«J'espère que nous voterons enfin des gens qui servent le peuple et non pas des gens qui servent leurs propres intérêts». C’est une monarchie presque inconnue. Située au cœur de la Fédération de Malaisie et frontalière à Singapour, le sultanat de Johor a fait récemment les principaux titres de la presse locale après que son monarque constitutionnel et héréditaire, Ibrahim ibni Almarhum Sultan Iskandar Al-Haj, soit sorti de sa réserve pour la seconde fois consécutive et en à peine un mois. Ce monarque constitutionnellement absolu a menacé de dissoudre l’Assemblée nationale si les partis politiques ne cessaient pas leurs incessantes querelles.
La création du sultanat de Johor est un accident de l’histoire. Au cours du XVIème siècle, l’apparition d’une flotte portugaise aux abords de Malacca créé de fortes tensions au sein de ce puissant état de l’Asie. Ville malaisienne au centre d’un carrefour commercial important, le sultanat de Malacca s’est peu à peu émancipé de sa tutelle chinoise. Influencée par ses nombreux contacts arabes, persans ou indiens, cette monarchie s’est convertie à la religion musulmane. Souverain depuis 1488, Mahmoud Shah II accueille d’abord les portugais avec bienveillance puis ordonne soudainement leur massacre en juillet 1511. C’est la débandade parmi les portugais qui tirent leurs épées. Ceux qui vont échapper au cimeterre des gardes du sultan, se réfugient sur leurs bateaux, arborant la croix du Christ, ouvrent le feu sur Malacca. Mahmoud Shah doit fuir plus au Sud un mois plus tard et s’installe à Johor avant d'apprendre que tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un lieu de culte musulman avait été démantelé, pierres par pierres, pour construire la forteresse de Famosa. Le sultanat éponyme est fondé et s’inscrit dans la suite de celui de Malacca que les souverains successifs de Johor vont continuer à revendiquer encore durant des décennies.
Ibrahim Sultan Iskandar Al-Haj est âgé de 61 ans. Il est un mélange de deux cultures, malaisienne et britannique, la nationalité de sa mère. Il a étudié dans les meilleures écoles australiennes avant de recevoir un entrainement militaire aux Etats-Unis. Ce père de 6 enfants, monogame, est résolument dans son temps. C’est en janvier 2010 qu’il est monté sur le trône, au décès de son père connu de tous pour son caractère ombrageux. Et dont semble avoir hérité l’actuel prince héritier, Tunku Ismaël. D’ailleurs au début des années 1990, il s’en est fallu de peu pour que le sultan Iskandar (1932-2010) ne soit pas destitué par le conseil de ses pairs. Son tempérament colérique et violent ont contraint tous les monarques de la Fédération de Malaisie à se réunir et passer un décret autorisant la levée de l’immunité de tous les princes et souverains dès lors qu’ils enfreignaient la loi islamique. Ibrahim Sultan Iskandar Al-Haj est un roi révéré par ses sujets, qui rejette toute forme d’extrémisme religieux. Il incarne cette longue lignée de rois qui ont modernisé une monarchie, dont la fortune a longtemps reposé sur le commerce du poivre noir et le gambir, un safran. Des denrées qui ont excité l’appétit vorace des britanniques qui finiront par imposer un protectorat à Johor en 1914. Le sultan Mabrouk, son arrière- grand-père, fut l’un des monarques le plus riche du XXème siècle, ami des souverains de Grande-Bretagne. Aujourd’hui encore aujourd’hui Johor jouit d’une rente confortable grâce à ses activités commerciales. Durant la crise monarchique de 2018, le nom du sultan avait même été envisagé afin qu’il puisse ceindre la couronne tournante de la Fédération, indépendante depuis 1948. Un trône que son père avait d’ailleurs occupé entre 1984 et 1989
«J’ai juré de prendre soin et de défendre mon peuple comme mon état en tout temps. Il n’est pas question que je laisse souffrir mon peuple et que je laisse mon royaume face à un tel désarroi» a déclaré le sultan Ibrahim lors de son discours aux élus de la nation et que l'on peut lire sur sa page officielle Facebook. «Ils ne semblent pas se soucier des gens. Ils sont prêts à aggraver la situation à un moment où les gens sont confrontés à d’importantes difficultés». L’ire royale est à la hauteur de la situation qui règne au sein de l’hémicycle parlementaire. Les partis se déchirent et bloquent la bonne marche des institutions. «Je n’hésiterais pas à dissoudre l’assemblée et j’espère enfin que les habitants de Johor pourront élire des députés soucieux de leur bien-être» a menacé le souverain conforté par l’article 23 de la Constitution qui lui octroie un tel pouvoir de décision. C’est la deuxième fois en moins d’un mois que le roi envoie un tel avertissement aux élus de Johor et exprime sa déception royale. Le 14 mai dernier, il avait déjà appelé le parlement faire preuve de plus d’unité face à la pandémie de Covid-19.
Un avertissement qui semble avoir été entendu par les partis en présence. «Nous exprimons notre attachement au strict respect de la démocratie parlementaire et à la monarchie constitutionnelle, l'épine dorsale de notre État et de notre pays » a déclaré le porte-parole de l’un des puissants partis du sultanat de Johor, le Johor Pakatan Harapan. Dans un mémorandum rendu le lendemain au souverain, les 3 partis représentés au parlement ont juré fidélité à la monarchie et ont fait amende honorable au souverain. Preuve en soi que démocratie et monarchie sont bien les deux mamelles qui constituent la pierre angulaire d’un état parfaitement équilibré.
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