pour les monarchistes qui restent une force importante, dirigeant même le Sénat ou le Croissant rouge, le prince héritier Ahmad Shah devient le nouveau prétendant au trône. Revenu dans son pays, dans le sillage de son père, il a pris la tête de l’Agence de Protection nationale de l’environnement, une officine gouvernementale qu’il va diriger durant 10 ans. Il a refusé de prendre le titre de son père mais volontiers accepté d’être fait Chevalier de la Grande Croix honoraire par la reine Elizabeth II. Le prince ne fait pas de politique et laisse cela aux bons soins de la famille Gailani qui dirige le mouvement monarchiste et des milices armées qui combattent les talibans. Aucun communiqué, aucune déclaration de soutien ne sera jamais faite de sa part au gouvernement afghan qui vit sous la protection des Etats-Unis Il a 3 enfants, tous éduqués loin des sphères de leur pays et tous possédant la nationalité américaine. Ahmad Shah préfère garder sa neutralité même quand la nouvelle de la chute du gouvernement afghan tombe face à l’avancée des talibans, aussi fulgurante que soudaine. Il est reparti vivre en Virginie, de nouveau en exil. Selon le Daily mail britannique, le prince aurait tout de même vécu les derniers événements avec « horreur » selon leurs propres termes. Pour ses partisans, qui hésitent encore à reprendre les armes, les perspectives de restauration de la monarchie se sont définitivement éloignées.
Interrogé récemment par la presse, le leader du mouvement royaliste s’est dit dégoûté de la situation actuelle qui a fait ressortir les pires ambitions de chacun avec l’arrivée des nouveaux maîtres de l’Afghanistan au pouvoir . « Cela ressemble à un jeu partisan où tout le monde essaie de se promouvoir sans le moindre respect pour les Afghans » a déploré Sayed Eshaq Gailani, représentant du Nahzat-e-Hambastagi Afghanistan party. En Virginie, Ahmad Shah a repris ses activités de prince exilé. Il continue d’écrire des poèmes, entouré des souvenirs d’une époque désormais révolue.
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