«Nous sommes encore dans un système où c’est le blanc qui règne en maître». La princesse Maria-Esméralda de Belgique ne mâche pas ses mots. Depuis le début du mouvement Black Lives Matter («La vie des noirs compte»), la fille cadette du roi Léopold III enchaîne les interviews et réclame autant des excuses officielles de la part du roi Philippe que de son gouvernement. En critiquant le passé colonial de son pays, la «princesse rouge», membre de la maison royale de Belgique, est devenue une des fers de lance de ce mouvement qui a fait tâche d'huile en Europe, né après la mort tragique de l’afro-américain Georges Floyd, et qui dénonce le racisme, le colonialisme et les violences policières.
Journaliste, écrivaine ou documentaliste, la princesse Maria-Esmeralda détonne dans le Gotha. Depuis le début du mouvement Black Lives Matter (BLM), cette militante écologiste et des droits des femmes et des peuples autochtones s’est lancé dans un nouveau combat qui embarrasse autant le gouvernement que la maison royale de Belgique dont elle est une membre éminent. «Cela fait très longtemps qu’elle [la communauté afro-belge-ndlr] demande que la page du colonialisme soit expliquée dans nos écoles et que ça fasse partie du débat […] La rage se manifeste maintenant contre ces statues, qui ne sont pas neutres» déclare au journal «Le Soir», la princesse rebelle. Dans l’œil du cyclone Black Lives Matter, la colonisation belge en Afrique centrale. «Nous sommes encore dans un système où c’est le blanc qui règne en maître» se plaint la fille du roi Léopold III, très active sur son compte Twitter.
«(…) C’est bien sûr dommage que ça passe par la violence mais c’est parfois le seul moyen pour se faire entendre». Ce n’est pas la première fois que cette princesse fait l’actualité. En octobre 2019, elle avait été arrêtée à Londres par la police britannique alors qu’elle participait à une manifestation pour le climat. Avant d’être rapidement relâchée. «La mort de George Floyd nous a fait réaliser que le racisme est présent tout autant dans nos sociétés qu'aux Etats-Unis» dénonce la demi-sœur du roi Albert II qui pense qu’il est temps que la Belgique s’excuse pour tous les crimes perpétrés durant la colonisation et les discriminations qu’elle a contribué à nourrir après la décolonisation.
Un héritage dont le royaume n’a pas fini de panser les plaies. Le gouvernement belge a cédé aux injonctions du mouvement Black Lives Matter. Après que certaines villes et certaines universités ait été contraintes à retirer les bustes et statues du roi Léopold II, objets de leur ire, le gouvernement a accepté de répondre à une des demandes des militants anti-racisme (qui accusent ce souverain d’avoir été à l’origine d’un génocide des congolais) et de mettre en place une commission spéciale «chargée d'examiner tous les aspects de la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi et dans le but de réaliser un travail de mémoire» annonce une dépêche de l’AFP. Un tabou pour lequel le gouvernement du premier ministre Charles Michel avait pourtant déjà présenté ses excuses en avril 2019.
«Je crois qu'il est important, au-delà des actions violentes, crimes et exactions survenus au Congo, de parler aussi de toutes les discriminations qui ont eu lieu, quand les populations ont été déplacées ou quand on leur a imposé notre langue ou notre religion, tout ça fait partie de ce passé colonial, dont nous devons absolument discuter» renchérit la princesse de 63 ans qui se réjouit de la mise en place de cette commission et qui revendique sa liberté de parole. Un organisme qui pourrait être tenté de revenir sur les circonstances d’assassinats perpétrés contre des dirigeants africains peu de temps après le début du processus de décolonisation. Si la responsabilité du gouvernement belge a été clairement établie dans le meurtre en 1961 du premier ministre congolais, Patrice Emery Lumumba, celle du prince Louis Rwagasore, dirigeant Burundais abattu dans le dos en 1962, reste encore à définir. Les conclusions pourraient entacher la maison royale de Belgique dont la figure révérée du roi Baudouin Ier. «Je crois que pour favoriser la cohésion de notre société, on doit mieux connaître notre passé, notre passé colonial sous toutes ses facettes, c'est vrai aussi pour l'histoire générale de la Belgique d'ailleurs» affirme Vincent Dujardin. Historien à l'UCL, il précise toutefois que «déboulonner des statues n’est pas une réponse aux problèmes» dénoncés par les militants du BLM et rappelle que Léopold II n’a pas «commandité ni orchestré aucun massacre en Afrique».
«Difficile pour nous Blancs, d’imaginer, l’angoisse d’être l’objet d’un contrôle ou d’une arrestation, de brimades et d’insultes, d’être pris pour le chauffeur ou la secrétaire quand on est le CEO de l’entreprise ou un professeur d’université. Dans nos sociétés, malgré des efforts indéniables, le Blanc est la référence (…), dans un espace public soit dominé par des effigies la gloire d’hommes bancs, de conquérants et de certains colonisateurs ou marchands d’esclaves contribue sans aucun doute à donner le sentiment que l’histoire perpétue, sinon célèbre la conviction de la suprématie de la race blanche» explique la princesse dans un long éditorial paru dans «Paris Match Belgique». Pour Maria-Esmeralda de Belgique, ses pas se tracent dans ceux de son père, le roi Léopold III qui en 1933 avait déjà dénoncé, dans un discours au Sénat, les nombreuses exactions des colons contre les africains. La princesse souhaite d'ailleurs que l’on aille plus loin et que l’on détermine aussi «les responsabilités de l’Eglise et la société coloniale en Afrique», de ce «système que la Belgique ne peut absolument pas cautionner aujourd’hui et qui a été basé sur l’exploitation des ressources et des populations indigènes».
Bien qu’elle se défende de toute attaque contre la famille royale et tout en affirmant que le roi Philippe suit avec attention les événements et la polémique en cours qui occupe tous les plateaux de télévision, la princesse Maria-Esmeralda demande toutefois au souverain et à son gouvernement de faire un geste fort en guise d’apaisement en présentant des excuses «étant donné le côté personnel de la famille royale dans ce débat». «Nous vivons un moment charnière. L’opportunité de dialogue entre les communautés doit être saisie. Le racisme doit être combattu de toutes nos forces, à tous les échelons et dans tous les secteurs de la société. Il ne suffit pas de n’être pas raciste, il est essentiel d’être antiraciste. (…) Dieu a créé une seule race : la race humaine. Les hommes ont créé le racisme, et entendre ce que la science nous enseigne, tous nos ancêtres sont africains. Ne sommes-nous pas dès lors, tous africain ? » pose comme question et en guise de conclusion la princesse Maria-Esmeralda.
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