C’est la bataille de tous les honneurs qui va mettre fin à l’ère du shogunat en 1868. Face aux troupes impériales de l’empereur Meiji, Yoshinobu Togukawa tente un dernier sursaut de résistance avant de devoir déposer les armes après la capture du château d’Edo. Durant trois siècles, la maison des Tokugawa, faiseurs de souverains, va diriger le Japon d’une main de fer. Divisés en plusieurs branches, ils ont essaimé au sein de la maison impériale actuelle. Cousin de l’empereur-émérite Akihito, le prince Tsunenari Tokugawa est aujourd’hui l’héritier d’une période qui fascine encore toute l’Europe et d'une famille qui reste très influente au Japon.
C’est au tout début du XVIIème siècle qu'Ieyasu Tokugawa s’empare du pouvoir. Jeune prince élevé à Edo, il voit son père mourir des mains d’un assassin en 1549, alors qu’il n’a que 6 ans. Le pouvoir des empereurs s’est largement affaibli et chaque clan se fait la guerre pour mieux contrôler ce qui reste d’une couronne à terre. Devenu otage, il apprend l’art de la guerre et devient rapidement un des meilleurs combattants de cette époque tumultueuse, affirmant à qui veut l’entendre qu’il descend de l’empereur Seiwa. Bien que rien ne le prouve généalogiquement, il démontre déjà son caractère ambitieux et point de départ d’une légende qui perdure encore au pays du Soleil Levant. Son ascension est fulgurante tout comme celle de sa famille par la suite.
Naissance d'une dynastie de daimyos
La bataille de Sekigahara (1603) contre d’autres daimyos rivaux va précipiter son destin et celui de sa famille pour trois siècles. Nommé Seiitaish?gun par l’empereur, Ieyasu Tokugawa va ouvrir la voie au bakuhan taisei, la mise en place d’un gouvernement exclusivement militaire où les souverains n'auront qu’un seul droit, celui de se taire. Il ouvre le Japon aux nations étrangères, consulte régulièrement un navigateur britannique du nom de Williams Adams, dont la vie sera adaptée à l’écran dans la célèbre série « Shogun» et la figure interprétée par Richard Chamberlain, regarde les jésuites et les ordres catholiques espagnols se livrer une guerre d’influence avant d’ordonner la persécution des chrétiens dont il se méfiait. Quintessence par excellence du Shogunat, Tokugawa Ieyasu laisse derrière lui un héritage considérable. Aujourd’hui les épées ont été rangées au fourreau et son descendant Tsunenari Tokugawa, retraité d’une compagnie maritime où il a assumé de hautes fonctions, continue de perpétuer la mémoire de cette période faste du Japon.
Le dernier baroud d'honneur des shoguns
Il n’est pas nostalgique. A 80 ans, Tsunenari Tokugawa jouit de sa retraite et s’occupe de la fondation qui porte le nom de sa famille créée en 2003. Modernisme oblige, elle est sur les réseaux sociaux, organise des conférences sur le Shogunat. Durant deux siècles, le Japon se referme aux étrangers mais n’arrive bientôt plus à échapper à l’ambition dévorante des européens attirés par les mystères de son archipel. Dépassé technologiquement, les japonais commencent à montrer des signes de faiblesse. Il faut attendre la montée sur le trône de l’empereur Mutsuhito (Meiji) pour que le régime impérial retrouve toute sa signification. Alors Shogun en titre, Yoshinobu Tokugawa (1837-1913) se soumet rapidement dès 1867. Mais lorsqu’il s’aperçoit que les ministres de l’empereur ont décidé de le faire arrêter, il prend les armes. Dernier baroud d’honneur et dernière grande guerre où armes traditionnelles vont faire face à celles plus modernes d’une armée japonaise encadrée par les français qui ont réussi à s’imposer à la cour impériale. Une bataille illustrée par Hollywood dans son blockbuster « Le dernier samouraï » avec en vedette l’acteur Tom Cruise. Battu, pardonné, le dernier des Shogun passera son temps à chasser, lire peindre et obtiendra le rang de prince pour lui et ses descendants en 1912. Une de ses filles aura même le privilège d’intégrer la maison impériale en épousant une des cousins de l’empereur Hiro-Hito.
Une maison ancestrale qui garde son panache
Des trésors de cette maison, il ne reste guère de choses. La plupart ont été perdus peu après la guerre du Boshin et le reste a été endommagé par les bombardements américains en 1945. Aujourd’hui, ils dorment dans des musées. Son grand-père, Tsuneo Matsudaira, a été ambassadeur du Japon à Londres entre 1929 et 1935 avant de prendre la tête du Kunaicho, le puissant secrétariat de l’empereur jusqu’à la défaite de l’empire. Il fut question de lui comme Premier ministre mais sa candidature ne fut pas retenue et on lui laissa prendre la tête de la chambre haute de la Diète de 1947 à sa mort deux ans plus tard. Yoshichika Tokugawa (1886-1976) de la branche Owari est probablement la figure la plus connue et la plus intéressante de cette maison. Chasseur d’ours renommé à Hokkaido et de tigres dans la péninsule malaise, politiquement actif, il sera un des principaux financiers de la tentative de coup d’état mars 1931 avant de cofonder le Parti socialiste japonais en novembre 1945. Un mouvement qui fusionnera avec les libéraux en 1996. « La défaite du Japon dans la guerre et les impôts obligatoires sur tous nos actifs ont privé notre famille de 90% de ses biens» rappelle Tsunenari Tokugawa en paraphrasant Yoshichika (qui avait lui-même regretté cette perte de privilèges et de ses palais dans un essai daté de 1963) et qui se souvient des années de disette où il ne mangeait pas à sa faim après la défaite.
Un nom en héritage
Les descendants des derniers shoguns n’ont pas pour autant disparu de la vie politique et affairiste du Japon. Ainsi, l’oncle de Tsunenari Tokugawa, Isao Matsudaira (1907-2006) sera le gouverneur de la préfecture de Fukushima et son propre père, Ichiro Matsudaira (1907-1992) sera président de la principale banque de Tokyo. Le prince Tsunenari Tokugawa a reçu lui-même l’empereur et l’impératrice pour le 400ème anniversaire du shogunat d’Edo, un événement largement médiatisé dans un pays qui renoue progressivement avec ses traditions. Nommé représentant de la Chambre de commerce de Shizuoka, Tsunenari Tokugawa dirige encore aujourd’hui le Fonds mondial pour la nature (WWF). A son décès, ce sera le prince Iehiro Tokugawa, son fils aîné de 55 ans, plusieurs fois candidat malheureux à la députation sous les couleurs du Parti constitutionnel-démocrate, qui lui succèdera. Marié à une vietnamienne (ses parents se sont opposés en vain à cette union), ce fan de films de zombies ( il a été un des traducteurs du film Green Zone) et de mangas a fait campagne pour les droits des homosexuel(le)s à se marier et s’est opposé à un amendement de la Constitution permettant la remilitarisation du Japon.
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