L’onde de choc a secoué l’Allemagne. Les images de manifestants tentant de pénétrer dans le Bundestag, il y a 6 jours, après avoir forcé le barrage de police, ont tourné en boucle sur les chaînes de télévisions allemandes et internationales. Si divers membres du gouvernement et de l’opposition ont dénoncé une « atteinte à la démocratie », c’est la question de l’utilisation du drapeau du Reich comme symbole de contestation qui a frappé les esprits. Et créé la confusion chez certains journalistes qui ont crié haro aux néo-nazis. Le 1er septembre dernier, le chef de la maison impériale d’Allemagne, le prince Georg Friedrich von Preußen, est sorti de sa réserve et a pris officiellement position dans cette affaire.
Une des plus importantes manifestations anti-gouvernementales à laquelle Angela Merkel a dû faire face alors qu’elle achève son dernier mandat comme chancelière d’Allemagne. Plus de 40 000 personnes ont défilé à Berlin afin de protester contre l’obligation de porter le masque anti-coronavirus et les restrictions qui en découlent. Des affrontements en marge de la manifestation ont conduit la Deutsch Polizei à interpeller 300 personnes et mettre en place un barrage afin de protéger le Bundestag alors qu’un petit groupe s’était détaché de la manifestation. 2000 personnes se dirigeant vers ce haut-lieu du pouvoir. Le temps de quelques heures, Berlin a retenu son souffle et a presque revécu les événements français du « 6 février 1934 ». Ce jour–là, les ligues patriotes, antisémites d’extrême-droite, d’anciens combattants et monarchistes s’étaient rassemblés devant le palais Bourbon, à Paris, afin de renverser la République qui n’en finissait pas de multiplier les scandales de corruption les uns après les autres. Parmi les manifestants berlinois qui ont réussi à forcer le cordon de protection levé autour du parlement, certains brandissaient des drapeaux du Reich impérial comme symbole d’opposition à la République fédérale.
« Les drapeaux de l'empire devant le parlement sont une honte » s’est irrité le ministre (SPD) des Affaires étrangères Heiko Maas. C’est en 1866 que le drapeau tricolore à bandes horizontales noires, blanches et rouges a été hissé la première fois dans la nouvelle Confédération d’Allemagne du Nord avant de devenir, 5 ans après le drapeau officiel du Reich proclamé dans la galerie des Glaces de Versailles. Un choix personnel du Kaiser Guillaume Ier. La maison impériale des Hohenzollern va diriger l’Allemagne jusqu’à sa chute en 1918 Le drapeau impérial va se confronter à celui de la nouvelle République de Weimar et devient rapidement la référence des mouvements monarchistes ou nationalistes. Le parti social-nationaliste (nazi) émergeant n’hésite pas à le brandir lors de ses meetings pour galvaniser ses chemises brunes qui ne vont pas tarder à se répandre dans toute l’Allemagne et s’emparer du pouvoir par la voies des urnes, en 1933. Aujourd’hui encore, il est un emblème utilisé par ces mêmes mouvements qui ont refait surface après la réunification de l'Allemagne, fin 1989.
« Les drapeaux du Reich (...) devant le Bundestag allemand sont une attaque insupportable contre le cœur de notre démocratie. Nous n'accepterons jamais cela » a déclaré le président fédéral Frank-Walter Steinmeie.avant d’être rejoint par le candidat social-démocrate à la chancellerie, Olaf Scholz, qui s’est fendu également d’un tweet. « Les drapeaux du Kaiserreich (...) n'avaient absolument rien à faire devant le Bundestag allemand » a affirmé le double vice-chancelier et ministre des Finances. Nombre d’élus du Bundestag, rebaptisé Reichstag par la presse internationale, ont d’ailleurs dénoncé un complot nationaliste, une tentative de prise de pouvoir par la mouvance monarchiste ou même une tentative de coup d’état par l’extrême-droite. Il n’en a pas fallu peu pour que les médias français parlent carrément de néo-nazis aux abords du parlement fédéral. « Ce qui m'inquiète vraiment, c'est que le drapeau arc-en-ciel, le drapeau de la liberté, de la loi, de l'émancipation du mouvement gay, soit hissé à côté du drapeau du Reich et des symboles nazis - vous vous demandez alors ce que vous êtes en train de vivre à ce moment-là ? « a renchéri le ministre (CDU) fédéral de la Santé, Jens Spahn. Un mélange des genres qui a fait réagir le chef de la maison impériale, le prince Georg Friedrich von Preußen, de sa réserve.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l'arrière-arrière-petit-fils de l'empereur Guillaume II est en colère. Georg Friedrich de Prusse a publiquement critiqué les manifestations devant le Reichstag et l’utilisation des insignes de l'Empire allemand à des fins idéologiques. Dans une interview au « Neue Osnabrücker Zeitung », il a rappelé que depuis des années, il faisait « campagne et veillait à ce que l’histoire allemande soit étudiée de manière neutre, y compris ses côtés sombres, sans que pour autant elle soit instrumentalisée politiquement ». Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le prince impérial monte au créneau. En 2017, il avait interdit au parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) d’utiliser le Burg Hohenzollern, l’imposante forteresse médiévale de sa famille, sur ses affiches de campagne, n’hésitant pas aller jusqu’au tribunal pour obtenir gain de cause. Une affaire qui tombe mal pour l’héritier à la couronne qui poursuit l’état fédéral allemand, accusé d’avoir saisi et nationalisé les biens et objets des Hohenzollern après 1945. Georg Friedrich de Prusse tente, tant bien que mal, à faire disparaître toute trace de collaboration des membres de sa famille avec le parti d’Adof Hitler, notamment durant l’Entre-deux-guerres.
La déclaration du prince impérial a surpris les monarchistes et les nationalistes. Notamment ceux du mouvement hétéroclite « Citoyens du Reich » (Reichsbürgerbewegung), un mouvement interdit depuis mars et qui rassemble des néonazis, nostalgiques du Kaiser, théoriciens du complot et autre négationnistes qui ne reconnaissent pas la République actuelle. « Nous, les citoyens, rappelons ensemble à notre roi de Prusse, Son Altesse Royale le prince Georg Friedrich von Hohenzollern, qui est l'empereur Allemagne » ont affirmé les militants du mouvement « Citoyens du Reich en guise d’avertissement et qui semblent être prêts à se passer de sa personne. Une menace dont a cure le prince héritier qui a tenu formellement à distancier les Hohenzollern de cette tentative de prise de contrôle du Bundestag. « Les événements du week-end dernier ont malheureusement montré les conséquences d'un manque de conscience historique » a déploré le prince Georg Friedrich von Preußen.
« Nous devons rappeler nos empereurs » ou « Le Reich se réveille ». Des slogans vus dans la manifestation et brandis par de nombreux partisans du retour de la monarchie qui avaient même accroché à leurs cous le Reichsflagge floqué de son aigle impérial. Très actif durant l’entre-deux-guerres, manquant de restaurer la monarchie à diverses reprises soit par le biais d’un vote (grâce aux actions du Deutschnationale Volkspartei ) soit par un putsch (le plus notable étant celui de Wolgang Kapp en 1920), il décline après 1945. Il faut attendre la fin du communisme pour qu’il retrouve un second souffle porté par le prince Louis-Ferdinand de Hohenzollern, un résistant au nazisme. Certains députés suggéreront d’ailleurs de le mettre au pouvoir avant que le « complot » ne soit éventé par le quotidien « Die Spiegel ». Il existe de nombreuses associations et mouvement monarchistes en Allemagne y compris sur le plan régional. L’idée monarchique n’est pourtant plus portée au parlement depuis les années soixante-dix. Selon un sondage de 2016, seuls 16% des allemands souhaitent le retour du Kaiser sur son trône. Les plus enclins à soutenir ce projet étant les jeunes entre 14 et 25 ans avec 14% des personnes interrogées et les femmes avec 48% contre 24% chez les hommes.
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