C’est une page de l’histoire tumultueuse de l’Inde qui vient de se tourner. Le 12 janvier 2023, la maison princière d'Hyderabad a annoncé le décès de son Nizam, le prince Asaf Jah VIII. Il était âgé de 89 ans. Mémoire vivant de son pays, ami personnel de Nehru, héritier de l’une des plus colossale fortune du monde, il avait connu les grandes heures du Raj britannique et la fin de la monarchie.
C’est par un simple communiqué publié sur les réseaux sociaux que le secrétariat de la maison princière d'Hyderabad a annoncé la triste nouvelle. « Nous sommes profondément attristés de vous informer que Nawab Mir Barket Ali Khan Walashan Mukarram Jah Bahadur, S.E.H le huitième Nizam d'Hyderabad est décédé paisiblement à Istanbul, en Turquie » a informé le représentant officiel de la dynastie Asaf Jah.
Une principauté autonome
C’est au cours du XVIIIe siècle que les Asaf Jah décident de s’affranchir militairement de la tutelle des empereurs Moghols qui règnent sur l’Inde. Après avoir établi une principauté indépendante dans le nord de cette partie de l’Asie, les sept monarques qui vont se succéder sur le trône en marbre d'Hyderabad, vont contribuer à sécuriser leurs frontières et moderniser considérablement leur État. Dotés d’une fortune considérable grâce au commerce de vente de diamants provenant essentiellement des mines de Golconda, les princes de l’Hyderabad seront au centre des convoitises françaises et britanniques. Si ce sont derniers qui se taillent la part du lion, cette occupation n’aura rien de bénéfique pour les Nizam. Leur économie va rapidement s’effondrer et il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la principauté retrouve son train de vie confortable. Le règne du prince (Mir) Osman Ali Khan Asaf Jah VII va être synonyme de réussite industrielle. L’État d'Hyderabad va même imprimer sa propre monnaie, posséder sa propre aviation lui conférant une autonomie inédite au sein du Raj britannique. La richesse des Nizam est telle, qu’elle sera estimée, au cours de la première moitié du XXe siècle, à 2% du PIB américain. Allié des Anglais, on octroie au prince le droit d’avoir ses « 21 coups de canons » en guise de salut et le titre d’« Altesse Exaltée ».
Une enfance dorée protégée des tumultes de l’Inde
C’est pourtant loin de cette ambiance que Mukarram Jah Bahadur va voir le jour. Il pousse ses premiers cris à Nice, le 6 octobre 1933. Il est le fils du prince héritier Asam Jah (1907-1970) et de la princesse Durru Shehvar Durdana Begum Sahiba, fille du calife turc Abdulmejid II. Choyé par ses parents et une armée de domestiques, salué par les grands personnages de l’Empire (ses grands-parents seront les invités du roi George V pour son couronnement comme souverain de l’Inde en 1911), son enfance dorée va brutalement s’arrêter en 1948. Le Raj britannique (devenu Dominion) a décidé de prendre son indépendance de Londres au prix d’un long combat meurtrier où les différentes factions politico-religieuses du pays se sont durement affrontées. Pourtant enthousiaste à l’idée de se rattacher à l’Inde, face aux événements tragiques qui secouent la nouvelle République, Osman Ali Khan Asaf Jah VII décide finalement de conserver sa propre autonomie. Il tente même de se placer sous la protection des Britanniques, mais il est trop tard. Le vice-roi, Lord Mountbatten, refuse d’accepter son offre. Son destin et celui de sa dynastie sont désormais scellés. Sous prétexte d’empêcher la mise en place d’un gouvernement communiste (rébellion de Telangana), les troupes indiennes qui stationnent dans la principauté, se retournent contre le Nizam début septembre 1948 (Opération Polo). L'annexion est si violente qu'elle provoque l'effondrement de l’économie de la monarchie. La guerre ne fera pas moins de 35000 morts. Bombardements, actes de sabotage, politique de la terre brulée, viols de masse des hindous sur les musulmans..., New Delhi fait ployer l’échine du Nizam. Le 18 septembre suivant, il est contraint d’accepter l’intégration de la principauté à l’Inde et abdique après 37 ans de règne.
Huitième Nizam d'Hyderabad
C’est l’exil de l’intérieur pour Mukarram Jah Bahadur. Son grand-père a été nommé Rajpramukhs (gouverneur) de son nouvel état en guise de compensation. Un poste qu’il conservera jusqu’en 1956. Il grandit dans cette atmosphère survoltée et fréquente les meilleures écoles d’Inde et d’Angleterre. C’est au Royaume-Uni qu’il fera ses classes militaires, à l’Académie de Sandhurst. Il deviendra l’ami et l’aide de camp personnel du Premier ministre Jawaharlal Nehru. L’homme était pourtant connu pour sa défiance envers toute l’aristocratie indienne dont il ne prisait guère la compagnie. Son père, de santé fragile, le laissera monter sur le trône de jure de d'Hyderabad en 1967, au décès d’Asaf Jah VII. Président du Nizam's Charitable Trust et du Mukarram Jah Trust for Education & Learning (MJTEL), le prince Mukarram Jah Bahadur va tenter de redonner toute sa splendeur aux palais de sa famille, continuer la gigantesque œuvre de don de son prédécesseur et transformer certains de ses domaines en hôtels de luxe, d’autres en musée. En 1971, la Première ministre Indira Gandhi va oser faire ce que son père, Nehru, n’avait jamais oser faire : abolir tous les titres monarchiques existants. Le prince perd son titre de Nizam.
Le Nizam est mort, vive le Nizam
Il va demeurer pourtant une personne influente, résidant la majorité de son temps en Turquie. Le pays de naissance de sa première épouse, la princesse Esra Bigin, qui divorcera de lui en 1971, 15 ans après leur mariage. Elle avait refusé de le suivre dans le bush australien où il avait décidé d’établir une ferme de moutons. Le prince va se marier encore 4 fois. Avec une Britannique, 2 Turques et une Marocaine. De ses mariages successifs vont naître 6 enfants dont le prince Mir Muhammad Azmat Ali Khan Asaf Jah IX (62 ans) qui lui a succédé comme Nizam de jure et qui est un ancien photographe professionnel. La famille princière a été récemment au cœur d’une importante querelle judiciaire portant sur l’héritage colossal du dernier monarque d'Hyderabad.
Les funérailles du prince Mukarram Jah Bahadur auront lieu le 18 janvier 2023. Suivra une cérémonie où son fils sera couronné nouveau souverain d’une monarchie dont les plus belles pages de son glorieux et fastueux passé appartiennent dorénavant à l'Histoire.