Lorsqu’il succède au général Francisco Franco en 1975, tous lui prédisent un règne court. Surnommé Juan Carlos le bref, il va pourtant marquer l’Espagne de son empreinte et poser les jalons d’une monarchie démocratique et stable. Mais depuis son abdication en 2014, rien ne va plus pour ce descendant de Louis XIV qui accumule les scandales. Les nombreux soupçons de corruption qui pèsent sur lui, entachent considérablement sa réputation et menacent le devenir de la monarchie de son successeur, Felipe VI. «Afin de préserver l'exemplarité de la Couronne», le roi-émérite pourrait être contraint de s’exiler hors d’Espagne.
C’est inédit dans l’histoire de la monarchie espagnole. Un ancien souverain pourrait être contraint de comparer au tribunal afin de répondre sur les soupçons de corruption qui pèsent sur lui. En annonçant et en autorisant l’ouverture d’une enquête contre Juan Carlos, suspecté d’avoir touché des commissions financières dans le cadre de contrat avec le royaume d’Arabie Saoudite, la Cour suprême a jeté un pavé dans la mare aux Bourbons déjà bien saumâtre. Le roi-émérite, qui a bénéficié d’une aura tout au long de son règne pour avoir restauré la démocratie et mis fin aux espoirs des franquistes lors de la tentative de coup d’état du 23 février 1981, est désormais l’ombre de lui-même. Selon les «Tages-Anzeige» et le «Tribunal de Genève», deux quotidiens suisses, l’ancien monarque aurait reçu en 2008, de la part de l’Arabie Saoudite, un «don» de 100 millions de dollars. Une somme qui dormirait dans une de ses fondations au Panama. Hors la même année de ce «don», l’Espagne dame curieusement le pion à la France dans la construction d’un TGV entre les villes de Médine et de la Mecque. Des accusations de fraude fiscale et de blanchiment d’argent qui font les choux gras de la gauche indépendantiste et des mouvements républicains.
Le roi Juan-Carlos entretient depuis des années, des relations privilégiées avec l’Arabie Saoudite qui n’a jamais été avare de cadeaux envers le monarque. En 1979, le roi Fahd offre un yacht, le «Fortuna» à Juan Carlos qui va en profiter durant deux décennies. Une amitié qui ne sera pas sans incidence sur la politique étrangère de l’Espagne au Proche-Orient. Ainsi, ce n’est qu’en 1986 que l’Espagne acceptera de nouer des liens avec Israël. Des relations avec les pétromonarchies louées hier mais vilipendées aujourd’hui. Lorsque le roi se fait prendre en photo, en 2018, avec le prince Mohammed Ben Salman, les médias se font violemment critiques. Le quotidien conservateur de gauche, «El Mundo», n’hésitera pas à titrer :«La photo de la honte». Le parti populiste d’extrême-gauche Podemos tire à boulets rouges sur le souverain en accusant Juan Carlos d’humilier l’Espagne. «Les amitiés des Bourbons sont un reflet fidèle d’une époque qui doit prendre fin» commente Izquierda Unida ( Gauche Unie). «Cette enquête vise précisément à établir ou écarter la pertinence (d’une poursuite) pénale des faits survenus après le mois de juin 2014, date à laquelle le roi émérite a cessé d’être protégé par l’inviolabilité» a déclaré, quant à lui, le parquet, interrogé sur ses motivations. Depuis, le moindre rendez-vous du roi avec un diplomate ou un membre de la famille Ibn Saoud est décortiquée par la presse qui s’est trouvée un nouveau Bourbon à se mettre sous les dents.
Pis les révélations de sa maîtresse, appelées pudiquement les «confidences», Corinna Larsen (ex princesse Sayn-Wittgenstein), une belle jeune blonde de 48 ans aux yeux bleus cristallins, ont profondément secoué la maison royale d’Espagne et mis un terme au couple idyllique que le père du roi Felipe VI formait avec la reine Sofia de Grèce. En affirmant que le roi l’a utilisé comme prête-nom afin de transiter via ses comptes d’importantes sommes d’argent au Maroc ou aux Bahamas, Corinna Larsen a déclenché un tsunami dont personne ne mesure encore la portée. Aujourd’hui les deux anciens amants règlent leurs comptes par avocat interposés. A 82 ans, la côte de popularité de Juan-Carlos s’est considérablement effritée. Ils sont à peine 4 espagnols sur 10 à soutenir encore le roi devenu un justiciable comme les autres. Le roi Felipe VI a dû lui-même se désolidariser de son père. En apprenant qu’il était un des héritiers d’une partie de la somme incriminée, le monarque actuel s’est empressé d’y renoncer publiquement et d’ordonner le retrait la dotation allouée à son père (soit 194000 euros) «afin de préserver l'exemplarité de la Couronne». Un roi Felipe qui tente de redorer le blason d’une monarchie ternie par d’autres affaires qui ont touché son règne comme avec l’affaire Noos qui a compromis sa sœur Cristina et son mari Iñaki Urdangarin Liebaert, en 2010. La droite espagnole (Parti Populaire, Ciudadanos et Vox) comme la gauche (parti socialiste) restant encore des soutiens non négligeables à la royauté attaquée de toute part. Ils sont aujourd’hui plus de 63% à vouloir un référendum sur la question des institutions avec des sondages qui montrent des monarchistes coude à coude avec les républicains, principalement composés des partis indépendantistes (dont les séparatistes catalans) et de l’extrême-gauche. Podemos, dont on se demande à quel jeu ce parti joue, a dénoncé «l’opacité d’une famille payée 8 millions d’euros par an juste pour son nom et qui, en plus, fait des affaires avec les satrapes d’Arabie Saoudite». Des accusations pourtant malvenues de la part du parti de Pablo Iglesias Turrión, lui-même fortement soupçonné de recevoir des subsides de l'Iran et du Vénézuéla (2016). Une affaire qui divise la majorité gouvernementale et qui se déchire sur l’attitude à adopter vis à vis du roi-émérite.
C’est désormais l’exil qui attend le roi émérite qui ne souhaite pas se transformer en fossoyeur d’une monarchie qu’il a mis en place. Différents médias espagnols et internationaux ont annoncé que Juan-Carlos allait quitter sous peu le royaume et s’installer en république dominicaine, notamment dans le quartier résidentiel de la Romana où séjournent milliardaires et grands de ce monde. D’autant qu’un second front a été ouvert. La justice s’intéresse depuis peu à d’autres «dons» en millions offerts au souverain par l’émirat Bahreïn. Une alliance peu commune entre la croix et le croissant qui jette l’opprobre sur une institution royale de nouveau fragilisée par cet énième scandale financier.
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