«L’avortement, un poison pour la principauté !»
Monseigneur Joan-Enric Vives, Archevêque princier d’Urgell, coprince d’Andorre (2018)
C’est dans le silence le plus absolu des médias télévisés, exceptés quelques articles écrits ci et là, que se joue actuellement la survie institutionnelle de la principauté d’Andorre. La possible légalisation de l’avortement dans cette minuscule souveraineté monarchique pourrait faire tomber le coprince, prié par la Vatican d’abdiquer en cas d’adoption éventuelle de la loi. Une décision qui provoquerait l’abolition de cette monarchie aussi bien théocratique qu’élective et qui partage son trône avec le Président de la république française.
«Le grand Charlemagne, mon père, des Arabes me délivra»…La première phrase de l’hymne andorran, baptisé du nom du ce fameux carolingien, résume à elle-toute seule, le lien historique séculaire qui unit la France à la principauté dirigé par le diocèse d’Urgell depuis 1278. L’archevêque devant désormais partager le trône avec le comte de Foix suite à une décision du roi Pierre III d’Aragon, médiateur dans le conflit qui opposait la seigneurie et les religieux sur cette terre sans aucune richesse particulière. Mais c’est en 1607, par un édit du roi de France, Henri IV, héritier de la maison de Foix, que le partage des titres de coprinces est fixé dans le marbre.
La révolution française prive Andorre de ces quelques lois fiscales qui permettaient déjà aux « feux », ces membres de la noblesse locale, de vivre dans l’aisance. C’est d’ailleurs la seule fois de son histoire, que l’archevêque d’Urgell règnera seul.
Napoléon rétablira les droits d’Andorre en mars 1806, quand même bien la principauté se retrouve dans l’éphémère département du Sègre. En 1814, Louis XVIII remettra les choses dans le bon ordre et la IIIème république, se satisfaisant des habits princiers tout en préservant le caractère présidentiel de son régime, ne remettra pas en cause les accords signés. Les avantages sans les inconvénients.
«Laissez vos chapelets en dehors de nos ovaires !» Fin septembre dernier, une quarantaine de femmes ont défilé à Andorre-la-vieille, la capitale, afin de réclamer le droit à l‘avortement. Une première dans cet état de 90 000 âmes et dont le pays a été voué à la vierge de Meritxell par le pape Pie X. Avec la république de Malte, haut-lieu de l’ordre templier du même nom, la Capitainerie de Saint-Marin et le Saint-Siège, la principauté continue d’interdire totalement le droit à l’avortement, quelques soient les conditions. D’ailleurs, c’est le journal «Le Monde » qui nous rappelle que le code pénal prévoit 6 mois d’emprisonnement pour une femme qui transgresserait la loi, de 3 à 5 ans pour le médecin responsable. Octroyer le droit à l’avortement ? L’archevêque princier d’Urgell, Monseigneur Joan-Enric Vives, en poste depuis 2003, s’y oppose catégoriquement. Passe encore que le mariage gay ait été légalisé en 2012 au grand agacement de l’épiscopat mais démocratie oblige, Monseigneur Joan-Enric Vives avait dû se plier au vote du parlement.
Le pape François a adressé, ces derniers, jours une sérieuse mise en garde à la principauté. Si la loi passe, les institutions théocratiques devront se retirer du pouvoir. La fin de la monarchie ? L’hypothèse n’est désormais plus exclue mais paraît pour l’heure improbable.
Depuis plusieurs jours, le gouvernement négocie en toute discrétions avec l’Elysée afin qu’une solution de secours soit trouvée. Et de ressortir les vieilleries juridiques du placard. Faire signer uniquement le président français, Emmanuel Macron, ce qui permettrait au second coprince de s’abstenir. Hors de question pour Monseigneur Joan-Enric Vives qui a décrit « l’avortement comme un poison pour la principauté » comme le rapporte la Radio France Bleu et qui met dans la balance son abdication afin de faire pression sur son gouvernement.
Chez La République En Marche (LREM), la députée des Pyrénées-Orientales, Laurence Gayte, s’est emparée de la question et lors d’une session parlementaire a prié le gouvernement de clarifier sa position sur le débat qui agite la principauté. « Pas de tutelle ni de l’État ni de l'Église » crie l’association féministe « Stop Violències » qui entend faire sa « révolution » à un an des élections législatives.
Chaque changement social, au sein de ce qui est un paradis fiscal selon les standards européens, s’est souvent accompagné de troubles importants. Lorsque le suffrage universel masculin a été accordé en juin 1933, la principauté a vécu de sérieux troubles. Le co-prince Justí Guitart i Vilardebó a été destitué de son trône avant d’être rétabli par la gendarmerie le 8 août 1933. Et c’est dans ce contexte social tendu, que va d’ailleurs apparaître un russe blanc de Lituanie, Boris Mikhailovitch Skossyreff-Mawrusow.
L’homme a fui la révolution de 1917 et a déjà exercé de multiples métiers dont celui d’espion cumulant des condamnations dans de nombreuses affaires d’escroquerie et un adultère retentissant. Il s’installe dans la principauté, en fuite. Parmi ses contacts, un membre du conseil de la principauté à qui il expose son projet. Libéralisme et modernisme seront les deux mamelles de son pouvoir. Car Boris Mikhailovitch Skossyreff-Mawrusow (1896-1989) entend désormais contester la co-principauté française. Selon lui, la République a volé ses droits au …duc de Guise, Jean d’Orléans, héritier des Foix. Etonnant raccourci de l’histoire qu’il abandonne finalement pour son propre profit avant de réussir à se faire élire …roi en juillet 1934. Et de mettre en place son propre gouvernement, faire hisser un drapeau avant de décréter la liberté politique, religieuse et d'opinion dans son royaume.
Règne éphémère qui n’excédera pas 15 jours. Une nouvelle intervention conjoint de la gendarmerie française et de la Guardia Civil met dehors Boris Ier dont l’avènement ne semble pas avoir troublé la quiétude des andorrans pour autant.
« On applaudit cette députée. Si on pouvait avoir un appui de notre coprince, le président de la République française, ce serait génial » dit la féministe Antonia Escoda. La France jacobine peut-elle faire plier la principauté ? En 2009, Nicolas Sarkozy avait menacé de provoquer une crise institutionnelle si le gouvernement andorran ne changeait pas ses lois sur le secret bancaire. Avec succès. Mais que se passerait-il si le coprince andorran abdiquait ? Il y’aurait vacance du pouvoir et un « conseil de transition » serait immédiatement nommé avec charge de décider si la principauté doit rester dans les accords signés avec Henri IV ou bien prendre sa totale indépendance. Le ministre de l’intérieur, Xavier Espot, a d’ailleurs averti que toute tentative de passage en force de la loi provoquerait une crise majeure au sein de la monarchie. La voix du coprince est « unique et indivisible » a martelé le ministre, affirmant que le départ de l’archevêque Joan-Enric Vives pourrait aussi générer une crise au sein du Palais de l’Elysée, forçant également Emmanuel Macron à …abdiquer.
Un scénario qui est néanmoins loin de se dessiner encore une fois. Si le Quai d’Orsay, qui étudie le dossier, ne s’est pas encore prononcé sur le sujet, le vote de la loi ne devrait pas aboutir dans « une société ou la religion occupe une place centrale » comme nous le rappelle France Bleu. Du côté des féministes, on veut toutefois encore y croire. « Nous sommes dirigés par un archevêque aux idées très machistes et patriarcales », dénonce le mouvement associatif à l’origine de cette demande de réforme qui doit selon ces « femmes en colère », « sortir de cette mentalité préhistorique » la principauté.
« Aucun compromis possible » a déclaré le coprince Joan-Enric Vives qui entend se battre pour que la volonté papale sur la question reste encore, pour des décennies, conforme avec la pensée épiscopale en vigueur au sein de la principauté.
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Paru 18/11/2018