Du fantasme à la réalité, l'Inde des Maharadjas, Rajahs et autres Nawabs. Pays remplis de contradictions, l’Inde nous fait toujours autant fantasmer qu’elle ne cesse de nous choquer. Ici la misère cohabite avec la richesse, la grandeur avec la déchéance d’un état dont les odeurs de sucre et de piment se mêlent à celle de la corruption et de la foi fanatique. A 19 ans, il possède déjà une fortune de 378 millions de livres sterling. Il est l’un des célibataires les plus convoités du gotha, l’incarnation d’un art de vivre, d’un raffinement sophistiqué porté au paroxysme de l’hédonisme. Héritier d’une des plus belles couronnes de l’Inde, le prince Padmanabh Singh a fait sensation le 25 novembre au dernier bal des débutantes.
Officiellement, le couronnement de la reine Victoria Ière comme impératrice des Indes fut présenté à ses sujets comme une idée du premier ministre conservateur Benjamin Disraëli avec pour but avoué «d’augmenter le prestige de la couronne et de renforcer son pouvoir sur ses territoires d’Asie ». La vérité est pourtant moins politique qu’elle en a l’air. Depuis 3 ans, la veuve du prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha faisait le siège de son premier ministre afin qu’elle obtienne ce titre qui lui manquait aux nombreux qu’elle possédait déjà et que l’on égrenait tel un chapelet lors de chaque visite d’un dignitaire étranger. Irrité par celui que portait le tsar de Russie, elle ne supportait pas plus que sa propre fille puisse le porter lorsque son mari monterait sur le trône allemand.
Et c’est bien loin de ses sujets que Victoria se fait sacrer avec toute la pompe de cette cérémonie, le 1er janvier 1877, enflammant l’imaginaire (encore aujourd’hui) d’une nation qui régnait sur les mers et sur les terres. En Inde, c’est son fils le prince de Galles, futur Edouard VII qui sera chargé de représenter la souveraine au « British Raj ». 65 états princiers se partagent le «joyau de l’empire britannique » mais à peine 21 disposent de réels pouvoirs, tous sous le contrôle d’un vice-roi. Ce qui restait de l’empire moghol avait été exilé après la révolte sanglante des Cipayes (1858), les Maharadjas, Rajahs et autres Nawabs étaient désormais les nouveaux aristocrates au teint mâte d’une société exclusivement blanche, une « classe de personnes, indiennes de sang et de couleur de peau mais anglaises de goût d’opinion, de morale et d’intellect « selon les mots du poète, historien et homme politique Thomas Balbington Macaulay. De dominants à dominés, ces princes de l’Asie vont continuer de mêler leur destin à celui de l’histoire tumultueuse d’une nation en marche que rien ne saura arrêter.
La décolonisation est violente, chaque caste, chaque ethnie, chaque religion tente de s’imposer face à l’autre. Dernier Vice-roy des Indes, Lord Louis Mountbatten essaie d’accompagner tant bien que mal tous les partis politiques en présence sur le chemin agité de l’indépendance qui mènera la jeune nation au bord de la guerre civile et de la partition (Pakistan). Pour les 641 maharadjas recensés, la république est le signe d’une lente agonie vers la fin de leurs pouvoirs. Ils sont autant révérés que haïs par leurs sujets respectifs. Et si certains se distinguent par la construction d’hôpitaux ou d’écoles, d’autres partent étaler la démesure de leur richesse en Europe. Pour s’assurer leur soutien et éviter des sécessions, le Congrès indien, principal interlocuteur du vice –Roy, négocie avec ses « royality » des listes civiles (Privy purse) qui leur assurent maintien de leurs titres et palais. Si tous acceptent, la principauté de l’Hyderabad dirigée par le Nisam musulman Asaf Jâh VII proclame son indépendance. Rien d’illégal en soi puisque l’accord d’indépendance signé avec les anglais le prévoyait ainsi. Mais du côté des nationalistes, la perte de ce territoire peuplé également par 18 millions d’hindous est mal vécue. Tout comme avec celui du Cachemire voisin aux velléités identiques, l’affaire sera bientôt réglée militairement quelques mois plus tard. Et le prince de conserver son poste jusqu’à qu’il soit dissout en octobre 1956.
Le pouvoir de cette aristocratie, vestige d’un monde qui s’effondre doucement en cette seconde moitié de XXème siècle, va rapidement entrer en conflit avec la république, incarnée par le gouvernement d’Indira Gandhi. La fille de Jawaharlal Nehru, figure majeur de l’indépendance, est nommée premier ministre en 1966. En face d’elle, une autre femme. La Maharani Gayatri Devi,(1919-2009) la propre arrière-grand-mère du prince Padmanabh Singh.
Dans cette société patriarcale, le conflit devient une affaire d’état entre la première ministre et l’épouse du Maharadja de Jaipur, Man Singh II (1912-1970). Rapidement la Maharani devient une étoile montante de l’opposition et se fait même élire députée dès 1962 (le président américain John Kennedy la présentera officiellement à ses sénateurs comme étant « la femme qui a obtenu la majorité la plus stupéfiante que personne n'ait jamais eue »). Elle ne quittera plus son siège jusqu’en 1971, date à laquelle, excédée par cette "Lady Di "locale*, Indira Gandhi décide de mettre fin définitivement au pouvoir de cette classe de sang bleu qui empiète sur son domaine politique. Accusant la maharani de fraude fiscale, Indira Gandhi la fait embastiller(156 jours) et ratifie la loi d’abolition des privilèges (amendement du 31 juillet 1971). C’est la fin des monarchies en Inde. La dernière à tomber sera celle du Sikkim en 1975 quand l’armée indienne pénétrera de force dans cet état pour le rattacher à l’union indienne après l’avoir fait valider par un référendum quelque peu controversé.
Privés de revenus, les Maharadjas doivent se reconvertir et transformer leurs palais en hôtels de luxe pour touristes avides de sensations fortes, promenade en dos d’éléphants et autres chasses au tigre. Celui de Jaïpur ne fera pas exception. Tout à sa vengeance empreinte d’une jalousie toute féminine, Indira Gandhi multiplie les arrestations des princes. Le désormais prétendant au trône de la ville rose, Bhawani Singh, en fera les frais en 1975 et ne devra sa libération qu’après l’intervention directe de Louis Mountbatten, excédé par les agissements de la famille Gandhi.
Monté sur le trône à la mort de son grand-père (adoptif) en 2011, le prince Padmanabh Singh semble tout droit sorti d’un film de Bollywood. Et si on aurait de croire que tous sont aussi fortunés que lui, le nouveau maître de Jaïpur à la modestie facile en dépit de son statut. Mais pas l’humilité. Ce filleul du prince Charles de Galles a côtoyé la gentry britannique comme aux temps anciens. Ses projets d’avenir, il les confiait récemment au magazine Vanity Fair : « Je me vois vivre à plein temps à Jaipur. Je souhaite également jouer un rôle dans la gestion de notre patrimoine familial qui compte musées, palais et forteresses. Et bien sûr, je me vois continuer à jouer au polo et consacrer du temps aux causes qui me tiennent à cœur ». Ici au coeur du Rajasthan, le temps s'est figé. La maison royale des Singh continue de régner dans le faste sur cet état qu’elle dirige depuis le XIIIème siècle.
En janvier 2016, le magazine « The Diplomat » avait posé cette question . « Et si l’Inde avait été une monarchie ?»**. Les Maharadjas ont bien tenté de récupérer leurs titres et pouvoirs au cours d’une longue procédure juridique (entre 1992 et 1995) mais la Cour suprême a rejeté tous les recours entrepris. « Le temps des rois et des reines est terminé » a semblé rappeler l’arrêt de la cour dont la décision avait été alors motivée par la crainte d’une renaissance d’un séparatisme monarchique comme il en existe dans certains états actuellement. Réfugiés au Pakistan voisin, les prétendants à la couronne Moghole se battent pour retrouver leurs droits et obtenir un statut officiel. Une demande qui, jusqu’ici, a été largement ignorée par le gouvernement nationaliste Indien.
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Publié le 11/04/2018
* http://www.leblogtvnews.com/article-secrets-d-histoire-spec…: Extrait du trailer consacré Gayatri Devi par l'émission Secret d'Histoire
** : https://thediplomat.com/…/india-is-a-republic-but-could-it…/