50 ans après la mort de son dernier empereur, la Chine sous la tentation d’un retour à la monarchie ? A 64 ans, le secrétaire –général du Parti communiste chinois Xi Jinping vient de s’offrir le luxe de se faire réélire triomphalement pour un nouveau mandat de 5 ans. Parmi les 2970 députés présents au sein de l’assemblée nationale populaire, nul n’a osé remettre en cause l’unique candidat qui se présentait sous le regard de la faucille et du marteau. Un succès quand on sait que lors de sa première élection en 2013, un seul député avait voté contre lui et 3 autres s’étaient abstenus. 50 ans après la mort du dernier empereur Aisin Gioro Pu Yi, la Chine se dirige-t-elle vers le sacre d’un nouveau dragon de 10 000 ans ?
Tout au long de son mandat, Xi Jinping n’a cessé de marteler cette phrase comme un leitmotiv : » je suis contre la présidence à vie ! » . Et pourtant, c’est bien ce cadeau que le 11 mars, l’assemblée nationale populaire vient de lui faire en brisant le sacro-saint principe restrictif de deux mandats qui était imposé à tout dirigeant du Parti communiste chinois (PCC). Un retour en arrière spectaculaire du système politique chinois qui renvoie le pays aux plus belles heures du maoïsme ou du temps de l’empire mandchou.
« Xi Jinping est pratiquement devenu empereur à vie » a déclaré à France info, Willy Lam, analyste politique à l’université chinoise de Hong-Kong. Une ville réputée pour abriter la contestation dissidente au pouvoir communiste en place en Chine depuis 1949. Celui qui est surnommé par ses opposants, « le mari de la chanteuse », a gravi rapidement tous les échelons du parti communiste dont son père a pourtant subi les affres de l’emprisonnement durant la révolution culturelle. Ce surnom, il le doit à son mariage en 1987 avec Peng Liyuan, une soprano star de l’Armée populaire de Chine et qui lui a permis aussi de bénéficier d’une forte popularité parmi ses concitoyens qui n’ont jamais réellement fait le deuil de la fin de leur empire. Cette année justement, Bernado Bertolucci sortira sur le grand écran un biopic sur la vie d’Aisin Gioro Pu-Yi, le dernier empereur de Chine* . La première production cinématographique occidentale à avoir reçu l’autorisation de tourner au sein de la Cité interdite, cette forteresse imposante située en plein cœur de Pékin et qui rappelle à tous les touristes de passage comme aux chinois ce que fut le faste feutré des empereurs Qing qui régnèrent de 1644 à 1912 sur une large partie de l’Asie.
L’homme est secret, fin diplomate, pur produit d’un savoureux mélange entre Occident et Asie, incarnant la revanche d’une super puissance moderne face au vieux continent qui se déchire politiquement et qui ferme les yeux sur les différentes exactions du régime concernant le respect à la démocratie et les droits de l’homme. «Quarante-deux ans plus tard, à l’ère de l’Internet et de la mondialisation, un nouveau Grand leader, un nouveau tyran à la Mao se lève à nouveau sur la Chine », a dénoncé le dissident Hu Jia, interrogé au téléphone par l’Agence France-Presse comme nous l’indique le journal La Croix dans une de ses dernières récentes éditions. Et qui s’empresse de préciser également que cet opposant a été de suite emmené en « vacances forcées loin de la session plénière annuelle », nous rappelant encore que sous des sourires charmeurs, le régime communiste a réduit toute contestation en Chine.
Comme son alter égo en Russie, Xi Jinping flirte allègrement avec la tentation nationaliste dans laquelle on retrouve facilement à la fois toute la symbolique communiste et monarchique. Et sur ce dernier point, le dirigeant chinois, appelé affectueusement « Xi Dada » (Tonton Xi) n’en est pas en reste.
Le 17 octobre dernier, Xi Jinping a inauguré une exposition dédiée au dernier empereur de Chine. Une chose impensable dans le pays alors que jusqu’ici il fallait attendre parfois plusieurs mois avant que l’administration n’autorise la sortie de livres (entre autres) sur cette période. Pour marquer, le 50ème anniversaire de la mort de Pu Yi, le musée du palais impérial a ouvert ses portes et déployé sous vitrines, les trésors oubliés et cachés de cet homme qui monta sur le trône impérial à l’âge de 2 ans. Pour l’histoire chinoise, le dernier empereur ne fut qu’un personnage fantoche, manipulé par tous et à la sexualité très ambiguë. Assez pour décrédibiliser la vie du dernier membre régnant de la dynastie impériale, qui fut empereur 3 fois de suite (de 1908 à 1912, 15 jours en 1917 et de 1934 à 1945 comme souverain du Mandchoukouo* sous le nom de Kangde).
Les relations controversées entre le régime communiste et la famille impériale ne sont pas nouvelles. Mao Zédong lui-même et son premier ministre Zhou Enlai firent de fréquentes visites au dernier empereur qui ,après une décennie passée dans les camps de rééducation, finira sa vie dans la peau d’un modeste jardinier. Le frère de Pu Yi, Pu Jie (1907-1994), ancien commandant des armées du Mandchoukouo, fut même député communiste de Shanghaï et obtint un poste prestigieux au sein du Présidium du parti communiste. Décédé en 2015, presque centenaire, le dernier frère du dernier empereur, le prince Pu Ren, bénéficia tout au long de sa vie de la mansuétude du régime communiste avec lequel il s’était lié d’amitié (il était membre du comité politique consultatif de la municipalité de Pékin tout en travaillant au sein l'institut de recherche culturel et historique de la capitale) et de convaincre son aîné de rédiger ses fameuses mémoires. Lors de ses funérailles, un millier de chinois assistèrent à son enterrement parmi lesquels des officiels du gouvernement. La scène fut censurée afin d’éviter de jeter le trouble mais certains chinois firent ce 10 avril, le kowtow. Cette pratique qui consiste « à se mettre à genoux le front à terre pour signifier une soumission».
Même le palais de Chang Chun, en Mandchourie, lieu de résidence de Pu Yi, alors empereur restauré, a été réhabilité et est devenu un musée de grande importance, témoin de cette l'histoire tumultueuse.
Comment expliquer ce retour à la tentation impériale ? Pour le prince Jin Yulan, 67 ans, la réponse est évidente : « Les gens s'intéressent de plus en plus à l'Histoire. C'est une bonne chose (…) La dynastie est morte mais on peut l'analyser de manière objective et je pense que la plupart des gens sont bien disposés envers la famille impériale » déclarait t-il au journal belge « Le Vif ». Un regain d’intérêt pour le passé de la part des chinois largement exploité par Xi Jinping qui tente aussi de faire légitimer son pouvoir à travers le prisme sacré de ces empereurs qui ont marqué de leurs sceaux, l’histoire de la Chine et dont le monument le plus célèbre reste sans conteste, la Grande Muraille.
L’opposition en exil à Taïwan continue de dénoncer cette nouvelle dérive du régime communiste. C’est dans l’ancienne ile de Formose, devenue indépendante et véritable épine dans le pied de Pékin ; que siège le parti monarchiste chinois qui réclame la sécession de la Mandchourie. Ce mouvement n’a aucune assise populaire mais reste financé comme piloté à la fois par des députés taïwanais (comme avec le secrétaire –général du Kuo Min Tang, King Pu-tsung qui descendrait de la famille impériale) et des partis d’extrême-droite japonais (dont plusieurs figures sont membres du gouvernement de Shinzo Abe, lui-même petit-fils d’un haut –fonctionnaire du Mandchoukouo), nostalgiques d’une époque révolue. Des regrets ? Le prince Jin Yulan assure que les membres de la maison impériale n’en ont pas et d’ailleurs plus aucun d’entre eux n’a connu les fastes d’antan. « Je ne sais pas si la vie était douce ni si la cuisine était succulente. Mais je ressens un lien avec mes ancêtres et ce rapport sentimental durera toujours » avoue t-il en guise de conclusion.
Des liens entre la famille impériale et le PCC ? Xi Jinping ne peut l’ignorer et semble appliquer la même méthode que le « Grand timonier » défunt, surnom de Mao. Parmi les membres du parti communiste, figure en bonne place, le prince Jin Yuzhang. Ce septuagénaire, actuel prétendant à la couronne impériale selon l’acte de succession de 1937, a été jusqu’en 2008 le vice-directeur du district de Chongwen, à Pékin. Un des plus hauts postes de l’administration.
Xi Jiping est-il atteint du syndrome de Yuan Sikaï , du nom de ce maréchal d’empire qui retourna sa veste lors de la révolution qui mit à bas le système impérial et qui s’empara de la présidence avant de se faire couronner Empereur de Chine entre 1915 et 1916 ? Quoiqu’il en soit, l’assemblée plénière populaire de Chine vient de briser un tabou en traçant un chemin pavé d’or vers « la restauration de l’ancien régime » à son secrétaire-général, avec l’approbation silencieuse de tout un pays, résigné face à la mainmise du parti communiste chinois sur toutes les officines de l’état. Le tout est de savoir de… quelle restauration on parle ?
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Publié le 17/03/2018