Une page de l’histoire de la Birmanie vient de se tourner. Née autrichienne, Sao Nang Thu Sandi, la dernière reine d'Hsipaw, l'ancienne monarchie Shan au Myanmar, abolie il y a soixante et un an, est décédée le 5 février 2023, au Colorado (USA) . Elle avait 90 ans. Elle aura été toute sa vie une infatigable combattante de la liberté.
Sa vie aura été marquée par le sceau de la tragédie. Elle a six ans en 1938 lorsque les nazis envahissent l’Autriche où elle est née sous le nom d’Inge Eberhard. Ses parents, des paysans modestes de Carinthie, refusent de reconnaître l’Anschluss. Sa mère sera arrêtée plusieurs fois au cours de l’occupation allemande. Partie étudiée aux États-Unis en 1951 grâce à un fond scolaire, c’est à l’université pour jeunes filles du Colorado qu’elle rencontre Sao Kya Seng, un étudiant birman, issu de la minorité Shan. Il fait également ses études dans l’ingénierie. Les deux jeunes gens tombent très rapidement amoureux l’un de l’autre et se passent la bague au doigt deux ans plus tard. Inge Eberhard n'hésite pas, elle suivra son époux dans son pays. Le début d’une aventure dont elle est loin de se douter de l’issue fatale.
Nouvelle Mahadevi d'Hipsaw
Devenue Sao Nang Thu Sandi, avec ses deux enfants (Mayari et Kennari), elle débarque avec Sao Kya Seng à Rangoon, la capitale de la Birmanie en 1954. La surprise se lit sur son visage quand elle constate que des centaines de personnes sont venues les accueillir à leur descente d’avion. C’est à ce moment que son mari lui révèle sa vraie identité. Sans le savoir, Sao Nang Thu Sandi avait épousé le souverain (Saopha) de l’État d’Hsipaw, une monarchie millénaire dont l’histoire se mélangera avec celle du Royaume-Uni au cours du XIXe siècle. À l’indépendance de la Birmanie (1948), la nouvelle République n’avait pas osé toucher à cette royauté et avait accepté qu’elle conserve ses regalia au sein des institutions. Pourtant, les tensions entre les deux pouvoirs ne vont pas tarder à éclater. Le souverain a soif de réformes. Trop peut-être et trop rapidement. Sao Nang Thu Sandi apprend le Shan, le Birman, se conforte à sa nouvelle de princesse régnante (Mahadevi), soutient son époux dans toutes ses actions.
La monarchie est renversée par un coup d'état
En 1959, Sao Kya Seng accepte de renoncer à sa couronne afin de préserver l’indépendance des Shan et part siéger à la chambre des représentants. Le coup d’état du général Ne Win en 1962 met fin à tous ses espoirs. Le palais royal est envahi, les domestiques passés par les armes, son royaume occupé. Le couple est assigné à résidence dans son palais avant que les militaires ne décident de faire embastiller le monarque déchu. Sao Nang Thu Sandi ne le reverra plus. Accusée elle-même d’être une espionne au service de la CIA, Sao Nang Thu Sandi n’arrive pas à savoir où il a été emmené ni peut avoir de ses nouvelles. C’est bien plus tard, en 2005, qu’elle apprendra qu’il est mort des sévices subis en prison.
Une infatigable combattante de la liberté
Elle réussit finalement à s’enfuir de sa prison dorée grâce à l’ambassade d’Autriche qui la fait exfiltrer vers son pays de naissance (mai 1963) où elle va y résider deux ans. Un moment de terreur intense qu’elle racontera dans ses mémoires, craignant que le vol Pan-Am 001 dans lequel elle se trouve ne soit abattu par l’aviation birmane qui a reçu l’ordre de l’intercepter, une fois son évasion découverte. La désormais ex- Mahadevi a dû abandonner toute une vie derrière elle. C’est le début d’un exil qui va la ramener au Colorado, là où tout a commencé. Devenue la porte-parole de l’ethnie Shan, Sao Nang Thu Sandi soutient fermement l’opposante Aung San Suu Kyi, également assignée à résidence par la junte. Un combat infatigable qui ne quittera jamais cette bouddhiste dévote, interdite de territoire par les militaires qui craignent son aura. « Le peuple a besoin de moi, ils sont mes enfants » dira-t-elle lors d’une interview accordée en 2005, reprochant à la communauté internationale de se « désintéresser » du sort des Birmans. (une rébellion shan tente toujours, vainement, de reconquérir son indépendance depuis un demi-siècle)
Remariée à Tad Sargent en 1968, qui va l’encourager à faire publier ses mémoires (« Crépuscule sur la Birmanie »), Sao Nang Thu Sandi reversera tous les fonds reçus des ventes de son livre à des fondations d’aide aux réfugiés birmans. En 2000, sa vie a été portée sur grand écran (il sera interdit de diffusion par la junte ). Un vrai succès qui lui a permis de recevoir l’International Human Rights Award. La dernière reine d’Hipsaw s’est éteinte le 5 février 2023 dans la ville de Boulder où elle résidait. Avec elle, une page de l’histoire birmane qui se tourne définitivement.