«Les allemands sont nostalgiques de leur monarchie mais ne ressentent pas le besoin de rappeler le Kaiser ». C’est le titre de l’article paru en mars dernier dans le journal néerlandais «De Volkskrant». Depuis l’effondrement de l’empire allemand en 1918, les chances de restauration de la monarchie n’ont cessé de fondre comme neige au soleil selon le journal qui s’attarde sur la figure du prince Georges-Frédéric de Prusse.
Il a 42 ans, il est prétendant à la double couronne de Prusse et d’Allemagne. Né Hohenzollern, le prince George-Frédéric de Prusse est facétieux. Invité au Deutsche Parlamentarische Gesellschaft (DPG), une association non partisane qui réunit les députés du Bundestag, l’arrière-petit-fils du Kaiser Guillaume II ose une plaisanterie sous le regard hilare de ses interlocuteurs, jurant de ne de pas se comporter en « non républicain » dans le palais présidentiel du Reichstag. C’est ici depuis le balcon de ce bâtiment austère que le social-démocrate Philipp Scheidemann a proclamé la république sur les ruines d’une monarchie emportée par les affres de la défaite alors que la première guerre mondiale prenait doucement fin, en novembre 1918.
Le prince héritier, père de 4 enfants nés entre 2013 et 2016, est l’objet de toutes les attentions. Ce n’est pas la première fois que le prétendant rencontre des membres du parlement. Son nom est autant le symbole de l’histoire d’une nation qu’il fascine encore le continent entier auquel il est étroitement associé.
Le prince est proche de la CDU-CSU, le parti de la chancelière Angela Merkel et dans un pays encore marqué par l’idéologie nazie qui a ravagé l’€urope durant toute la moitié du XXième siècle, il n’a pas hésité à prendre position contre l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Cette dernière avait osé utiliser l’image de « son château », pour ses affiches de propagande, censée symboliser les « vertus de la grande Allemagne » (2016). Georges-Frédéric de Prusse n’entend pas renouveler les erreurs du Kronprinz Guillaume qui a été mystifié et abusé par les sirènes d’Adolf Hitler, qui une fois au pouvoir renvoya aux calendes grecques tout espoir de restauration de la monarchie qu’il avait vendu aux Hohenzollern afin de les rallier à sa cause. La comparaison est osée, mais pas pour ce diplômé en économie qui ne cache guère qu’il ne voit pas la différence entre les deux mouvements qui, hier comme aujourd’hui, utilisent aussi le drapeau impérial comme signe de ralliement.
L’affiche incriminée avait pourtant connue, malgré elle, un succès considérable, volée la plupart du temps par des nostalgiques de l’empire et le prince d’être débouté de sa demande de retrait devant les tribunaux. Beau joueur, l’AfD avait décidé de ne pas ré-imprimer les affiches afin de ne pas gêner celui qui aurait dû monter sur le trône si l’histoire n’en avait pas décidé autrement. Parmi les élus de la république qui virevolte autour du prince impérial qui ne se lasse pas de raconter anecdotes sur anecdotes sur les différents membres défunts de sa maison, un député se risque à dire qu’après tout, eux-mêmes « sont des monarchistes qui ont fini dans une république ». Tout est dans l’antagonisme chez les allemands qui ne sont plus qu’entre 16 et 19% à souhaiter le retour du Kaiser sur son trône. A peine 1 allemand sur 5 et sans partis politiques probants (le dernier ayant décidé se fondre dans la droite conservatrice actuelle, dans les années soixante), il est peu probable que le prince Georges –Frédéric soit rappelé sur le trône de ses ancêtres.
D’ailleurs souhaite-t-il régner ? Pas vraiment ! Il préfère se contenter du rôle de mémoire dont il est le gardien, participe à des commémorations comme la quasi majorité des mouvements qui le soutiennent (Tradtion und Lebun, Bund aufrechter Monarchisten) et refuse systématiquement de commenter la politique allemande. « Ma famille n'a aucune responsabilité politique dans le pays et je ne veux pas en assumer. Nous avons juste une responsabilité culturelle » déclarait–il en 2017 au Stuttgarter. En 1969, on avait songé à faire de son grand-père Louis –Ferdinand de Prusse (1907-1994), un président allemand (40% étaient favorables à cette idée dans une enquête publié par le magazine Bild). Le résistant était alors très populaire dans une Allemagne divisée par la « guerre froide » symbolisée par le mur de Berlin.
Le Kaiser responsable de la chute de l’Allemagne comme il fut longtemps accusé par ses anciens sujets ? Georges-Frédéric de Prusse n’aime pas revenir sur ce douloureux chapitre de sa maison et évite soigneusement les questions sur ce sujet autant qu’il peut. « Son fils Guillaume n’était pas aimé par les allemands, le fils de celui-ci Louis-Ferdinand était trop jeune pour monter sur le trône, il n’y avait personne pour assurer la continuité de la monarchie » dit-il simplement avec pudeur à ses interlocuteurs qui le questionnent dans la salle qui le reçoit. Ce jour-là, le prince présente « Kaisertage », un livre consacré aux Hohenzollern et au Reich proclamé à Versailles en 1871.
Le sentiment monarchique a-t-il vraiment disparu de l’Allemagne avec la chute de l’Empire ? On avait bien retiré les bustes et portraits de Guillaume II mais les mouvements monarchistes (bien que divisés entre partisans des maisons royales de Saxe et de Bavière), loin d’être interdits durant l’entre-deux-guerres, avaient largement prospéré pour devenir presque majoritaires dans le pays au gré de leurs alliances politiques. En 1932, le chancelier Heinrich Brüning avait envisagé de restaurer la monarchie afin de stopper la montée du nazisme mais le refus du Royaume –Uni à cautionner cette idée avait perdu cette Allemagne, frappée par une violente crise identitaire, économique et politique, dans les bras de Herr Hitler. C’est la nouvelle génération qui est certainement la plus attachée aujourd’hui aux principes monarchiques. Du moins, c’est ce que disent les derniers sondages en date de 2013 et 2016 qui affirment qu’un allemand sur 3, âgé entre 18 et 24 ans, est favorable au retour d’une monarchie constitutionnelle, système qui retient les faveurs du prince Georges –Frédéric de Prusse, proche de la maison royale des Windsor.
Prosit ! La journée se termine. Les chopes de bière se sont multipliées, on a chanté quelques mots de l’hymne impérial. Le prince Georg- Friedrich von Preußen a fait mouche. Le temps de quelques heures il a été le Kaiser d’un empire que les allemands regardent avec nostalgie mais ne souhaitent pas pour autant couronner de nouveau.
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Publié le 28/05/2019