« Erzsi », l'archiduchesse rouge des Habsbourg-Lorraine
« Erzsi », l'archiduchesse rouge des Habsbourg-Lorraine
Ultime témoin d’un siècle secoué par deux Guerres mondiales, Elizabeth Petznek était la fille unique de l’archiduc Rodolphe et de la princesse Stéphanie de Belgique. « Petite fille préférée » de l’empereur François-Joseph Ier, elle était surnommée l'archiduchesse rouge.
« Je suis la petite-fille de l’Empereur François-Joseph et la fille du prince héritier Rodolphe ! Cela vous suffit-il ? ». Face au policier tremblant qui vérifie son identité, Elizabeth de Habsbourg-Lorraine reste imperturbable. Dans son sang, coule plus de mille ans d’histoire impériale et celui d'autant de personnages truculents qui ont construit et façonné l’histoire de l’Europe. Les temps ont changé, la monarchie a été abolie en novembre 1918. Le château de Schönbrunn est fermé, habité par les fantômes d’une vie à laquelle « Erzsi » a tourné le dos définitivement, sans regrets.
Un couple impérial marqué par le sceau de la tragédie
La fille de Rodolphe de Habsbourg-Lorraine et de la princesse Stéphanie de Belgique est née le 2 septembre 1883. Son père n'a pas caché sa déception. il aurait voulu avoir un mâle, un héritier pour l'Autriche-Hongrie. Toutefois, il s'astreint de faire bonne figure, y compris auprès de sa femme que son devoir lui a imposé d'épouser. Un couple mal assorti. Le fils de l'Empereur aurait préféré la main de sa cousine morganatique, la comtesse Marie-Louise Elisabeth von Wallersee. Il se console dans les bras des courtisanes de la capitale et calme ses dépressions chroniques par des injections de morphine. Stéphanie de Belgique feint d’ignorer la relation passionnée qu’entretient Rodolphe avec Marie Vetsera et ravale son humiliation.
La fille du roi Léopold II s'inquiète pourtant de l'état de santé de son mari, de cette mélancolie qui l'habite. Les disputes sont fréquentes. Le « mari modèle » s’est transformé en homme violent et en un père absent emprisonné par une amertume constante. Rodolphe est trop libéral pour un père à la froideur conservatrice, un fils qui souffre de ne plus voir sa mère, l’impératrice Elisabeth, qui erre de capitales en capitales afin de fuir le protocole de la Hofburg. Les fêtes de Noël de 1888 seront les dernières en famille. Le 30 janvier suivant, un bruit assourdissant retentit dans le pavillon de chasse de Mayerling. La police retrouvera les corps de Rodolphe et de Marie, enceinte. Les amants se sont donnés la mort afin de vivre ensemble pour l’éternité. Un décès entouré de mystères qui perdurent encore aujourd’hui.
Elizabeth a 5 ans quand elle est frappée par le destin. Elle est conduite devant le cercueil de son père, la tête entouré d’un bandeau suite à la demande de François-Joseph effondré. Il refusera de croire que son fils unique s’est donné la mort aussi lâchemment. Elle pose des questions mais personne ne lui répond. La vie continue. Entre deux professeurs particuliers, la petite fille à la frange blonde émerveille l’empereur, volontiers plus papy gâteau qu’il ne fut bon père. Il regarde la princesse grandir et dont la minceur lui rappelle sa chère Sissi qu’un anarchiste a assassiné sur les bords du lac de Genève en septembre 1898. « Rien ne m’aura été épargné », s’était écrié François-Joseph lorsqu’on était venu lui apprendre la terrible nouvelle. Les témoins de cette époque rapportent que pour la première fois de sa vie, on a pu voir des larmes s’écouler le long de ses joues.
Une vie à l'ombre de la cour des Habsbourg
« Erzsi », le surnom qu'on lui donne, a t-elle été affectée par cette tragédie ? On ne le sait pas. Tout au plus, elle déposa avec dignité des roses blanches avec un bandeau de la même couleur au pied du catafalque de l'impératrice des solitudes repossant dans la crypte des Capucins. Vint le temps des conflits. Sa mère entend se remarier avec le comte Lonyay pour qui Elizabeth éprouve une profonde aversion. Et ce n’est pas mieux du côté de « Franz » qui avait caressé l’espoir de remarier sa bru à l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg-Lorraine, trop entiché d’une comtesse tchèque. Le même dont la vie s’arrêtera brutalement à Sarajevo en juin 1914. C’est la rupture avec sa mère et le début de sa romance avec Othon de Windisch-Graetz de dix ans son cadet. L’homme est d’une beauté à couper le souffle dans son bel uniforme d’uhlan, c’est lui qu’elle épousera en dépit de la volonté de l’empereur qui tente de la raisonner. Le mariage est somptueux, des milliers de personnes viennent voir le trousseau de la jeune archiduchesse qui dû renoncer à ses droits au trône. François-Joseph est même radieux à la cérémonie, au caractère intime, célébrée à la chapelle Saint-Joseph de la Hofburg. Un instant de bonheur pour Elizabeth-Marie qui voyage en Slovénie, en Italie ou à Malte avec son mari à qui elle donnera 4 enfants entre 1904 et 1909. Tous de santé fragile.
Le couple, jadis si soudé, finit par devenir étranger à l’autre avec le temps. Les rumeurs affirment qu’Othon de Windisch-Graetz a épousé l'archiduchesse par « vils calculs ». « Erzsi » commence même à se plaindre des tendances sexuelles perverses et viriles de son mari qui accumule les liaisons extra-conjugales. Le prince, lui, se répand sur les incartades de sa femme notamment avec un cerrtain capitaine Egon Lerch qui perdra la vie durant la Première guerre mondiale. De la Hofburg à sa belle-famille, tout le monde est au courant de cette liaison qui aboutit à une séparation et une longue guerre juridique avec ses multiples rebondissements sur fond d’enjeu financier tant la fortune de la petite-fille de Sissi est impressionnante (il tente de la mettre sous curatelle). Elizabeth-Marie verra une dernière fois son grand-père le 16 novembre 1916. L’Empereur décline, une autre page se tourne dans la vie « d' Erzsi ». Son divorce fait les choux gras de la presse notamment en 1921 lorsque Windisch-Graetz envoie la gendarmerie prendre ses enfants qu’elle refuse de lui donner. Un déploiement de force qui indigne toute la bonne société. « Mon mari incarne ce qu’il y a de plus négatif dans l’aristocratie, un dandy dépourvu de sens moral, pétri de lâcheté et de médiocrité », explique alors aux journalistes l’archiduchesse. Une affaire qui devient nationale et qui est portée le 24 mars au parlement. L'assemblée donnera raison à cette princesse qui peut enfin acter la « séparation effective de lit et de table ».
L'archiduchesse rouge honnie des Nazis
Elizabeth-Marie a été séduite par Léopold Petzner, instituteur et directeur d’école qui est un membre du Parti Social-démocrate. Ils sont devenus amants et la princesse utilise son « trésor de guerre familial » pour financer les activités politiques de ce mouvement et de son mari, élu député de la jeune république jusqu’en 1934. Elle noue même une amitié avec le chancelier Karl Renner, le tombeur de sa famille. Chez les Habsbourg, on s’agace des liens de « l’archiduchesse rouge » avec les sociaux-démocrates et « Erzsi » n’a de cesse de se disputer avec à sa mère à ce sujet. D’autant que la « camarade Windisch-Graetz » se veut résolument féministe tout en conservant ses anciens privilèges. « La révolution,… oui mais dans la soie » se moque ses opposants de droite. L’heure est à la restauration de la monarchie. Chancelier depuis 1932, Engelbert Dollfuss a mis en place un gouvernement fort (austrofascisme) qui permet de relancer l’économie autrichienne moribonde depuis la fin de l’empire. Le couple est victime de cette dictature. Léopold Petzner est arrêté et emprisonné quelques mois en 1934, Elizabeth-Marie suivie par les gendarmes qui répertorient le moindre de ses déplacements et n’ont de cesse de la contrôler. Les jours de la république sont comptés. Dollfuss est assassiné, son successeur tergiverse pour restaurer la monarchie et il faut peu de temps pour qu’Adolf Hitler n’annexe l’Autriche (1938). Les nazis n’inquièteront pas le couple. Du moins jusqu’à l’attentat de juillet 1944 qui vise Hitler où Léopold Petzner est arrêté par la Gestapo. « Erzsi » se démène pour le faire libérer . Il restera interné à Dachau jusqu’en septembre de la même année.
Vienne est occupée par les Soviétiques. Les Russes se précipitent sur la tombe de son père dans l’espoir de trouver des bijoux et viennent occuper la propriété de la princesse. Face aux soldats, elle les invective et les provoque. « Tirez, mais tirez donc » leur lance « Erzsi » face à des soldats qui toisent cette princesse sans sourciller, priée d’aller se loger ailleurs, dans un couvent. Devenu Président de la cour des comptes, Léopold Petzner épouse enfin son amour en 1948. Après les Soviétiques, c'est au tour des Français de s'installer dans le château et le laisser dans un état épouvantable. Elizabeth–Marie a perdu de sa superbe et renoue avec les vicissitudes de la vie. Son fils Ernest, peintre renommé, meurt le 23 décembre 1952 d’une crise cardiaque, deux jours avant Othon de Windisch-Graetz, ruiné. Veuve de Léopold Petzner en 1956, elle se referme sur elle-même, ne supportant plus les visites de ses enfants comme celle de Franz (décédé en 1981), chasseur au Kenya, qu’elle refusa de voir un jour pour… trois minutes de retard. Elle n’était pas plus tendre avec son gendre. Sa fille Stéphanie (1909-2005) avait perdu son premier mari, un résistant belge interné en camp de concentration, et son remariage avec un Suédois avait déplu fortement à sa mère qui lui ferma la porte au nez. L'archiduchesse préférait s’occuper de ses bergers allemands et de ses fleurs, perdant progressivement la notion du temps.
Elle rend son dernier souffle le 16 mars 1963, seule avec les visages de ceux qui ont peuplé son enfance, celui d’un père dont elle défendit la mémoire durant des décennies, celui de son fils Rodolphe décédé en 1939. Elle a été enterrée dans une tombe anonyme, au cimetière d'Hütteldorf, selon ses souhaits. Ses chiens euthanisiés. Toute sa vaie, comme sa grand-mère, Sissi, elle aura été une rebelle.