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Une guerre des genres au sultanat de Yogyakarta

Hamengkubuwono X et sa famille« Nous avons pris un engagement familial et décidé  que nous ne nous battrons pas maintenant. Mais lorsque le sultan aura quitté ce monde, il est évident que nous conduirons sa femme et ses filles hors du palais ». La princesse Mangkubumi va-t-elle ceindre la couronne de Yogyakarta, un puissant sultanat d’Indonésie ? C’est la question que se posent tous les sujets du sultan Hamengkubuwono X depuis que ce monarque a décidé d’abroger la loi de succession au trône par primogéniture masculine et soulevé un tsunami de protestations au sein de la famille royale.  Une « révolution des genres commandée par le divin »  selon le souverain javanais de 75 ans dont l'histoire de la dynastie est étroitement liée à celle de l’Indonésie.  

Le trône du sutanatUn des multiples états princiers qui constellent la république d’Indonésie, le sultanat de Yogyakarta est au cœur d’une vaste polémique qui n’en finit pas d’alimenter toutes les conversations. Depuis mai 2015, tous les regards convergent constamment vers le palais royal où rèside le sultan Hamengkubuwono X qui  a décidé de nommer sa fille aînée comme héritière du trône. Pour les défenseurs de la loi salique, à commencer par les frères du monarque, c’est un outrage et les appels à la fronde se sont multipliés afin d’empêcher une femme de ceindre cette couronne vieille de trois siècles. 

Hamengkubuwono ixLe sultanat de Yogyakarta est né d’une partition provoquée par les néerlandais, future puissance colonisatrice de l’Indonésie. Soumise après plusieurs guerres, c’est durant la Seconde guerre mondiale que cette monarchie musulmane va véritablement émerger avec la figure du sultan Hamengkubuwono IX qui fait preuve d’un véritable courage en faisant face aux japonais qui envahissent progressivement toute l’Indonésie. Un acte de résistance qui va considérablement marquer le subconscient de ses sujets qui le révèrent toujours. C’est aussi tout naturellement que le souverain va participer à la lutte pour l’indépendance en menant des actes de résistance contre les néerlandais qui tentent vainement de le soudoyer en lui promettant une couronne sur l‘ensemble du pays.  En mars 1949 avec le Lieutenant–colonel Suharto, futur président de la république, Hamengkubuwono IX organise un véritable coup d’état contre le gouvernorat néerlandais. La guerre va durer deux mois et affaiblir les Pays-Bas qui sont  contraints de renoncer à leur colonie en décembre de la même année. Ministre, vice–premier ministre, le sultan va conserver de grands pouvoirs en échange de son ralliement à la république. Lorsqu’il  meurt en 1988, la question de la succession au trône ne se pose pas immédiatement. Son fils et successeur Hamengkubuwono X,  n’a eu que 5 filles, en dépit de ses nombreuses concubines et épouses officielles, et en vertu de la loi de primogéniture masculine, la couronne devra revenir à un de ses frères qui est éduqué dans cette perspective. 

Hamengkubuwono X et sa fille aînéeSa décision de nommer sa fille Gusti Kanjeng au titre  « Mangkabumi », un titre réservé aux princes héritiers mâles, va rapidement soulever une vague d’indignations Pire, pour les tenants de la tradition, le fait que la princesse soit assise sur une chaise sacrée en pierre appelée «Watu Gilang», est un acte de trahison. « Nous sommes une famille royale islamique et ce titre a toujours été réservé aux hommes. Comment devrons-nous l’appeler- la sultante ? » ironise même le prince Prabukusumo qui a coupé tous liens avec Hamengkubuwono X qui s’est pourtant justifié de sa décision. «  J'ai été instruit de Dieu par les esprits de mon père et de mon ancêtre » a déclaré le sultan aux médias. . Dépossédés de leur héritage, plusieurs princes ont porté l‘affaire devant les tribunaux de Jakarta et un jugement rendu en 2017 a conforté le sultan dans sa décision. Pour autant, les princes frondeurs ne décolèrent pas. « Nous avons pris un engagement familial et décidé  que nous ne nous battrons pas maintenant, Mais lorsque le sultan aura quitté ce monde, il est évident que nous conduirons sa femme et ses filles hors du palais » ont annoncé les rebelles à la presse, faisant craindre une succession agitée au décès d’ Hamengkubuwono X. Une femme « présidant les principaux festivals et événements religieux, avec des pouvoirs quasi mystiques et gardienne des quatre grandes mosquées du royaume », c’est plus qu’une réforme, c’est un acte révolutionnaire aux yeux des partisans des frères du roi.  « C’est pourquoi le décret du sultan est choquant et controversé pour beaucoup de gens. Ils croient que si un sultan ne peut pas bien s'acquitter de ces devoirs, un désastre se produira » explique Heru Wahyu Kismoyo, professeur de la culture javanaise à l’université de Widya Mataram. 

Prince yudhaningrat photo nivell raydaLe prince Yudhaningrat, demi-frère du sultan,  a mis en doute le récit de la révélation royale. « Je n’ai pas parlé à mon frère depuis le décret. Je meurs d'envie de le voir parce que je veux savoir exactement comment les esprits lui ont parlé. Mais il refuse de voir ses frères et sœurs » a-t-il expliqué au jounaliste de la BBC venu l’interroger. « Ce décret a déchiré notre famille. Il a complètement dévié de la loi sacrée. Il n’y a aucune chance que les esprits de mes ancêtres aient parlé à mon frère, lui demandant de briser le Paugeran » affirme le prince qui réclame que le trône soit transmis à l'un de ses neuf frères survivants de Hamengkubuwono X. « La tradition veut que le sultan de Yogyakarta prenne pour épouse la déesse Kanjeng Ratu Loro Kidul afin de régner conjointement sur les mers du Sud » renchérit le prince qui dénonce aussi le caractère homosexuel que la décision du sultan va provoquer et qui espère toujours qu’il va revenir à la raison.  La famille du sultan accuse  d’ailleurs l’épouse du roi, qui est sénatrice au parlement national, de mener cette « révolution » en ayant inculqué des notions d’indépendance à ses filles alors que la société indonésienne demeure profondément patriarcale. 

Hamengkubuwono VCe n’est pas la première fois que le royaume est secoué par une crise de succession.  Sans enfants, le sultan Hamengkubuwono V avait décidé de nommer son jeune frère Gusti Raden Mas Mustojo  comme successeur. Très peu aimé, entre deux danses de serimpi qu’il affectionnait, Hamengkubuwono V  devait gérer des confits entre ses épouses. C’est dans ces circonstances que sa cinquième épouse décide de le poignarder en 1855, mettant ainsi fin à un règne agité de trois décennies. Comble de l’ironie, une de ses épouses était enceinte, donnera naissance à un garçon qui ne règnera jamais et décèdera à son tour, exilé de l’intérieur, à 45 ans.

Ancienne étudiante aux Etats-Unis et en Australie, la princesse Gusti Kanjeng tente d’élever le débat et fait fi des protestations familiales. « Comme dans toutes les familles, en tant qu'aînée, j'ai plus de responsabilités que mes sœurs et je remercie mon père de m’avoir préservée de toutes ambitions. Tout ce que j'ai à dire sur cette affaire, c’est qu’il y a déjà eu des  reines à Aceh et dans d'autres royaumes musulmans » explique la nouvelle princesse héritière.  Le professeur Ni’matul Huda de l’Université islamique d’État Sunan Kalijaga n’y voit aucun sacrilège. Selon elle, « si beaucoup y voient une lutte de pouvoir au sein du palais royal, pour une grande majorité des sujets du sultan, ce qui compte, c'est de savoir, si celui-ci à venir peut les protéger et les servir. Qu’il soit un homme ou … une femme ».  « Nous ne faisons pas cela parce que nous recherchons le pouvoir. Nous nous soucions seulement de garder le royaume tel qu'il est et maintenir nos traditions » répondent simplement les frondeurs princiers qui craignent toutefois que le gouvernement central de Jakarta n'intervienne dans cette affaire et décide de mettre fin à la monarchie.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 27/05/2021

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