Le Népal face à la tentation royaliste : tensions, enjeux et influences régionales
Le Népal face à la tentation royaliste : tensions, enjeux et influences régionales
Objet d’une guerre d’influence entre la Chine et l’Inde, au centre d’enjeux géostratégiques, le Népal reste divisé sur la question du retour du roi Gyanendra Shah sur son trône. Les tensions persistent entre partisans de la république et de la royauté défunte.
Récemment, le Népal a été secoué par des manifestations d'ampleur inédites en faveur du retour de la monarchie. Le 28 mars 2025, un rassemblement de dizaines de milliers de personnes, organisé à Katmandou, a tourné à la violence, causant la mort de deux personnes et faisant plusieurs centaines de blessés et autant d’arrestations parmi les rangs royalistes. Cette crise politique a révélé des fractures profondes au sein de la société népalaise, exacerbées par l'inefficacité du gouvernement fédéral républicain à endiguer la crise économique et une corruption présente dans tous les échelons de la vie népalaise.
Derrière ces revendications se cache également une lutte d'influence régionale opposant l'Inde et la Chine, toutes deux désireuses de maintenir le Népal sous leur sphère d'influence. Dans ce contexte, le débat sur la réhabilitation de la monarchie n'est plus seulement une question nationale, mais un enjeu géopolitique majeur.
Le massacre royal de 2001 et ses mystères
L'un des événements contemporains les plus marquants de l'histoire monarchique du Népal demeure le régicide du 1er juin 2001, où le prince héritier Dipendra a assassiné la quasi-totalité de sa famille avant de succomber à ses blessures trois jours plus tard. Ce drame a bouleversé la nation et a marqué le début d'une série d'événements qui ont abouti à l'abolition de la monarchie en 2008.
Si la version officielle met en avant un acte commis sous l'emprise de l'alcool et des tensions familiales, de nombreuses théories alternatives circulent encore. S’il apparaît que le fils du roi Birendra aurait également agi sous l’effet de drogues, suite à l’opposition de sa famille à son mariage avec une descendante des Premiers ministres Rana (lesquels ont dirigé le pays héréditairement de 1846 à 1951, avant d’être définitivement renversés à la suite d’une intervention militaire de l’Inde ), certains ont vu derrière cet acte un coup d'État maquillé, voire la main de Gyanendra Shah ( frère du roi Birendra tué lors de la soirée), quand d'autres ont soupçonné une implication de puissances étrangères visant à déstabiliser la monarchie népalaise.
L'accession au pouvoir du roi Gyanendra Shah, un homme d'affaires qui n'était pas initialement destiné à retrouver un trône qu’il avait brièvement occupé (entre 1950 et 1951), a renforcé les soupçons d'une manipulation politique au sein de l’establishment politique népalais, de plus en plus irrité de voir le nouveau monarque reprendre de l’ascendant sur les décisions du gouvernement. Un règne marqué par une gouvernance autoritaire qui ont provoqué des manifestations contre le retour de l’absolutisme (2006). Face à cette dérive absolutiste, le Royaume-Uni et les États-Unis ont décidé de mettre fin à l’approvisionnement d’armes à la monarchie, incapable de mettre fin à une rébellion communistes et maoïstes. L’instauration d'une république a finalement été votée après un accord signé entre le Congrès Népalais (soutien initial de la monarchie) et les rebelles.
Un terrain de jeu pour la rivalité sino-indienne
Le Népal, stratégiquement situé entre l'Inde et la Chine, est un enjeu majeur pour ces deux puissances qui se livrent un guerre d’influence sur les neiges éternelles. Traditionnellement, l'Inde a toujours exercé une influence prépondérante sur la politique népalaise, encore dernièrement en soutenant au départ la transition vers la république. En effet, outre l’aspect culturel et religieux que les deux pays se partagent, Katmandou exporte principalement ses marchandises vers l’Inde. Bien moindre que vers la Chine qui a pourtant accéléré son rapprochement avec le Népal depuis que celui-ci est dirigé par les maoïstes, le communistes et les marxistes-léninistes. Pékin a progressivement gagné du terrain en investissant massivement dans les infrastructures népalaises, ce qui a provoqué une réaction inquiète de New Delhi, prompte à retourner politiquement sa veste afin de protéger ses intérêts.
C’est ainsi que les monarchistes ont reçu un soutien tacite de groupes fondamentalistes indiens, notamment en Uttar Pradesh, où Yogi Adityanath, ministre en chef de la région, est connu pour ses liens avec la monarchie népalaise comme ses liens avec le parti d’extrême-droite BJP du Premier ministre Narendra Modi. Une ingérence qui n’a pas échappé aux observateurs et qui vise à contrer l'expansion chinoise en Népal, à travers un discours identitaire hindouiste. Oublié les principes maoïstes qui affirment que « les frontières correctes de la Chine incluraient la Birmanie, le Bhoutan et le Népal », Pékin semble jouer une autre carte, préférant un Népal stable et neutre, la poussant à soutenir la république, à freiner les velléités monarchistes afin de continuer à également s’assurer du contrôle des frontières tibétaines et stopper toute opposition des partisans du Dalai Lama (souverain théocratique du Tibet renversé en 1959) dont la plupart sont réfugiés au Népal et en Inde.
Le rôle grandissant des royalistes
Depuis la promulgation de la Constitution de 2015, qui a instauré un État fédéral laïc, les royalistes n'ont cessé de gagner du terrain en exploitant la frustration populaire face à de multiples gouvernements incapables de résorber la crise économique. Le Parti Rastriya Prajatantra (RPP), malgré de nombreuses divisions internes et autant de réconciliation entre ses différents leaders bouffis d’égocentrisme, est resté le premier mouvement militant activement pour le retour du roi Gyanendra que le trône. Lequel reste un critique public du gouvernement fédéral et une figure mobilisatrice où chacune de ses apparitions draine des milliers de personnes dans son sillage.
Le discours de l'ancien monarque, le 18 février 2025, appelant à « sauver la nation », a galvanisé ses partisans. Son retour de Pokhara à Katmandou, accueilli par une foule en liesse, a renforcé l'idée d'un soutien populaire à la restauration de la monarchie. Ce climat a abouti aux derniers événements en date qui se sont répétés sur une moindre mesure dans la capitale, depuis sous couvre-feu. Une manifestation marquée par le radicalisme de certains leaders royalistes qui avaient vainement tenté de renverser la République par la rue fin 2023. Fort de leur capacité à rassembler des centaines de milliers de personnes et de leurs diverses expériences gouvernementales depuis la proclamation de la république, les partis royalistes se sont récemment unis sous la bannière du « Mouvement du Peuple ». « Le système politique du Népal est sur le point de changer, monarchie et démocratie n’ont rien d’antinomique », a d’ailleurs rappelé le député RPP et ancien Vice Premier- ministre Rajendra Lingden.
Une instabilité qui fragilise l'avenir du Népal
La question du retour de la monarchie divise cependant la société népalaise. D'un côté, les royalistes exploitent la ferveur religieuse et la déception populaire pour revendiquer un retour à l'ancien régime. De l'autre, la république tente de préserver un système démocratique qui, bien que perfectible, garantit une représentation plus large des communautés marginalisées, notamment les Dalits et les minorités ethniques. « Nous n'avons pas le temps pour des activités antidémocratiques, antisystème et inconstitutionnelles. », a averti le Premier ministre KP Sharma Oli, lui-même objet de critiques acerbes par un de ses prédécesseurs, Pushpa Kamal Dahal. Le tombeur de la monarchie, qui reste une figure influente, accuse l’actuel chef de gouvernement de faiblesse à l’égard des royalistes et du monarque, le suspectant même de collusion avec Gyanendra Shah.
Le tout est désormais de savoir que ce que décidera le Congrès Népalais qui reste le joker permanent de la politique népalaise en étant le premier parti d’opposition népalais. Divisé également sur l’attitude à adopter vis-à-vis du roi Gyanendra (que le gouvernement menace d'arrêter), certains de ses cadres proposent de restaurer la monarchie sous une forme constitutionnelle. Une solution déjà évoquée un an avant la chute de la royauté mais loin de faire l’unanimité pour autant tant ses principaux leaders ne veulent plus entendre parler du souverain déchu.
Dans un contexte régional déjà tendu, marqué par l'instabilité du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka voisins, le Népal risque de plonger dans une crise prolongée si ces tensions ne sont pas rapidement apaisées. L'avenir du pays repose sur sa capacité à trouver un équilibre entre identité nationale, stabilité politique et indépendance vis-à-vis des ingérences indiennes et chinoises, d’écrire un nouveau chapitre de son histoire et de la capacité de ses dirigeants à proposer une alternative crédible aux aspirations contradictoires de sa population.