L'enquête sur la mort mystérieuse de Rama VIII sera t-elle réouverte ?
L'enquête sur la mort mystérieuse de Rama VIII sera t-elle réouverte ?
C'est un mystère qui n'a jamais été résolu. A la demande d'un ancien dirigeant d'entreprise, qui affirme avoir résolu cette énigme dont l'ombre plane au-dessus de la monarchie siamoise, la justice thaïlandaise doit décider si elle autorise la réouverture d'une enquête sur la mort inexpliquée du roi Rama VIII.
Le 6 avril 2024, un tribunal thaïlandais s’est récemment réuni afin d’évaluer une demande de réouverture de l’un des « cold cases » les plus mystérieux et controversés de l'histoire moderne de l’ancien Siam : la mort du roi Ananda Mahidol. Retrouvé mort dans sa chambre en 1946 à l'âge de seulement 20 ans, cette affaire a depuis lors alimenté de nombreuses théories et spéculations.
Un monarque trop jeune pour régner
Ananda Mahidol, également connu sous le nom de Rama VIII, est né le 20 septembre 1925 à Heidelberg, en Allemagne, fils du roi Mahidol Adulyadej (1892-1929) et de la princesse Srinagarindra, née Sangwan Talapat (1900-1995). Premier prince de Thaïlande à être né en Europe, il grandit au sein d’une famille très protectrice. En 1933, après l'abdication de son oncle, le roi Prajadhipok (Rama VII), chassé par une révolution qui a mis fin à la monarchie absolue, Ananda est couronné souverain constitutionnel à l'âge de neuf ans. Trop jeune pour exercer ses fonctions, une régence est installée sous le contrôle de l’armée. Envoyé en Suisse pour poursuivre ses études, il faut attendre 1938 avant de revoir le jeune souverain. La monarchie est alors sous la coupe du maréchal Plaek Phibunsongkhram qui s’est empressé de signer une alliance avec le Japon. Rama VII se retrouve alorsau cœur des arcanes du pouvoir, assiste aux luttes qui opposent partisans du Soleil Levant (lequel occupe le pays dès 1942) et ceux qui soutiennent les Alliés (le Seri Thai [mouvement des Thaïs libres-ndlr] va mettre en place des actions contre le régime collaborateur avec l’aide des Américains et des Britanniques).
Un souverain qui n'a pas marqué Lord Louis Mountbatten
Le royaume libéré en 1945, le maréchal Plaek Phibunsongkhram renversé, Rama VII (qui a été exfiltré peu de temps après son premier retour) peut enfin revenir en Thaïlande, acclamé. En janvier 1946, il rencontre alors Louis Mountbatten qui s’apprête à prendre la vice-royauté des Indes. L’oncle préféré du roi Charles III n’est guère impressionné par le souverain thaïlandais et se fend de mots très durs à son égard. Il le décrit comme « un garçon effrayé et myope, ses épaules tombantes et sa poitrine fine ornée de magnifiques décorations serties de diamants, une silhouette pathétique et solitaire ». « Il était tellement nerveux que j’ai dû me rapprocher de lui pour le soutenir au cas où il s'évanouirait » ajoutera-t-il. Ce sera la seule rencontre entre le monarque et Lord Louis Mountbatten. Aucun des deux ne le sait encore, mais à quelques années d’écart, ils vont être chacun les victimes d’un destin tragique.
Le roi est mort, vive le roi !
Le 9 juin 1946, le Grand Palais est soudainement envahi par les cris de Chit Singhaseni, page de Rama VIII. Il est 9h20 lorsqu'il découvre le corps du monarque, une balle dans la tête, gisant sur le sol. Il entre dans les appartements de la princesse Srinagarindra qui se décompose à l’annonce de la nouvelle. Elle se précipite dans la chambre de son fils et constate l’inéluctable. Décision est prise de communiquer sur le décès en édulcorant la vérité. Le souverain s’est mortellement blessé en jouant avec son arme à feu. Le royaume entre en deuil et suit du regard du nouveau souverain, impassible, le roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), frère du défunt. Très vite, des rumeurs se répandent à Bangkok et on parle ouvertement d’un assassinat. La monarchie décide de couper court aux différentes théories qui s’installent et monte à la hâte une commission d’enquête qui conclut étrangement que la mort du roi ne semble pas naturelle, mais qu’il est impossible de prouver son origine.
Un mort mystérieuse qui n'a jamais été résolue
En novembre 1947, le maréchal Plaek Phibunsongkhram s’empare du pouvoir et renverse le gouvernement d’extrême-gauche de Pridi Banomyong qui avait remporté les élections législatives. A peine réinstallé à son bureau que ce dernier ordonne la réouverture de l’enquête. Une nouvelle commission conclut rapidement à un assassinat organisé par les pages du roi (dont Chit Singhaseni) et par son propre secrétaire. Ils seront condamnés à mort et exécutés en 1955 sans que la moindre preuve n’ait pu réellement étayer leur implication. La mort du roi Rama VIII (incinéré en 1950) continue encore aujourd’hui d’être une énigme non résolue. Diverses hypothèses ont été avancées comme un régicide perpétré par le roi Rama IX (qui avait vu son frère vingt minutes avant sa mort), un meurtre organisé par le Premier ministre Pridi Banomyong (qui ne cachait pas son républicanisme et son adhésion au communisme. Il sera a définitivement disculpé de toutes accusations en 1983) selon les affirmations du Parti Démocrate (PD), un complot nébuleux mené par Masanobu Tsuji, un ancien officier japonais, un réel suicide du roi alors empêché d’épouser une jeune Suissesse dont il était tombé éperdument amoureux… Autant de thèses qui foisonnent de nombreux arguments, mais qui ne font pas consensus comme la douzaine de livres écrits sur le sujet.
Au nom du père et du roi
C'est la première tentative directe de relancer l'enquête par le biais d’une décision de justice. La pétition a été déposée par Kungwal Buddhivanid, un ancien dirigeant d'entreprise et chimiste de formation âgé de 62 ans. En 2020, il a publié un livre remettant en question l'explication officielle du décès du roi, soutenant l'hypothèse du suicide plutôt que de l'assassinat. Il a affirmé au tribunal être en mesure de prouver que l'arme retrouvée à côté du corps du roi était celle qui l'avait tué, contrairement aux conclusions initiales des enquêteurs. Kungwal a déclaré au tribunal que "les anciens verdicts rejetaient l'idée d'un suicide et disaient qu'il s'agissait d'un régicide", mais ses nouvelles preuves, issues de tests balistiques menés en collaboration avec un expert légiste à la retraite, pourraient changer la donne.
La demande de réouverture du dossier, déposée par Kungwal au nom des proches de l'un des fonctionnaires du palais exécutés, Chit Singhaseni, est maintenant entre les mains des juges. Une décision quant à la suite à donner sera prise par la cour d'appel. Watsatarn Kittipinyo, la petite-fille de Chit, a exprimé ses modestes espoirs à l'issue des audiences. Elle aspire principalement à ce que le nom de son grand-père soit lavé de toute accusation injuste et qu'une lumière puisse être enfin jetée sur cette affaire vieille de plusieurs décennies.