« Que cela me plaise ou non, je suis lié à l'histoire presque millénaire d'une dynastie qui a contribué à construire ce pays»
Prince Georg Friedrich von Preußen, 2018
«On l'a perdue cette guerre, c'est difficile de la commémorer». Cet aveu même de la bouche de l’historien, Gerd Krumeich, au journal « Le Figaro » résume à lui seul tout ce que pensent les allemands de ces commémorations organisées dans le cadre du centenaire de l’armistice, signé le 11 novembre 1918. D’ailleurs de la fin de la première guerre mondiale Berlin ne retient que l’abdication du Kaiser (empereur) Guillaume II et la proclamation de la république. Cette date « marque non seulement la fin de la monarchie, mais reste également étroitement liée à la fin de la Première Guerre mondiale. Avec ma famille, je réfléchis depuis longtemps à la manière de faire face à cette date » déclarait, il y a peu, au « Frankfuter Allgemeine », le prince Georg Friedrich von Preußen, actuel héritier au trône impérial. Et qui préfère éluder le sujet dans un certain malaise perceptible.
A 42 ans, le chef de la maison impériale des Hohenzollern porte un regard sans nostalgie sur les événements qui ont précipité la monarchie d’une dynastie dont l’histoire a été étroitement liée à la construction de l’unité d’une nation divisée entre catholiques au Sud et protestants au Nord. Il s‘est récemment installé à Postdam, dans le land du Brandebourg. Tout un symbole pour le prince et sa famille de 4 enfants. Près de sa résidence, le palais de Sans-souci, la demeure du roi de Prusse, Frédéric le Grand. Le modèle du Kaiser Guillaume II durant tout son règne.
Débuté le 15 juin 1888, il n’excédera pas 30 ans, 4 mois, 25 jours. A Spa, en Belgique, l’empereur qui aimait tant les uniformes rutilants et chatoyants ne peut que regarder le dernier chapitre de sa vie, s’écrire sur une lettre d’abdication qu’il hésite à signer. Il a perdu de sa splendeur, l’aigle noir s’est déplumé, sa chère Reichmarine s’est soulevée, des Conseils ouvriers se sont formés un peu partout dans les grandes villes de son empire qui chancelle doucement. Ce 9 novembre 1918, le Kaiser perçoit l’avenir avec inquiétudes. Tout autour de lui les royaumes, principautés, duchés, grand-duché, tombent les uns après les autres. Autour de lui, ses officiers sont divisés sur la stratégie à adopter face à cette situation inédite que, pourtant, l’Allemagne elle-même avait contribué à créer un an auparavant à Petrograd, en Russie. Le Maréchal Paul von Hindenburg le presse de se retirer, le visage fermé tant il est difficile pour cet aristocrate bismarckien d’exiger cela de son empereur. Guillaume II croit encore possible de reconquérir son trône. « Les généraux les plus haut gradés l’ont tenu à l’écart de certaines nouvelles. L’empereur n’était pas au courant de ce qui se passait sur le terrain, et encore moins dans les rues. Les informations lui arrivaient au compte-goutte. Les généraux l’épargnaient. Il était émotionnellement fragile et était affecté quand une nouvelle venant du front ou de l’intérieur du pays était négative » explique l’historien David Houbrechts, interviewé par la RTBF. Même le chancelier Maximilien de Bade, qui avait rencontré peu de temps avant Freidrich Ebert, chef du parti social-démocrate, prie « sa majesté de sauver par l’abdication une situation désespérée».
A 14h, Guillaume II finit par renoncer au trône impérial mais pas celui de Prusse dont il estime être toujours le dirigeant. Peine perdue, le Kaiser doit prendre le chemin d’un départ sans retour possible, vers Huis Doorn, aux Pays-Bas. Ce n’est que le 29 novembre, qu’il signera sa renonciation à la couronne de Prusse, premier état d’une confédération qui se voulait l’égale du Saint-empire romain germanique. Le dernier des Hohenzollern, qui va vivre entre espoirs et résignations de recouvrer le trône de ses ancêtres, s’éteindra en 1941 entre tous ses souvenirs.
Un siècle plus tard, une virgule sur une échelle chronologique, les allemands souhaitent –ils le retour de la monarchie ?
Selon un dernier sondage daté de mai dernier, 77% d’entre –eux ont un avis négatif sur ce sujet, à peine 19% sont en faveur du retour du régime monarchique. Et si tant est que ce soit le cas, l’option constitutionnelle est d’ores et déjà écartée. En Allemagne, il parait inconcevable que le Kaiser ne règne pas par lui-même. Exceptés pour 39% des sondés qui estiment que cela l’absolutisme a fait son temps et qu’une monarchie constitutionnelle est la plus adéquate en ce XXIème siècle. Même parmi les partis politiques, la question divise profondément. Les adhérents de la CDU/CSU (50%) et du FDP (48%) sont parmi ceux qui adhèrent le plus au principe de monarchie constitutionnelle. On est plus radical du côté des partisans de l’AfD (64%) et des partis de gauche comme le SPD /Verts (61%) qui quant à eux, déclarent assez directement que « toutes les monarchies devraient être abolies en Europe ».
Les chances de restauration d’une monarchie en Allemagne sont minces. Le prince Georg Friedrich von Preußen en est d’ailleurs bien conscient et avoue volontiers « qu'il n'est pas intéressé par la politique, préférant voir son rôle comme quelque chose de plus culturel, se considérant comme le gardien d’une histoire glorieuse et des traditions ». Il reste fier de porter le nom de Hohenzollern et l’assume : « Que cela me plaise ou non, je suis lié à l'histoire presque millénaire d'une dynastie qui a contribué à construire ce pays ». «Il incombe donc au chef de cette maison, que je suis, de préserver notre patrimoine et de le présenter d’une manière contemporaine ».
« Il n y a pas lieu de débattre d’un retour de la monarchie en Allemagne. J'ai grandi en République fédérale et j'apprécie les droits et libertés que ce système m'accorde. Mes ancêtres ne pouvaient pas se déplacer aussi librement que moi à une époque » ajoute-t-il. Sans craindre de décevoir ses partisans.
Il a vécu dans l’ombre de Guillaume II. Il n’entend pas minimiser les actes du Kaiser dans le conflit mondial, mais quelques soient les interviews qu’il accorde, le prince Georg Friedrich von Preußen préfère s’attarder sur la résistance de sa famille contre le régime nazi, « qui aurait prostitué sa maison à ses propres fins » déclare-t-il au « Frankfuter Allgemeine ». Le 8 novembre, est aussi le « jour du destin » dans son pays. Car si on fête la proclamation de la république, on se souvient aussi que le 9 novembre 1923, un caporal autrichien sous uniforme bavarois, Adolf Hitler, tenta son coup d’état (dit de la Brasserie) ou encore en 1938, quand les nazis déclenchèrent la fameuse nuit de cristal contre les juifs. Il n’a pas tort. «Comment peut-on qualifier nos soldats de héros ? C'est impossible. Les valeurs patriotiques et héroïques ont été volées par Hitler, toute commémoration serait ainsi associée à quelque chose de nationaliste», déclare Isabelle Bourgeois, animatrice du site Tandem Europe qui fait écho à l’analyse du prince. A cette époque, « mon grand-père Louis Ferdinand et son père, le prince héritier Wilhelm, ont maintenu des liens étroits avec la résistance politique dans le but évident de restaurer la monarchie en Allemagne » précise-t-il toutefois au Stuttgarter Zeitung.
Le prince a été formé pour devenir le chef de la maison impérial. Etudes aux Lycées de Brême et d’Oldenbourg avant de les parachever en Ecosse. Gradé Major dans la 10ème division de chasseurs après deux ans de service militaire, il reprendra des études d’économie à l’école des mines de Freiberg.
Aujourd’hui, le prince Georg Friedrich von Preußen s’est engagé en faveur de la sauvegarde de la famille. Pour lui, les choses sont simples : « Sans famille, il n'y a pas d'histoire, pas de fond, pas d'avenir » affirme-t-il au Maz-online. « Les changements sociaux s'accélèrent de plus en plus et si nous nous concentrions tous davantage sur le fondement de nos familles, de nombreux problèmes du monde pourraient peut-être être résolus par eux-mêmes » surenchérit ce conservateur assumé.
Exploitant agricole, brasseur de bière, il possède encore les deux tiers du Château des Hohenzollern, une vitrine de sa famille avec laquelle on ne badine pas. Si le prince est jugé proche de la CDU, en revanche, les idées de l’AfD l’irritent assez. Lorsque le parti d’extrême-droite avait utilisé pour ses besoins électoraux le château, le prince n’avait pas hésité à porter l’affaire devant les tribunaux. « Je n’aspire à aucun rôle politique (…) mais lorsque je constate que les néo-nazis utilisent des symboles comme l’aigle de ma famille, je n’hésite pas à prendre position ». « Il est important pour moi de rappeler à tous ce que le nom de ma famille signifie ! » martèle-t-il fièrement en guise de conclusion.
Le centenaire de l’armistice ? Un jour comme les autres pour les Hohenzollern.
Frederic de Natal
Paru le 15/11/2018