Grâce divine et royale, homosexualité, folie ou génie, il n'y a guère eu de monarques avec autant de différents visages et d’ambiguïté dans l’histoire de l’Europe que le roi Louis II von Wittelsbach. Pour le 175ème anniversaire de sa naissance, le 25 août 1845, la Bavière a décidé de rendre hommage à un des souverains le plus énigmatique du XIXème siècle et dont la figure rassemble encore aujourd’hui un large panel de personnes, des ultra-monarchistes aux membres de la communauté homosexuelle en passant par les indépendantistes bavarois. Retour sur la vie de ce Lohengrin contemporain qui fait toujours l’objet d’un mythe survivantiste.
Le « Kini », toujours autant vénéré en Bavière par les partisans de la monarchie, a placé son royaume au centre de l’Europe grâce à sa passion des châteaux et de la musique. Né en 1845, Louis II de Bavière est certainement le personnage le plus fantasque d’une famille couronnée en 1806 par la volonté de Napoléon Ier. Amoureux des arts, les Wittelsbach vont transformer leur état et faire de ce royaume, un pays où la culture, la religion et le patrimoine seront parties intégrantes de l’identité bavaroise. Neuschwanstein, Hohenschwangau, Herrenchiemsee ou encore Linderhof sont autant de noms de châteaux associés au roi Louis II, indubitablement l’un des monarques le plus romantique et surréaliste de son temps. Il passe son enfance au château de Hohenschwangau, s’imaginant en Lohengrin, ce chevalier au cygne représenté sous les voûtes bleues claires, roses et pêches d’un palais où tout prête aux rêves. C’est ici encore, adolescent, qu’il se plonge dans l’étude de l’antiquité grecque, vogue de son temps, et qu’il se jure de faire revivre ce mythe germanique qui le passionne tant. Et si sa chevelure brune et bouclée, qui lui tombe sur la nuque avec nonchalance, cache mal ces premiers atermoiements qu’il s’efforce de rejeter autant qu’il peut par conviction catholique, c’est à la mort de son père que Louis II monte sur son trône, en 1864.
Fasciné par la monarchie française, tout comme son homonyme, le roi-Soleil, Louis aime se grimer et se costumer. Le jeune souverain est source d’espoirs pour un état qui est fier d’avoir participé à la construction du Saint-Empire Romain germanique et dont la famille a occupé le trône de 1328 à 1347. Mais la politique ennuie ce prince qui a été incompris de ses parents et dont la relation a été marquée par une certaine froideur qui ne laissait pas de place aux fantasmes de Louis. Il laisse son ami et confident, le comte Maximilien von Holnstein conduire les « fadaises » de la Bavière. Les mauvaises langues affirmeront même que ce propriétaire terrien passe un peu trop de temps dans la chambre du roi. Même ses fiançailles avec sa cousine Sophie sont un désastre. Conquise par la beauté du monarque, elle s’aperçoit rapidement que celui-ci est instable et ne cesse de l’appeler par des prénoms qu'il a pioché dans la mythologie chevaleresque allemande. Lorsque leur amourette cesse en 1867, un brin misogyne, Louis notera dans son journal : (…) Dieu soit loué, cette chose affreuse ne s’est pas produite ». Tout est dit pour le souverain qui retourne à ses rêveries. Sa relation tumultueuse avec le compositeur Richard Wagner, dont il sera le principal mécène, mécontente la cour qui reproche au musicien de vivre comme « un prince russe qui ne regarde pas les dépenses et qui n’a aucun sou en poche ». Ce drôle de couple à trois, incluant la belle Cosima Liszt von Bülow, amante (et plus tard épouse) du compositeur, agace le gouvernement bavarois qui met en garde Louis II . Il doit se séparer la mort dans l’âme de Wagner. « Je n’aime pas les femmes, je n’aime pas mes parents, c’est vous que j’aime » télégraphie Louis à Richard? quelques heures avant son départ de Bavière. Avant de succomber dans les bras d’un de ses écuyers Richard Hornig qui lui rappelle le « visage classique d’Antinoüs ». Une homosexualité non assumée, contrariée et cachée derrière les vertus moralisatrices d’une religion qui fait aujourd’hui de Louis II une véritable icône LGBT.
Tout à ses songes et à son âme torturée, Louis II songe à abdiquer comme son grand-père qui en 1848 a décidé de lâcher sa couronne pour les dessous de Lola Montés. Avant de se raviser. Même sur le champ de bataille, il sait éblouir ses officiers. Lors de la guerre Austro-prussienne de 1866, un crève-cœur pour ce francophile, il se pavane dans un uniforme d’un bleu éclatant, recouvert d’un vaste manteau noir tel un chevalier du Graal. « L’esprit des ténèbres règne partout » se plaint –il à son état-major à qui il ne pose aucune question sur le déroulement des opérations. « Je ne vois que mensonges et trahisons partout » déplore le roi qui craint que la Prusse ne finisse par annexer, un jour, son royaume de conte de fées. Le roi sombre dans la dépression, les crises de larmes et partage ses peurs à la seule femme qu’il aura aimé de toute sa vie, sa cousine Elizabeth d’Autriche, la fameuse « Sissi ». Louis II construit toujours plus grand, plus beau, plus important sous l’œil mitigé de ses sujets qui le critiquent autant qu’ils adorent leur König. Linderhof sera le summum de son amour pour ces Bourbons qui sont sa marotte, pour la France qui l’a invité à participer à l‘exposition universelle organisée par Napoléon III. Dernier chapitre d’une vie que le destin va se charger d’abréger à l’image de ce souverain, mystérieuse.
Louis II a changé. Il fait les questions et les réponses à ses interlocuteurs. Il a furieusement grossi, porte une barbe et montre des signes constants de nervosité. Les rumeurs de canon se font déjà entendre au loin et le roi entend soutenir ses troupes autrement que par le piano. Les événements s’accélèrent. Prise au piège par la diplomatie du chancelier von Bismarck , la France déclare la guerre à la Prusse. La Bavière se joint à ses ennemis pour combattre ses amis. Louis II ne cesse de pleurer et félicite étrangement ses cousins pour leur victoire à Sedan, en septembre 1870. « Puisqu’il n’existe plus ni Empire, ni République, ni Fédération allemande et géographique, je désire que les édifices gouvernementaux n’arborent que les drapeaux bavarois ou mieux encore aucun » ordonne Louis II. Si l’historien Jacques de Bainville saluera cette initiative, dernier geste d’indépendance du souverain, derrière cette demande, un complot est déjà à l’œuvre pour mettre fin au règne de Louis II qui refuse de participer à la cérémonie de proclamation du Reich dans la galerie des Glaces de Versailles. « Ce misérable empire me dégoûte et empoisonne mon existence » avoue t-il à ses proches, reprochant à la Prusse d’avoir fait de lui son vassal. D’ailleurs, il va entreprendre deux voyages en France soulevant les protestations des casques à pointe bien obligés de le laisser faire sa visite privée en compagnie de son Alcibiade et de ses fantômes walkyriens. A presque quarante ans, Louis II joue les « sugar-daddys » avec un jeune acteur qui a la « beauté du diable », Joseph Kainz. Un amour passionné qui sera destructeur pour le souverain qui multiplie les favoris par la suite. Y compris au sein de son gouvernement.
Le roi a vidé le trésor public, son état est dirigé par un cabinet pro-prussien mais son aura demeure intacte auprès des bavarois. Le 9 juin 1886, c’est une véritable tragédie qui va se jouer au château de Neuschwanstein. Une fois de plus, il est déprimé et en compagnie de son amant, le chevau-léger Alphonse Welcker. Sous des centaines de chandelles allumées, il parcourt les couloirs de son château, déclamant des vers quand une délégation officielle fait son apparition. Parmi lesquels, le docteur von Gudden qui a conclu à la folie du roi après que le prince Léopold, oncle du roi, ait commandité une expertise médicale du souverain. La foule s’amasse aux abords du château , veut protéger le roi qui ne comprend pas ce qui se passe. « Une trahison, impossible » crie le roi, réveillé. La baronne Truchsess, qui a compris, que l’on est venu arrêter son Lohengrin, se précipite dans les appartements de Louis. Reprenant ses esprits, c’est un drame shakespearien qui se joue en quelques heures. Contrainte de rebrousser chemin, la délégation revient tout aussi rapidement. Si le roi consent à recevoir Gudden, il ironise : « comment pouvez-vous déclarer que ma raison est atteinte puisque vous ne m’avez jamais examiné ». Le médecin lui répond du tac au tac : « Un examen n’est pas nécessaire, les documents dont nous disposons sont accablants.». Louis II se laisse finalement conduire, calmement, hagard, au château de Berg. Sa dernière demeure. C’est ici, près du lac de Starnberg, que son corps sera repêché avec celui du docteur Gudden, le 13 juin 1886. Une mort mystérieuse qui demeure toujours inexpliquée et qui fait l’objet de diverses théories. Lorsqu’elle apprend la mort de son cousin, l’impératrice Elizabeth s’effondre sur le sol, devant ses dames de compagnies. « Louis n’était pas fou, c’était seulement un original perdu dans ses rêves. S’il avait été traité avec plus de ménagements, une fin aussi tragique aurait pu être évitée » crie Sissi. Louis II est entré dans la légende et l’histoire que va magnifier sur les écrans, un certain Luchino Visconti.
Le 25 août prochain, la Bavière va rendre hommage à son roi, der König Ludwig II. Divers spectacles de sons et lumières seront organisés, dont un mis en scène par l’artiste Theresa Mar, dans les principales villes de ce land allemand. Un monument devrait être inauguré (et d’autres seront restaurés) en présence des membres de la maison royale de Bavière dont le règne s’est brutalement arrêté en 1918. C’est à un « visionnaire, un maniaque des nouvelles technologies et un prince de la paix » que nous rendrons hommage a déclaré le ministre bavarois de la culture. Chaque année, les monarchistes se rassemblent près du lac où est plantée une croix, rappelant à tous l’endroit où est mort le roi. Crise du coronavirus oblige, les habituelles cérémonies ont été annulées. « La Bavière ne serait pas ce qu’elle est sans Louis II » avoue Stefan Jetz qui dirige une association royaliste et qui est persuadé que le « Kini » a été la victime d’un coup d’état orchestré au sein de sa famille avec l’aide de Hohenzollern. La Bavière veut-elle le retour de sa monarchie ? 14% des Bavarois répondent par l’affirmative à cette question selon récent un sondage. Entre devoir de mémoire et fidélité à la maison royale, un mythe continue d’être transmis de générations en générations en Bavière. Il est dit que Louis II, chaque année lors de la Saint-Louis, ferait son apparition, « le regard triste, cheveux blancs de neige et longue barbe, marchant le long de la chaussée ». Au premier passant, il poserait une seule question : « La Bavière est-elle encore aux Prussiens ? ». La réponse attendue étant trop décevante pour le roi, celui-ci « pencherait alors la tête et rebrousserait chemin pour se rendormir dans son caveau ».
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