Son discours était attendu, critiqué avant même d’avoir été entendu. C’est un concert de casseroles qui a finalement accompagné l’allocution du roi Felipe (Philippe) VI, au soir du 18 mars, dans plusieurs quartiers de Barcelone ou de Madrid. Les sujets du roi entendaient dénoncer les nombreuses affaires de corruption qui touchent la maison royale, sa gestion de la crise catalane et son absence de prise de parole au plus fort de la propagation du covid-19 qui touche durement le royaume d’Espagne.
«Ce virus ne nous vaincra pas, au contraire, il nous rendra plus forts comme société, une société plus engagée, plus solidaire, plus unie (…)» a déclaré le roi Felipe VI durant son discours télévisé. Une cohésion nationale largement remise en cause par le nouveau scandale qui touche la maison royale de Bourbon dont la forteresse est attaquée de toute part, y compris en son sein. Les récentes révélations d’une suspicion de blanchiment d’argent par le roi émérite Juan-Carlos a profondément secoué l’institution monarchique, déjà ébranlée par les précédents scandales de corruption qui ont touché la famille royale. Entre les Panama Papers et l’affaire Noos qui impliquent chacun des deux divers membres de sa maison, Felipe VI doit également gérer la menace d’un référendum contre la monarchie réclamé par le parti d’extrême-gauche Podemos, allié incontournable du président du Conseil, le socialiste Pedro Sanchez.
«Maintenant, nous devons résister, tenir bon » a ajouté le roi lors de ce discours, long de sept minutes, dont le dernier en date de la même teneur remonte à 2017, au plus fort de la sécession de la Catalogne. Si on excepte ses traditionnels messages de noël et du nouvel an. La monarchie espagnole a-t-elle les pieds fragiles ? Va-t-elle pouvoir surmonter ce nouveau scandale et affronter en parallèle les dangers qui la menacent sur sa gauche ? C’est de nouveau les questions que se posent la presse internationale et les experts en monarchie qui craignent un affaiblissement de cette royauté dont on n'a jamais vraiment su si elle était plus juancarliste que monarchique.
Alors que les cas de covid-19 augmentaient de manière fulgurante en Espagne, le roi Felipe VI a dû prendre des mesures drastiques concernant son père. Renonciation à une partie de son héritage (en effet, le nom du souverain figurait sur la fondation comme héritier récipiendaire de ces fonds à l’origine saoudienne et réinvesti par la maîtresse de son père) et retrait de Juan-Carlos des listes civiles (il reçoit 200 000 euros du gouvernement). Pas assez pour une partie des espagnols, agacés par les actions de celui qui a restauré la démocratie en Espagne. Un appel à manifester contre la couronne, relayé sur tous les réseaux sociaux avec le hashtag #CoronaCiao, (« adieu la couronne »), a enregistré un certain succès. Selon un récent sondage réalisé le 18 mars dernier, 49% des sondés se déclarent favorables à la fin de la monarchie contre 46% qui souhaitent son maintien. Les chiffres sont encore plus défavorables en Catalogne, avec à peine 14% de soutiens affichés au roi. Une province désormais sclérosée par la tentation du séparatisme. Une pétition a même réclamé que les cent millions incriminés soient reversés par le roi Juan-Carlos au milieu hospitalier afin que ceux-ci soit utilisés pour la lutte contre le covid-19.
Et que dire de sa succession ? La dernière souveraine qui a régné sur l’Espagne, Isabelle II, n’a pas laissé un souvenir impérissable dans le subconscient espagnol. Un certain nombre de monarchistes s’inquiètent d’ores et déjà de la montée sur le trône de l’infante Léonor, princesse des Asturies et du titre que l’on devra accorder à son futur époux. Quand ils ne cherchent pas un monarque de substitution. Sait-on jamais.
« À quoi sert la monarchie ? » ou « Vive la République ! » Face à ce concert de casseroles nocturnes improvisées contre la «monarquía » et autres hashtags #byebyeBorbones , le journal «El Pais» s’est fendu d’un éditorial en faveur de la monarchie, évoquant son utilité mais n’hésitant pas à rappeler à la maison royale ses devoirs. « La Couronne doit (...) garantir la dignité de l'institution, préserver son prestige et observer une conduite droite, honnête et transparente, comme il convient, correspondant à sa fonction institutionnelle et à sa responsabilité sociale (…). Le Roi, à la tête de l'État, doit être non seulement une référence mais aussi un serviteur de cette demande juste et légitime des citoyens (…).Nous, Espagnols, avons l'immense chance d'avoir un bon roi, un roi véritablement constitutionnel (…). En Espagne, le roi n'est pas une «simple parure constitutionnelle», mais un élément fondamental de l'État » peut-on lire dans ce journal à grand tirage.
« L'Espagne est une grande nation, un grand peuple et ses ennemis, microscopiques ou non, ne pourront jamais la vaincre. Nous allons avancer. Ensemble » a renchérit sur son compte twitter, le leader et député de VOX, Santiago Abascal qui entend être le rempart de la monarchie face aux partis républicains. « Cette crise est temporaire, ce n’est qu’une parenthèse nos vies, nous reviendrons à la normale » a rappelé le roi Felipe VI qui va devoir désormais faire face à un nouveau défi. Celui d’assurer à l’Espagne la pérennité de son institution monarchique.
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(publié le 22/03/2020)