Impliqué politiquement dans la sauvegarde des institutions européennes dont il a été un représentant de 1996 à 1999, l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine ne cache plus son irritation vis-à-vis de la Habsburgergesetz, la loi anti-Habsbourg, encore en vigueur, en Autriche. C’est depuis son site officiel, qui a récemment fait l’objet d’une dénonciation de la part d’élus socialistes et écologistes pour l’utilisation abusive de sa particule, que le double prétendant à la couronne impériale austro-hongroise n’a pas hésité à lever l’étendard de la révolte face à une loi qu’il juge désormais anachronique et inique.
Elle a tout juste un siècle. C’est le 3 avril 1919 que le conseil national autrichien vote à l’unanimité l’interdiction des titres de noblesse, véritable loi anti-Habsbourg. Karl Renner, qui occupe le poste de chancelier de la République, depuis la chute de la monarchie en novembre 1918, n’arrive pas à persuader l’empereur Charles Ier d’abdiquer. Installé à Rorschach, non loin de la frontière, la maison impériale demeure une menace pour son fragile gouvernement livré à l’appétit de l’Allemagne (il ne cache d’ailleurs pas ses affections pangermaniques) et lui rappelle qu’elle s’est uniquement et temporairement« retirée des affaires ». Le vote de la Habsburgergesetz permet rapidement à la république autrichienne de rendre illégale toute tentative de restauration de la Kaiserlich Und Königlich. Il est rapidement demandé, tel que le stipule son article 3, aux membres de la famille impériale encore présents sur le sol autrichien de renoncer à leurs titres et utilisation du « von » (de) aristocratique ou en cas de refus, de quitter le pays vers un exil sans retour. Les Habsbourg-Lorraine sont divisés, Charles Ier renonce à s’imposer pour tenter l’aventure hongroise par deux fois (1920 et 1921), en vain. Pire, elle confisque le patrimoine immobilier de la maison impériale et il se trouve même un baron pour extorquer une procuration à l’empereur-roi pour aller vendre quelques bijoux et s’enfuir avec l’argent.
La haine qu’éprouve Renner à l’égard des Habsbourg-Lorraine est aussi profonde que celle manifestée par le président du Conseil de la république française, Georges Clémenceau, durant le premier conflit mondial. Son parti fera en sorte que la Habsburgergesetz soit même incorporée dans la nouvelle constitution adoptée en 1920, avant la loi deux ans plus tard, concernant la nationalisation des biens de cette dynastie millénaire.
L’arrivée au pouvoir d’Englebert Dollfuß (1932), un héros de la première guerre mondiale, va donner un peu de répit aux Habsbourg dont on évoque le « come-back ». Depuis 1922, date à laquelle son père est décédé, seul à Madère, c’est le jeune archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine qui incarne tous les espoirs d’une restauration de la monarchie.
L’Autriche subit de plein fouet la crise de 1929 et la menace que font peser les nazis sur la patrie de Mozart oblige le chancelier à transformer l’Autriche en État autoritaire, corporatif et catholique. Cette période, retenue sous le nom « d’Austro-fascisme », va être bénéfique au courant Légitimiste, tel qu’est appelé le mouvement monarchiste autrichien de l’entre-deux-guerres. Une campagne pour l’abolition de la Habsburgergesetz est activement menée en parallèle d’actions politiques en faveur de la restauration de la K.und K. Plus de 1600 communes accorderont alors le titre de « citoyen d’honneur » au prince tout juste à l’aube de sa vingtaine. Dans les ambassades, on évoque son nom comme potentiel rempart au chancelier Hitler qu’il refuse de rencontrer alors que ce dernier lui a envoyé comme émissaire un cousin Hohenzollern. Pour le Führer, il sera désormais l’archiduc à abattre après Dollfuß dont il organise l’assassinat en juillet 1934.
Kurt Schuschnigg succède à Dollfuß et estime qu’il est temps de rappeler les Habsbourg. Un an après son arrivée au pouvoir, il suspend la loi anti-Habsbourg et envisage même de rembourser la maison impériale de la perte de ses biens. C’est Maximilian (de) Hohenberg, le fils de l’archiduc François-Ferdinand assassiné à Sarejevo en 1914, qui a mené les négociations. Seule condition de cet accord, que « l’empereur de jure » ne tente rien qui puisse mettre à mal le gouvernement, à savoir de ne pas entrer dans le pays, et qui pourrait effrayer les pays étrangers. Le prince et le chancelier vont pourtant se rencontrer secrètement, en France, à diverses reprises. Pour Otto de Habsbourg-Lorraine, les choses ne vont pas assez vite et l’avenir va lui donner raison. En 1938, c’est l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne qui a donné à son plan, le nom de l’archiduc avec pour objectif, son élimination. Un échec.
Le 14 mars 1939, la Habsburgergesetz est remise en fonction tout aussi naturellement qu’elle avait été abrogée. La seconde république, née sur les cendres du régime de collaboration, ne fera pas exception. Les Alliés ont confié la gestion de l’état à Karl Renner qui n’a rien appris. Il confirmera en 1945 le maintien de cette loi qui régit actuellement l’Autriche et qui sera renforcée en 1955 sur la demande de …Moscou, prix à payer pour le retrait des troupes soviétiques de Vienne. D’une dictature à l’autre, l’ennemi restait toujours le Habsbourg. La campagne sera d’ailleurs féroce (les socialistes usant du slogan de « Otto Raus ! ») contre le fils de Charles Ier) et a été baptisée du nom de « « crise des Habsbourg » tant elle va générer de crispations.
Les monarchistes du MBÖ, qui demandent son abrogation, sont taxés d’actes anti-patriotiques, les partis se déchirent en interne comme avec l’ÖVP dont une partie des élus est favorable aux Habsbourg, les socialistes crient haro sur l’héritier et ne cesseront pas en dépit de son acception de renoncer à ses droits en 1966 pour devenir simplement Herr Habsbourg, futur député européen. Une exception sera néanmoins faite à l’impératrice Zita de Bourbon-Parme en 1982, autorisée à rentrer après 70 ans d’exil.
Cette loi a « depuis longtemps perdu son sens originel et ne conduit qu'à de vulgaires épanchements bureaucratiques, ou à des arguments issus d‘esprits idéologiquement étroits ». La charge est directe et franche, l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine ne mâche pas ses mots alors qu’il a été condamné récemment à une simple amende pour avoir contrevenu à la loi qui interdit l’utilisation de la particule, ce « von » qui apparaît sur son site officiel. « Il se peut qu’à une certaine époque, la jeune république ait eu des craintes vis-à-vis des ambitions de ma famille (mais celles-ci) se sont avérées non fondées. Les lois de Habsbourg sont un anachronisme, qu'il vaut mieux éliminer et renvoyer dans les poubelles de l'histoire » peut-on lire dans son communiqué officiel.
Entre 1998 et 2003, la maison impériale tente de faire valoir ses droits de restitution de son patrimoine mais toutes ses tentatives échouent, en dépit d’une campagne initiée en ce sens dans la presse internationale. Tout au plus, a-t-elle obtenu en 2011 grâce au combat mené par le conseiller municipal écologiste, le (comte) Ulrich (von) Habsbourg, de la levée de l’interdiction faite aux membres de la maison impériale de se faire élire à la présidence et en 1995 à l’abrogation de certaines dispositions jugées contraires aux libertés et droits de l’homme. Un combat qui aura couté à l’élu de Carinthie, son adhésion au parti Vert qui va finir par l’expulser.
L'archiduc Karl avait d’ailleurs exprimé, après que le parlement ait voté cette abrogation, sa « profonde satisfaction », soulignant que les membres de la famille Habsbourg-Lorraine étaient dorénavant des citoyens « à part entière » de la République dont ils pourraient briguer les plus hautes fonctions. Ce n’est pas la première fois que le prétendant au trône, qui bénéficie d’un certain soutien au sein de la population, monte au créneau. Déjà en 2013, il n’avait pas hésité à comparer la Habsburgergesetz au décret controversé de 1939, promulgué par le président Edvard Beneš, ce dernier dont les actions ont contribué à faire échouer la restauration de la monarchie en Autriche à la veille de l’Anschluss, d’après les historiens. « Plutôt Hitler que les Habsbourg » avait déclaré ce président tchécoslovaque dont le pays allait être démembré par les nazis.
«La majorité des membres de la noblesse était composée de militaires et de fonctionnaires, honorés par l’Empereur lui-même, anoblis principalement sur la base de leurs mérites (…). La république a pris quelque chose à tous ces gens sans leur offrir la moindre compensation, criminalisant leurs histoires familiales respective » renchérit le prince qui cache désormais mal son agacement et qui réclame officiellement l’abolition de la Habsburgergesetz.
En attendant, il fait acte de résistance et a annoncé qu’il ne ferait pas enlever sa particule de son site, car « partie intégrante de son nom de famille et de l’histoire de sa maison ».
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Publié le 15/05/2019