«Sa Majesté rappelle aux politiciens d'arrêter immédiatement ces tensions qui sapent la stabilité de l'administration du pays ». Dimanche dernier, le royaume de Malaisie a retenu son souffle. Face à la crise politique et sanitaire, la proclamation de l’état d’urgence par le Yang di-Pertuan Agong XVI Al Sultan Abdallah semblait inéluctable. Minutes par minutes, la presse a commenté le moindre déplacement des leaders des formations politiques représentées au parlement et les différents sultans de Malaisie à l’Istana Negra, le palais royal. Contre toute attente, le roi a finalement décidé de refuser de signer le décret d’état d’urgence et a confirmé le maintien de son Premier ministre au pouvoir. Pourtant, si cette décision indique que le monarque électif de Malaisie, Al-Sultan Abdallah, a souhaité éviter une lutte ouverte entre politiciens, elle pourrait aussi signer la fin du gouvernement de Muhyiddin Yassin et renvoyer les malaisiens aux urnes.
Ils étaient tous convoqués à l’Istana Negra, ce dimanche 25 octobre. Le Yang di-Pertuan Agong XVI a reçu tour à tour, tous les présidents des formations représentées au parlement et les différents monarques de cette monarchie fédérale. Avec l’accroissement des cas de covid-19 dans le royaume et la montée des tensions politiques entre le gouvernement du Premier ministre Muhyiddin Yassin et l’opposition, tous les signaux indiquaient qu’Al Sultan Abdallah s’apprêtait à proclamer l’état d’urgence. C’est avec une certaine fébrilité que les malaisiens ont regardé les allées et venues de tous les protagonistes de ce conflit au palais royal. Interrogé, le prince héritier du sultanat de Johor Tunku, le prince Ismail Sultan Ibrahim, a exprimé, au même moment, son « espoir d’une solution pacifique afin assurer la stabilité du pays et le protéger des menaces de ceux qui sont avides et fous de pouvoir pour leurs intérêts personnels » résumant la grave crise qui secoue le pays.
« Sa Majesté rappelle aux politiciens d'arrêter immédiatement ces tensions qui sapent la stabilité de l'administration du pays » a annoncé séchement en fin de journée le communiqué du palais. Après terminé ses rendez-vous et après avoir examiné tous les éléments en sa possession, le Yang di-Pertuan Agong a finalement estimé qu'il n'était pas nécessaire de déclarer l’état d’urgence dans le royaume, affirmant dans un premier temps que gouvernement actuel avait efficacement géré l'épidémie de covid-19. «Al Sultan Abdullah est d'avis qu'il n'est pas nécessaire que les membres du parlement poursuivent ce mouvement irresponsable qui pourrait perturber la stabilité du gouvernement actuel » poursuit le communiqué. Principal reproche de l’opposition qui accusait le Premier ministre Muhyiddin Yassin de vouloir s’arroger les pleins pouvoirs sous le prétexte de la hausse de cas de covid-19. Face aux tensions persistantes, le monarque a exhorté « les partis politiques à cesser de «politiser» le combat contre le COVID-19 et à travailler ensemble afin de faciliter la reprise économique du pays. Un message à peine caché et destiné à Anwar Ibrahim, leader de l’opposition. L'ancien vice-premier ministre, a tenté de prendre le contrôle du parlement avec le soutien de plusieurs partis. Plusieurs motions de censure ont été d’ailleurs déposées contre le gouvernement, en vain.
L’intervention du souverain règle-t-elle définitivement la crise politique ? A court terme certainement mais pas à long terme dans ce qui ressemble à un vague coup de poker du roi. La faible majorité du Premier ministre Muhyiddin, arrivé au pouvoir en mars à la suite de la démission brutale de son prédécesseur Mahathir Mohamad, sera mise à l'épreuve le mois prochain lorsque son gouvernement mettra au vote le budget pour 2021. Le Yang di-Pertuan Agong a déclaré qu'il était convaincu « que l'unité et l'esprit combatif du peuple permettraient à la Malaisie de surmonter la vague actuelle du COVID-19 qui traverse le royaume, appelant chacun à mettre ses différences de côté ». Mais pour divers spécialistes locaux, le roi a piégé aussi son Premier ministre. « Muhyiddin et son gouvernement sont les grands perdants de cette lutte. Sa crédibilité en a pris un coup » affirme l'analyste politique indépendant Khoo Kay Peng. «Le directeur général de la santé et son équipe ont gardé la situation sous contrôle. Le roi a envoyé un message clair à Muhyiddin. Il ne souhaite pas être entraîné dans une lutte pour le pouvoir politique » a renchéri Khoo Kay Peng.
Anwar Ibrahim a salué la décision du Yang di-Pertuan Agong de ne pas suivre la une proposition du gouvernement de déclarer l'état d'urgence, la décrivant comme un moment «historique». «C’est une position fondée sur l’esprit de la Constitution fédérale et qui montre la compréhension des préoccupations et des voix du peuple» a déclaré le chef de l'opposition qui a pris note « des conseils du roi ». L’ultime avertissement est venu de la reine elle-même, Hajah Azizah, qui a publié sur son compte Instagram, suivi par 100 000 personnes, la photo d'une caricature d'un lion faisant face fièrement à ses opposants mais le dos constellé de blessures avec cette légende : « On ne nait pas roi, on le devient ! » Une prise de position inédite dans ce pays musulman mais qui en dit long sur le pouvoir qu'exerce les souverains de cette monarchie élective.
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